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— Vous croyez vraiment qu’ils nous suivent Ben ? Brrr… Je ne suis pas faite pour cette vie-là.

— Chansons ! Quand je m’occupais des scandales de la General Synthetics, je ne dormais jamais deux nuits de suite dans le même lit et ne mangeais que des conserves. On s’y fait – ça stimule métabolisme.

— Mon métabolisme n’en a pas besoin. Tout ce qu’il me faut, c’est un malade plutôt âgé, et très riche.

— Alors vous ne voulez pas devenir ma femme, Jill ?

— Lorsque mon futur mari aura cassé sa pipe, je serai peut-être assez riche pour pouvoir vous entretenir.

— Si on commençait dès ce soir ?

— Lorsqu’il aura cassé sa pipe, pas avant. »

Ils dînèrent. Le show musical qui leur cassait les oreilles cessa, et un visage souriant apparut à sa place. « Le Réseau Stéréo du Nouveau Monde, R.S.N.M., et les Losanges Malthusiens À la Page ont le plaisir et l’honneur de vous présenter une émission officielle de portée historique. Et n’oubliez pas que toutes les femmes à la page utilisent À la Page. Discret, de goût agréable, garanti cent pour cent efficace, en vente partout sans ordonnance. Pourquoi utiliser des méthodes dépassées, inesthétiques, nuisibles et peu sûres ? Pourquoi risquer de perdre son amour et son respect ? » Le speaker se hâta de terminer la publicité : « Et, tout juste avant le secrétaire général, voici la Femme à la Page ! »

Apparut l’image en relief d’une jeune femme si séduisante, si sensuelle et aux avantages naturels si prononcés qu’elle ne pouvait que dégoûter tous les mâles des ressources locales. Elle s’étira langoureusement et dit d’une voix suggestive : « Moi, j’utilise toujours À la Page. »

Son image disparut et un orchestre entonna Ô Paix souveraine. Ben demanda : « Est-ce que vous utilisez À la Page ?

— Ça ne vous regarde pas ! » Jill parut offusquée et ajouta : « C’est un élixir de charlatan. Et qu’est-ce qui vous permet de supposer que j’en aie besoin ? »

Caxton ne répondit pas. Les traits paternels de Douglas étaient apparus dans le « réservoir ». Il commença : « Amis citoyens de la Fédération, un honneur sans précédent m’échoit ce soir. Depuis le retour triomphal du navire-pionnier Champion…» Il félicita ensuite les citoyens de la Terre de ce contact réussi avec une autre planète et une autre race. Il réussit à impliquer que cet exploit était une réussite personnelle de chaque citoyen, que chacun d’eux aurait pu diriger l’expédition, et que lui, le secrétaire Douglas, n’avait été que l’humble instrument de la volonté publique. Mais ce n’était jamais dit grossièrement ; simplement, il donnait l’impression que l’homme de la rue était l’égal de tous, et meilleur que la plupart – et que le bon vieux Joe Douglas était l’un d’eux. Sa cravate légèrement froissée et ses cheveux hâtivement gominés avaient juste la qualité qu’il fallait.

Ben Caxton se demanda qui avait écrit son texte. Sans doute Jim Sanforth – il n’avait pas d’égal pour choisir les adjectifs qui apaisent et ceux qui excitent. Il avait fait de la publicité avant d’entrer dans la politique, et ignorait les scrupules. Oh oui, le morceau sur « la main qui balance le berceau » était bien de lui. Jim aurait été capable de séduire une jeune fille avec des bonbons.

« Fermez ça, le supplia Jill.

— Du calme, ma jolie. Je veux entendre la suite.

— … et ainsi, amis, j’ai l’honneur et le privilège de vous présenter notre concitoyen Valentin Michaël Smith, l’Homme de Mars ! Nous savons que ça n’allait pas fort, Mike, et que vous êtes encore fatigué – mais vous direz quand même quelques mots à vos amis du monde entier ? »

La scène passa à un plan américain d’un homme assis dans un fauteuil roulant. Douglas était penché vers lui ; à l’arrière-plan on apercevait une infirmière, raide, amidonnée et photogénique.

