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Sa maladie serait-elle d’ordre financier ? Voire politique ?

Il y en avait deux colonnes dans la même veine. Il était évident que Ben essayait de contraindre l’administration à abattre son jeu. Jill pensa qu’il prenait un gros risque en affrontant ainsi les autorités, mais elle n’avait aucune idée de la gravité du danger ni de la forme qu’il prendrait.

Elle feuilleta le journal. Il était plein d’articles sur le Champion, de photos du secrétaire général Douglas distribuant des médailles, d’interviews du capitaine van Tromp et de son courageux équipage, de photos de Martiens et de villes martiennes. Sur Smith, il n’y avait guère qu’un communiqué disant qu’il se remettait lentement des effets du voyage.

Ben revint et posa une poignée de pelures sur ses genoux. « Tenez, un autre journal », et il ressortit.

Jill vit que le « journal » était une transcription du premier enregistrement. Il était marqué « première voix », « deuxième voix », etc., mais Ben avait rajouté à la main les noms qu’il avait pu reconnaître. En tête, une note disait : « Toutes les voix sont masculines. »

La plupart des répliques prouvaient simplement qu’il avait bu et mangé, qu’on l’avait lavé et massé, et qu’il avait pris de l’exercice sous la direction du docteur Nelson et d’un second personnage identifié comme le « deuxième médecin ».

Un passage n’avait toutefois rien à voir avec ces soins quotidiens. Jill le relut :

Docteur Nelson : Comment allez-vous, mon garçon ? Vous sentez-vous la force de parler ?

Smith : Oui.

Docteur Nelson : Un homme voudrait vous parler.

Smith (une pause) : Qui ? (Caxton avait ajouté : toutes les répliques de Smith sont précédées par des pauses.)

Nelson : Cet homme est notre grand (mot guttural impossible à transcrire – du Martien ?). C’est le plus vieux de nos Anciens. Lui parlerez-vous ?

Smith (très longue pause) : Je suis grand heureux. L’Ancien parlera, je l’écouterai et grandirai.

Nelson : Non ! Il veut vous poser des questions.

Smith : Je ne peux rien apprendre à un Ancien.

Nelson : L’Ancien le désire. Pourra-t-il vous poser des questions ?

Smith : Oui.

(Bruits de fond.)

Nelson : Par ici, monsieur. Le docteur Mahmoud pourra vous servir d’interprète.

(Jill lut : « Nouvelle voix », mais Caxton l’avait biffé et avait mis à la place : « Secrétaire général Douglas !!! »)

Douglas : Je n’aurai pas besoin de lui. Vous m’avez bien dit que Smith comprend l’anglais ?

Nelson : À la fois oui et non, Excellence. Il connaît un assez grand nombre de mots, mais, comme le dit Mahmoud, il lui manque le contexte culturel auquel les relier. C’est parfois assez déconcertant.

Douglas : Je suis certain que cela ira. Lorsque j’étais jeune, j’ai traversé le Brésil en stop, et au début je ne connaissais pas un mot de portugais. Si vous voulez bien nous présenter, puis nous laisser.

Nelson : Excellence ? Il vaudrait mieux que je reste avec mon patient.

Douglas : Vraiment, docteur ? Excusez-moi, mais je dois insister.

Nelson : C’est moi qui dois insister… Vraiment désolé, Excellence, mais l’éthique médicale…

Douglas (l’interrompant) : Étant avocat, je connais la jurisprudence médicale. Épargnez-moi ces histoires d’« éthique médicale ». Le patient vous a-t-il choisi ?

Nelson : Pas exactement, mais…

Douglas : Je doute en effet qu’il ait eu l’opportunité de choisir ses médecins. De fait, il est pupille de l’État, et j’agis en tant que son plus proche parent de facto – et, comme vous le verrez, également de jure. Je désire l’interroger seul.

Nelson (longue pause, puis, avec raideur) : S’il en est ainsi, Excellence, je me retire du cas.

Douglas : Ne le prenez pas ainsi, docteur. Je ne doute pas de la qualité de vos soins. Vous n’empêcheriez pas une mère de voir son fils seule à seul, n’est-ce pas ? Craignez-vous que je lui fasse du mal ?

Nelson : Non, mais…

Douglas : Quelle objection faites-vous alors ? Allons, présentez-nous, qu’on en finisse. Ces discussions sont certainement mauvaises pour le moral de votre patient.

Nelson : Je vais vous présenter, Excellence. Ensuite, vous devrez choisir un autre docteur pour votre… pupille.

Douglas : Je suis vraiment désolé, docteur. Je suis certain que ce n’est pas votre dernier mot. Nous en reparlerons par la suite. Si vous voulez bien ?

Nelson : Par ici, monsieur. Fils, voici notre grand Ancien.

Smith (impossible à transcrire).

Douglas : Que dit-il ?

Nelson : Ce sont des salutations respectueuses. Mahmoud dit que cela peut se traduire par : « Je ne suis qu’un œuf », ou à peu près. Mais c’est amical. Fils, parlez comme les hommes.

Smith : Oui.

Nelson : Et servez-vous de mots simples, si je puis vous donner un dernier conseil.

Douglas : Je n’y manquerai pas.

Nelson : Au revoir, Excellence. Au revoir, fils.

Douglas : Merci, Docteur. À bientôt.

Douglas (continue) : Comment vous sentez-vous ?

Smith : Me sens bien.

Douglas : Parfait. Si vous désirez quoi que ce soit, vous n’avez qu’à le demander. Nous voulons que vous soyez heureux. J’aimerais que vous fassiez quelque chose pour moi. Vous savez écrire ?

Smith : Écrire ? Qu’est-ce que c’est, écrire ?

Douglas : L’empreinte de votre pouce suffira. Je vais vous lire un papier. Il y a un tas de termes légaux, mais en résumé cela veut dire qu’en quittant Mars vous avez renoncé à – je veux dire : abandonné – tous les droits que vous pouviez y avoir. Vous comprenez ? Vous cédez ces droits au gouvernement.

Smith (pas de réponse).

Douglas : Voyons, mettons les choses ainsi : vous ne possédez pas Mars, n’est-ce pas ?

Smith (pause plutôt longue) : Je ne comprends pas.

Douglas : Hum… Essayons autrement. Vous voulez rester ici ?

Smith : Je ne sais pas. Les Anciens m’ont envoyé. (Suit un long discours intraduisible, ressemblant à un combat entre un chat et un crapaud.)

Douglas : Crénom, ils auraient pu lui apprendre un peu mieux l’anglais, depuis le temps. Ne vous inquiétez pas, fiston, Mettez l’empreinte de votre pouce au bas de cette page. C’est très simple. Donnez-moi votre main droite. Non, pas en la tordant comme ça. Calmez-vous ! Je ne vais pas vous faire du mal… Docteur ! Docteur Nelson !

Deuxième docteur : Monsieur ?

Douglas : Allez chercher le docteur Nelson.

Deuxième docteur : Le docteur Nelson ? Mais il est parti, monsieur. Il a dit que vous lui aviez retiré la charge de ce patient.

Douglas : Nelson a dit cela ? Damnation ! Eh bien, faites quelque chose ! Une piqûre, pratiquez la respiration artificielle… Ne restez pas comme ça à ne rien faire – vous ne voyez pas qu’il est mourant ?

Deuxième docteur : Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’intervenir, monsieur. Si on le laisse tranquille, il en sortira tout seul. C’est toujours ainsi qu’agissait le docteur Nelson.