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— Je crois en effet qu’ils sont venus d’un endroit comme ça. Myriam me l’a dit, mais je ne me souviens plus ; je n’ai jamais voyagé. Je gnoque que tous les endroits sont pareils – les gens sont comme partout. Voilà. Vous tenez Abigaël pendant que je m’occupe de Fatima ? »

Jubal prit Abby et lui raconta qu’elle était la plus belle fille du monde, puis fit de même pour Fatima. Et toutes deux le crurent.

Il partit à regret, après avoir caressé Gueule de Miel et lui avoir dit la même chose.

En sortant, ils tombèrent sur la mère de Fatima. « Patron chéri ! » Elle l’embrassa et caressa sa bedaine. « Je vois que vous ne vous êtes pas laissé mourir de faim.

— Je viens de caresser votre fille. Une adorable poupée, Myriam.

— Elle est pas mal, hein ? Nous allons la vendre à Rio.

— Je croyais que le marché était plus favorable au Yémen ?

— Mahmoud dit que non. Il faut la vendre pour faire de la place. » Elle prit la main de Jubal et lui fit sentir son ventre. « Mahmoud et moi fabriquons un garçon. On n’a pas le temps de faire des filles.

— Il ne faut pas parler comme ça, Myriam, la gronda Patty.

— Désolée. Je ne parlerai pas comme ça de votre bébé. Tante Patty ne me trouve pas très distinguée.

— Je gnoque qu’elle a raison, petite coquine. Mais si Fatima est à vendre, je double la mise du plus offrant.

— Parlez-en à tante Patty. J’ai tout juste le droit de la voir de temps en temps.

— N’y allez pas trop souvent, vous seriez tentée de la garder. Faites voir vos yeux… oui, c’est bien possible.

— C’est certain. Mike l’a gnoqué très soigneusement.

— Comment peut-il ? Je ne suis même pas sûr que vous soyez enceinte.

— Si, si, Jubal », confirma Patricia.

Myriam le regarda sereinement. « Toujours sceptique, patron ? Mike l’a gnoqué alors que nous étions encore à Beyrouth, et ne le savions pas nous-mêmes. Il nous l’a téléphoné, et nous avons décidé de fêter l’événement en prenant des vacances. Et nous voici.

— Et que faites-vous ?

— Nous travaillons, et bien plus dur que chez vous. Mon mari est un vrai bourreau de travail.

— Mais que faites-vous ?

— Ils écrivent un dictionnaire martien, expliqua Patty.

— Martien-anglais ? Ça doit être difficile.

— Oh non ! s’exclama Myriam. Ce serait même impossible. Non, une sorte de Larousse martien. Mon rôle est d’ailleurs modeste : je tape le manuscrit définitif. Mahmoud et Mike ont mis au point un système de transcription phonétique en quatre-vingt-un caractères. Nous avons fait transformer une machine I.B.M., en utilisant les majuscules et les minuscules. Je ne suis plus bonne à rien comme secrétaire, patron chéri. Je ne sais plus taper qu’en martien. Vous m’aimerez quand même ? Je sais toujours faire la cuisine… et on me dit que j’ai d’autres talents.

— Je dicterai en martien.

— Certainement ; dès que Mike et Mahmoud en auront terminé avec vous, je gnoque. N’est-ce pas, Patty ?

— Tu as parlé juste, mon frère. »

Ils retournèrent au living. Caxton entraîna Jubal dans un endroit plus calme – en l’occurrence, un autre living. « Vous avez plusieurs appartements ?

— Tout l’étage, en fait ; il comprend la suite royale, la présidentielle, la princière et celle du propriétaire. Elles communiquent et ne sont accessibles que par notre aire d’atterrissage privée… et par une entrée qui n’est pas très sûre. On vous a mis au courant ?

— Oui.

— Pour le moment, cela nous suffit, mais il y a de plus en plus de gens qui s’infiltrent.

— Comment pouvez-vous vous cacher si ouvertement ? Le personnel de l’hôtel doit bien se douter de quelque chose.

— Le personnel ne vient jamais ici. Car, voyez-vous, l’hôtel appartient à Mike.

