Sam secoua la tête. « Personnellement, cela ne m’intéresse pas, mais demandez à ce grand Juif là-bas – c’est mon cousin Saül. Lui et Allie ont beaucoup gnoqué le sujet. Michaël leur a demandé d’être très prudents ; ils évitent de trop grands mouvements de fonds et se servent de comptes établis à de faux noms. Mais à la base, n’importe quel disciple peut gagner n’importe quelle somme dans n’importe quel domaine : immobilier, bourse, jeu, chevaux, tout ce que vous voudrez. Non, l’argent et la propriété ne disparaîtront pas ; Michaël dit que ce sont des concepts utiles. Mais ils vont être complètement bouleversés, et les gens devront apprendre de nouvelles règles (ce qui leur sera aussi difficile que cela nous l’a été) s’ils ne veulent pas être complètement dépassés. Qu’arrivera-t-il à la Lunar Enterprises lorsqu’il sera devenu pratique courante de se rendre à Luna City par téléportation ?
— Dois-je vendre ou acheter ?
— Demandez à Saül. Peut-être se servira-t-il de la corporation existante, peut-être la coulera-t-il. Prenez n’importe quelle occupation, d’ailleurs. Que voulez-vous qu’un maître d’école fasse d’un enfant qui en sait plus que lui ? Que feront les médecins lorsqu’il n’y aura plus de malades ? Qu’arrivera-t-il à l’industrie du vêtement lorsque les femmes ne seront plus tellement obsédées par la mode (elles le resteront toujours un peu) et que la plupart des gens se promèneront nus ? Et que deviendra l’industrie chimique lorsqu’on dira aux herbes de ne plus pousser, et que, de plus, la moisson se fera toute seule, sans machines ? La discipline rendra tout méconnaissable. Prenez un changement qui affectera à la fois le mariage sous sa forme actuelle et la propriété. Savez-vous combien on dépense annuellement dans ce pays pour des drogues et appareils contraceptifs ?
— J’en ai une assez bonne idée. Près d’un milliard rien que pour les contraceptifs oraux… dont la moitié ne valent rien.
— Ah c’est vrai ! J’oubliais que vous étiez médecin.
— Oh, juste en passant.
— Que deviendra cette industrie – sans parler des menaces des moralistes – lorsqu’une femme ne concevra plus que par un acte de sa volonté, lorsqu’elle sera à l’abri de la maladie, ne se souciera pas de l’approbation de la société… et de plus aura tellement changé son orientation psychique qu’elle désirera faire l’amour de tout son être, avec une spontanéité qui aurait fait rêver Cléopâtre ? Soit dit en passant, tout mâle qui tenterait de la violer se retrouverait dans l’au-delà avant même de savoir ce qui lui arrive. Lorsque les femmes seront libérées de la peur et de la culpabilité, et de plus invulnérables, l’industrie pharmaceutique ne sera d’ailleurs qu’une victime entre bien d’autres industries, lois, institutions, attitudes, préjugés et autres stupidités qui toutes devront céder la place !
— Je ne gnoque pas avec plénitude, admit Jubal. Ce sujet ne m’intéresse personnellement que fort peu.
— Une institution ne sera toutefois pas détruite : le mariage.
— Vraiment ?
— Oh oui. Il sera purifié, renforcé, et deviendra supportable. Que dis-je, « supportable » ? Extatique ! Vous voyez cette fille aux longs cheveux noirs ?
— Oui. J’admirais leur beauté tout à l’heure.