Jill ouvrit la bouche. « Chut ! » lui murmura Ben.

Le doux visage de bébé de l’homme assis dans la chaise s’éclaira d’un sourire. Il regarda la caméra et dit : « Bonjour, tous. Excusez-moi de rester assis, mais je suis encore faible. » Il semblait avoir du mal à parler. L’infirmière approcha et prit son pouls.

En réponse à des questions de Douglas, il félicita le capitaine van Tromp et son équipage, les remercia de l’avoir sauvé et dit que les Martiens étaient passionnés par ces contacts avec la Terre et qu’il espérait pouvoir contribuer à l’établissement de relations pacifiques entre les deux planètes. L’infirmière l’interrompit, mais Douglas lui demanda s’il se sentait la force de répondre à une dernière question. « Bien sûr, Mr Douglas… si je connais la réponse.

— Mike ? Que pensez-vous de nos filles ? »

Le visage de bébé de Smith s’éclaira d’un large sourire et il roula extatiquement des yeux en poussant une exclamation enthousiaste. La caméra revint au secrétaire général. « Mike m’a demandé de vous dire, continua-t-il sur un ton paternel, qu’il reviendrait vous parler dès qu’il le pourra. Il doit se forger des muscles, vous savez. Sans doute la semaine prochaine, si les docteurs le trouvent assez fort. » On revit les Losanges À la Page, et un petit scénario fit comprendre qu’une femme qui ne les utilisait pas avait non seulement complètement perdu la tête mais que les hommes risquaient fort de changer de trottoir en la voyant arriver. Ben changea de programme, puis se tourna vers Jill et lui dit mélancoliquement : « Je peux déchirer l’article que j’avais préparé pour demain. Douglas l’a à sa merci.

— Ben !

— Oui ?

— Ce n’était pas lui !

— Quoi ? Vous en êtes certaine ?

— Oh, il lui ressemblait. Mais ce n’était pas le patient que j’ai vu dans la chambre gardée. »

Ben lui fit remarquer que des dizaines de personnes avaient vu Smith – gardiens, internes, infirmiers, le capitaine et l’équipage du Champion, pour ne citer qu’eux. Quelques-uns au moins avaient dû voir l’émission. Ce n’était pas possible : le risque était trop gros.

Jill avança la lèvre inférieure et affirma de nouveau que la personne qu’ils avaient vue à la stéréo n’était pas le patient avec lequel elle avait parlé. Elle finit par exploser : « Bien, bien. Pensez ce que vous voudrez. Ah, les hommes !

— Mais Jill…

— Raccompagnez-moi ; je voudrais partir. »

Ben ne demanda pas un taxi au garçon, mais alla en chercher un au parking d’un hôtel voisin. Pendant le trajet, Jill demeura de glace. Ben sortit les transcriptions et les relut, puis réfléchit un long moment et dit : « Jill ?

— Oui, monsieur Caxton ?

— Je vous en donnerai, du « monsieur » ! Écoutez-moi, Jill. Je vous présente mes excuses. Je m’étais trompé.

— Et qu’est-ce qui vous a amené à cette conclusion ?

— Ça, dit-il en faisant claquer les papiers sur son genou. Il est impossible qu’après son comportement d’hier, Smith ait donné cette interview aujourd’hui. Il aurait lâché les commandes… serait entré en transes.

— Je suis très flattée que vous voyez enfin l’évidence.

— Jill, si vous voulez être gentille, donnez-moi un coup de pied une fois pour toutes puis laissez tomber. Savez-vous ce que cela signifie ?

— Cela signifie qu’ils ont mis un acteur à sa place. Je vous l’ai déjà dit il y a une heure.

— Oui, un excellent acteur, et qui a bien répété son rôle. Mais il n’y a pas que cela. Selon moi, il y a deux possibilités. La première est que Smith soit mort, et…