— Je pense que cela ne fait qu’empirer la situation.

— Pas tant que Mr. Douglas ne sera pas à la solde de notre vaillant chef de la police. Mike l’a acquis par l’intermédiaire de quatre hommes de paille successifs, et Douglas n’espionne pas ses factures. Le propriétaire officiel est un des membres clandestins de notre Neuvième Cercle, et il se réserve cet étage pour la saison. Le directeur de l’hôtel ne lui demande pas pourquoi : il aime son travail. C’est une bonne cachette, en attendant que Mike ait gnoqué où nous allons.

— On dirait que Mike avait prévu que cela arriverait.

— C’est certain. Il y a déjà deux semaines, il a fait partir tous les petits, sauf Myriam et son bébé, car il a toujours besoin d’elle. Les membres ayant des enfants sont allés dans d’autres villes, des villes où il compte établir de nouveaux temples, je suppose. Le moment venu, nous n’étions plus qu’une douzaine ; tout s’est passé dans le calme.

— Mais c’est tout juste si vous avez pu vous en sortir vivants ! Vous avez perdu toutes vos possessions personnelles ?

— Tout ce qui était important a été sauvé : les enregistrements de Mahmoud et la machine spéciale qu’utilise Myriam… même votre affreux portrait. Mike a aussi pris quelques vêtements et de l’argent liquide.

— Mais je croyais que Mike était en prison ? objecta Jubal.

— Son corps était en prison, plongé dans la méditation, mais il était avec nous. Vous comprenez ?

— Je ne gnoque pas.

— Il était en rapport constant, surtout avec Jill, mais nous formions une chaîne très unie. Cela ne s’explique pas, Jubal ; il faut l’avoir fait. Lorsque le Temple a sauté, il nous a transportés ici, puis est retourné chercher les objets. »

Jubal haussa les sourcils, ce qui exaspéra Caxton. « C’est tout simplement de la téléportation. Je ne vois pas ce qu’il y a de si difficile à gnoquer. Vous m’avez dit de ne pas fermer les yeux devant un miracle. Je les ai ouverts, et j’en ai vus. Ce ne sont d’ailleurs pas plus des « miracles » que la radio. Vous gnoquez la radio ? Ou la stéréovision ? Ou les calculatrices électroniques ?

— Moi ? Non.

— Moi non plus. Mais je le pourrais, si j’avais le temps et le courage d’apprendre le langage de l’électronique. Cela n’a rien de miraculeux, mais c’est complexe. La téléportation est simple une fois que l’on a appris son langage. C’est le langage qui est difficile.

— Êtes-vous capable de le faire, Ben ?

— Oh non. Cela ne s’apprend pas au jardin d’enfants. Je suis diacre honoris causa parce que je suis un des Premiers Appelés, mais en fait j’en suis tout juste au Quatrième Cercle. Je commence à apprendre le contrôle de mon corps. Patty est la seule qui se serve régulièrement de la téléportation, et je ne suis pas certain qu’elle le fasse sans le soutien de Mike. Mike, lui, dit qu’elle en est capable, mais Patty est étonnamment humble et naïve, malgré son génie. Elle se croit dépendante de lui, mais je pense qu’elle a tort. Jubal, je gnoque que nous n’avons pas réellement besoin de Mike. Vous auriez pu être l’Homme de Mars, ou moi. Mike est comme le premier homme qui a découvert le feu. Le feu a toujours existé mais les hommes n’ont pu s’en servir que lorsqu’il leur eut montré comment faire… du moins, ceux qui étaient assez sensés pour ne pas se brûler. Vous me suivez ?

— Je gnoque un peu.

— Mike est notre Prométhée, rien de plus. Il ne cesse de le répéter. Tu es Dieu, je suis Dieu… tout ce qui gnoque est Dieu. Mike est un homme. Un homme supérieur, sans doute. Un homme de moindre envergure, ayant appris ce que les Martiens savent, se serait fait passer pour une sorte de dieu. Mike est au-dessus de cette tentation. Prométhée, oui, mais rien de plus. »