— Elle sait qu’ils sont beaux ; ils ont poussé de trente centimètres depuis que nous sommes avec Mike. C’est ma femme. Il n’y a guère plus d’un an, nous vivions ensemble comme deux chiens hargneux. Elle était jalouse, et j’étais… indifférent. Nous nous ennuyions à mort, et seuls nos enfants nous ont empêchés de nous séparer. Cela et son besoin de posséder. Je savais que cela ferait un scandale monstre si je la quittais, et puis me remarier à mon âge… Alors, je flirtais un peu à droite et à gauche. Un professeur a de nombreuses tentations, mais peu d’occasions dénuées de danger. Ruth était amère mais se taisait. Pas toujours, d’ailleurs. Et puis, nous avons rejoint l’église. » Sam sourit joyeusement. « Et je suis tombé amoureux de ma femme. Elle est ma petite amie numéro un ! »
Sam n’avait parlé qu’à Jubal, et sa voix se noyait dans le bruit des conversations. Sa femme étais assise à l’autre bout de la table. Elle regarda dans leur direction et dit d’une voix claire et forte : « Ce que Sam dit est exagéré, Jubal. Je dois être environ le numéro six. »
Son mari lui cria : « Hors de mon esprit, beauté ! Nous parlons entre hommes. Donne toute ton attention à Larry. » Il lui jeta un petit pain, qu’elle arrêta à mi-vol et lui rejeta.
« Je donnerai à Larry toute l’attention qu’il mérite… en attendant la suite. Excusez-moi, Jubal, cette brute ne m’a pas laissé terminer. C’est merveilleux d’avoir la sixième place ! Il y a vingt ans que mon nom n’était même plus sur la liste.
— En fait, dit Sam calmement, nous sommes plus proches que nous ne l’avons jamais été, et nous le devons à la discipline qui culmine dans le partage et le rapprochement avec d’autres qui ont suivi la même discipline. À l’intérieur du groupe, nous finissons tous par former des associations stables, généralement avec nos conjoints légaux. Quand il en va autrement, la réadaptation se fait sans douleur et crée à l’intérieur du couple « divorcé » des relations meilleures et plus intimes que jamais, au lit et ailleurs. Rien à perdre et tout à gagner. Il n’est même pas nécessaire que ce soit entre un homme et une femme. Aube et Jill, par exemple ; elles travaillent ensemble comme un couple d’acrobates.
— Ah ? Dans mon esprit, elles étaient les femmes de Mike.
— Pas plus que les miennes ou que Mike n’est le mari de quiconque. Mike a bien trop de travail pour faire plus que donner à chacun sa part. » Sam ajouta : « Si quelqu’un est la femme de Mike, c’est Patty, bien qu’elle soit si occupée que leurs relations sont plus spirituelles que physiques. Mike et Patty sont toujours à court quand il s’agit d’aller au lit. »
Ruth se pencha vers eux. « Je ne me sens pas à court, Sam chéri.
— Ce qui ne marche pas dans cette église, c’est qu’il n’est même plus possible d’avoir un moment de solitude ! »
D’un commun accord, tous ses frères féminins le bombardèrent d’objets divers. Il rejeta le tout sans bouger le petit doigt… jusqu’à ce qu’une platée de spaghettis l’atteignît en plein visage. Jubal avait pu remarquer qu’elle avait été lancée par Dorcas.
Pendant un moment, Sam ressembla à une victime pitoyable, puis son visage se nettoya – même la sauce qui avait éclaboussé la chemise de Jubal disparut. « Ne lui en redonne plus, Tony ! Elle l’a gâché ; laisse-la avoir faim.
— Il y en a encore plein à la cuisine, rétorque Tony. Tu sais que les spaghettis te vont bien, Sam ? Ma sauce est bonne, hein ?
— Très bonne », admit Sam. Pendant qu’il parlait, l’assiette de Dorcas vola vers la cuisine et revint remplie à ras bord. « J’ai léché ce que j’avais sur les lèvres. Qu’est-ce que c’est ? Ou est-ce un secret professionnel ?
— Du policier haché », répondit Tony.
Personne ne rit, et Jubal se demanda si cette plaisanterie en était vraiment une. Puis il se souvint que ses frères souriaient beaucoup mais riaient rarement, D’autre part, se dit-il, le policier, ça doit être nourrissant. Mais ce ne devait pas être du « long cochon », car la sauce avait un goût de bœuf et non de porc.