— Avec plaisir. Vous voulate mé tirer les asticots dou nez ?
Il rit de ses dents éclatantes.
— Rendez-vous à huit hore chez Casimodo, le ristorante dé la Via Rasurela.
Là-dessus je le quitte d'un pas dégagé. Je me rends à la stazionne de bus la plus proche. Moyennant quelques lires, on me véhicule jusqu'au centre de la cité.
Après avoir musardé une plombe, je finis par trouver ce que je cherche : un postichier. La boutique est cradingue, obscure, malodorante. Elle est gérée par un vieillard auquel il faut mettre des roulettes sous les pieds pour le faire avancer, tant il est gras et adipeux. Je lui bonnis que je vais me rendre à un dîner de têtes et je farfouille son estanco pour y pécher de quoi modifier mon agréable académie. De grosses lunettes d'écaille avec des verres bidons ; un collier de barbouze à la d'Annunzio ; des boulettes de caoutchouc pour se fourrer dans le naze. Me voilà entièrement méconnaissable. Arsène Lupin ferait pas mieux.
Je paie et je me tire nanti de ce déguisement. J'entre alors dans un bureau de poste et je feuillette l'annuaire des téléphones pour y chercher l'adresse du signor Québellaburna. Je la trouve d'autant plus facilement qu'elle est rédigée en caractères d'affiche.
L'industriel crèche dans le quartier du Rizzoto, le plus sélect de Turin. Un taxi m'y conduit à une vitesse supersonique. Belle écurie, mes fils !
La façade est en marbre de Carrare rosepraline, le perron est deux fois most imposant que celui de Fontainebleau et les fenêtres sont grandes comme les vitrines des Galeries Lafayette. Je m'annonce avec ma fausse barbe et mes fausses bésicles, pas fiérot du tout. Je me fais un peu l'effet du monsieur qui vient brader des coupe-tomates chez la marquise de Saint-Glinglin.
Un larbin en livrée vient délourder. Il est maigre, avec les tifs blancs et l'air compassé. On dirait qu'on l'a plongé dans de l'amidon. Il me demande of course ce que je désire. Je lui dis que je dois parler d'extrême urgence au signor Québellaburna. Il me répond que c'est difficile, because le signor est aux U.S.A. depuis dix jours et qu'il ne rentrera pas avant la fin du monte. Comme je suis quelque peu déconcerté, le larbin me demande si j'appartiens à la police. Rien de tel qu'un vieil esclave pour situer un mec socialement. Malgré mon accent français il m'a reniflé, le baladeur de plumeaux. Je prends mon air le plus surpris.
— De la police, madre de dio ! m'exclamé-je. Fatal, avec l'assassinat du chauffeur, la poule turinoise est venue draguer dans l'hôtel particulier.
— Mme Québellaburna est-elle ici ? j'insiste en virgulant à travers mes faux poils un sourire qui ferait fondre le mont Blanc.
Il hésite.
— La signora est encore dans sa chambre. C'est à quel sujet ?
San-Antonio, vous en avez tous entendu parler, non ? Vous savez par conséquent la place que tient son renifleur dans la vie moderne. D'aucuns auraient répondu évasivement. Moi, d'instinct, j'y vais d'une sérénade napolitaine de ma composition.
A Vienne Képura, comme on disait avant guerre. Si je fais fausse road, j'en serai quitte pour effacer les traces de semelle à l'arrière de mon futal.
— Dites à la signora que je viens de la part de son ami Donato, fais-je avec une rare autorité (tellement rare que le British Museum m'a proposé de l'acheter).
Il fronce les sourcils un peu plus, ce qui met au-dessus de son regard charbonneux une jolie ligne bleue des Vosges. Mais comme j'ai l'air d'en avoir deux, le larbin me désigne une banquette recouverte de peaux de panthères et s'éclipse.
Je me sens pâle des genoux, mes loutes. Vous vous imaginez, radinant dans un hôtel particulier pour vendre de la salade à l'une des dames les plus considérables du Piémont ?
Le temps qui s'écoule me paraît infini. Enfin, mon nettoyeur de carpette revient.
— Si vous voulez bien me suivre ! propose-t-il d'une voix radoucie.
J'en ai l'horloge qui se décroche avec ses pieds et son balancier. Vous mordez l'importance de la chose, mes chéries ? Du moment que la signora accepte de recevoir un illustre anonyme qui se présente de la part de Donato, c'est qu'elle connaît Donato. Intéressant, je vous dis. Je commençais à me rouiller en regardant bouffer le gros dans le feu des projecteurs.
Le valeton me drive vers un escalier de marbre blanc à côté duquel celui de l'Opéra a l'air d'un marchepied de tramway. Nous le gravissons et j'atterris dans un large couloir recouvert de tapis persans. Les murs sont tendus de Velours blanc rehaussé de fil d'or. Ce luxe ! Ce pognon répandu, mes amis !
Mon mentor me fait pénétrer dans un boudoir où l'on aimerait faire tout sauf bouder. Les murs sont tapissés de peau de Suède (la peau de Suède, en Italie, ça vaut chéro, car il faut payer le voyage !) Les meubles sont anglais style Regency. Je prends place dans un fauteuil et j'attends la suite des événements. Un parfum délicat flotte dans l'air à l'Aronde ! (comme on dit chez Simca). Une tiédeur berceuse m'enveloppe. Au mur il y a un Pieu oc, un Chagall et un Buitoni de l'époque rosi, c’est vous dire !
Une lourde capitonnée s'ouvre sans bruit et votre petit camarade San-A en prend plein ses tiroirs. Oh ! pardon, cette apparition ! Même au Châtelet on n'a jamais vu ça. Imaginez une personne d'une trente-cinquantaine d'années (mais qui ne les parait pas), carrossée comme Vénus au temps de sa jeunesse ; blonde, de ce blond fabuleux des Italiennes qui ne sont pas brunes ; avec de grands yeux noirs, de longs cils, un teint ocre, une bouche faite pour tutoyer et de longues jambes de vedette américaine.
Quelle vision extatique ! La dame porte un déshabillé de soie blanche, noué à la taille par une tresse dorée. Quand elle marche, les pans du déshabillé s'écartent légèrement, dévoilant un peu plus haut ses jambes phénoménales ! Mettez-m'en dix commak et emballez-les-moi, c'est pour offrir, les gars !
Elle a l'habitude de produire son petit effet, car elle m'accorde douze secondes trois dixièmes pour me remettre avant de me demander d'une voix qui me met les trompes d'Eustache en portefeuille.
— Qui êtes-vous ?
— Mon nom ne vous dirait rien, bredouille cette pauvre crêpe court-circuitée de San-Antonio.
— Ça n'est pas une raison pour me le taire, objecte la ravissante dadame.
Pour me le taire ! Pas d'erreur, I am dans la high society ! J'aurais dû passer des gants beurre frais et me pourvoir d'un chapeau claque.
— Mon nom est Bienvenu Celliny, fais-je.
— Et vous désirez ?
— Je viens de la part de Donato.
— Quel Donato ?
— Celui du cirque, dis-je à brûle-pourpoint.
Elle a un pli entre les deux yeux, soudain.
— Je ne comprends pas.
— Vous avez entendu parler du cirque Barnaby ? fais-je avec un sourire langoureux.
— J'ai de bonnes raisons pour cela, puisque mon pauvre chauffeur a été poignardé cette nuit près de ces saltimbanques !
J'avale le mot saltimbanque et j'enchaîne :
— Justement, c'est à cause de ce drame que je viens. Donato et son camarade sont très ennuyés. Ils ne peuvent vous contacter ; directement et m'ont chargé de vous demander de venir les voir ce soir, après la représentation, dans le terrain vague au bout de la place.
J'ai dû y aller un peu fort. La signora ouvre des bigarreaux gros comme des lanternes vénitiennes.
— Mais que me racontez-vous, monsieur ! s'exclame-t-elle avec une vivacité toute latine. Je ne comprends rien à ce que vous me dites ! Je trouve même votre visite très étrange.
Au lieu de protester, je m'approche de la lourde à pas feutrés et je l'ouvre brusquement. Le larbin qui se tenait accroupi contre le panneau, choit dans la pièce. Je ramasse son râtelier sur la carpette et le lui cloque dans la main.