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Il changea de sujet. « Ce qui me plaît le plus dans la religion…

— La religion ? le coupa Sam.

— L’église, si vous préférez.

— Oui, acquiesça Sam. Le Nid remplit toutes les fonctions d’une église, et sa quasi-théologie se rapproche de celle de plusieurs vraies religions. J’étais un athée inébranlable – et maintenant me voilà grand prêtre ; je ne sais d’ailleurs même plus ce que je suis.

— J’avais cru comprendre que vous étiez juif.

— Et descendant d’une longue lignée de rabbins, ce qui fait que je me suis retrouvé athée. Et voyez ce que je suis devenu ! Saül et ma femme Ruth sont des Juifs pieux, eux, mais ce n’est pas un handicap. Parlez-en avec Saül. Les premiers obstacles franchis, Ruth a évolué plus rapidement que moi. Elle était prêtresse bien avant que je ne sois ordonné. Mais elle est très spirituelle ; elle pense avec ses gonades. Pour moi, ce fut moins facile : je n’avais que mon cerveau.

— C’est la notion de discipline qui me plaît dans tout cela, dit Jubal. J’ai été élevé dans une religion qui ne vous demandait pas d’apprendre quoi que ce soit. Confessez vos péchés et vous serez sauvés, droit dans les bras de Jésus. Un homme trop stupide pour compter un troupeau de moutons est considéré comme un élu simplement parce qu’il a été « converti », sans même avoir besoin d’étudier la Bible, ce dont il aurait d’ailleurs été bien incapable. Votre église n’accepte pas la « conversion », si je gnoque bien…

— Vous gnoquez juste.

— Au départ, il faut avoir le désir d’apprendre et le courage d’entamer des études longues et difficiles. Je trouve cela fort salutaire.

— Plus que salutaire, renchérit Sam, indispensable. On ne peut concevoir les concepts tant qu’on ne connaît pas le langage. Et cette discipline, qui est une véritable corne d’abondance – elle nous apprend tout : de comment vivre sans lutter à comment plaire à votre femme – a pour base une logique conceptuelle : la compréhension de ce que vous êtes, de la raison pour laquelle vous existez, de la façon dont vous fonctionnez… ce qui implique que vous vous comportez en conséquence. Le bonheur consiste à fonctionner de la façon dont nous sommes organisés pour fonctionner. C’est difficile à exprimer en anglais ; cela devient une tautologie vide de sens. En martien, cela devient une série d’instructions complètes et utilisables. Vous avais-je dit que j’avais un cancer en arrivant ici ?

— Hein ? Non.

— Je ne le savais même pas. Mike le gnoqua et m’envoya me faire radiographier pour que j’en sois certain. Puis, nous nous mîmes au travail. Un « miracle ». Une guérison par la « foi ». À la clinique, ils baptisèrent cela « rémission spontanée », ce qui, je gnoque, signifie tout simplement « guérison ».

— Oui, admit Jubal, ce sont leurs petits termes professionnels. Il y a des cancers qui disparaissent sans que l’on sache pourquoi.

— Je sais pourquoi celui-ci a disparu. Je commençais à avoir le contrôle de mon corps, et j’ai réparé les dégâts avec l’aide de Mike. Maintenant, je pourrais le faire seul. Voulez-vous entendre un cœur s’arrêter de battre ?

— Merci, je l’ai déjà observé sur Mike. Mais je pense que mon estimé collègue Nelson ne serait pas ici s’il s’agissait de guérisons miraculeuses. Il s’agit d’un contrôle volontaire. Je gnoque.

— Nous savons tous que vous gnoquez.

— Hum… Je ne voudrais pas taxer Mike de menteur, ce qu’il n’est certainement pas, mais je crains qu’il n’ait des préjugés favorables en ce qui me concerne. »

Sam secoua la tête. « J’ai parlé avec vous tout au long du dîner pour me rendre compte par moi-même si ce que Mike disait était exact. Vous gnoquez. Je me demande ce que vous pourriez nous apprendre si vous vouliez vous donner la peine d’étudier le martien.

— Rien. Je suis un vieillard qui n’a rien à vous apporter.

— Je réserve mon opinion. Tous les autres Premiers Appelés ont dû s’attaquer au langage pour faire de vrais progrès. Même les trois qui étaient restés avec vous ont eu une formation accélérée – les rares fois où nous avons pu les avoir, ils sont restés sous hypnose presque tout le temps. Tous, sauf vous… mais vous n’en avez pas besoin. À moins que vous ne vouliez être capable d’essuyer des spaghettis sur votre visage sans l’aide d’une serviette – chose qui, si je gnoque bien, ne vous intéresse pas.

— Cela m’intéresse de le voir. »

La table s’était peu à peu vidée. Ruth vint se planter à côté d’eux. « Vous allez rester là toute la nuit ? Ou faut-il vous débarrasser avec les assiettes ?

— Ah, ces femmes qui portent la culotte ! Venez, Jubal. » Sam embrassa Ruth au passage et entraîna Jubal au living.

« Il y a du nouveau à la stéréo ? demanda Sam.

— Le procureur nous a accusés d’être les auteurs des dégâts, répondit quelqu’un, mais il n’a pas une seule fois admis qu’il n’ignorait pas par quels moyens ils avaient été causés.

— Le pauvre. Il a mordu une jambe de bois et maintenant il a mal aux dents. » Ils allèrent s’installer dans une pièce plus calme. « Oui, dit Sam. Nous nous attendions à ces troubles, et cela ne fera qu’empirer tant que nous ne contrôlerons pas une partie suffisante de l’opinion pour qu’on nous tolère. Mais Mike n’est pas pressé. L’Église de Tous les Mondes est fermée. C’est définitif. Nous allons nous installer ailleurs et créer la Congrégation de la Foi Unique ; on nous mettra de nouveau dehors. Ensuite, ce sera le Temple de la Grande Pyramide… celui-là attirera nombre de femelles grasses et stupides, dont certaines finiront par ne plus être ni grasses ni stupides. Et lorsque l’Ordre des Médecins, les journaux et les politiciens nous rendront la vie intolérable, nous changerons une fois de plus et créerons, ailleurs, la Fraternité du Baptisme. Chaque fois, nous aurons réussi à créer un noyau de disciples invulnérables. Il n’y a même pas deux ans que Mike a commencé ; il n’était pas encore certain de ses pouvoirs et n’avait pour l’aider que trois prêtresses sans aucune formation. Et maintenant, nous avons un Nid solide, sans compter un certain nombre de Chercheurs avancés. Un jour, nous serons trop forts pour qu’on puisse nous persécuter.

— C’est bien possible, admit Jubal. Jésus n’avait que douze disciples, et pourtant il a beaucoup fait parler de lui.

— Merci de l’avoir mentionné. Il représente la plus grande réussite de ma tribu. Et tous les Juifs le connaissent, bien que beaucoup ne parlent jamais de lui. Sa vie fut une grande réussite, et je suis fier de Lui. Remarquez d’ailleurs que Jésus n’était pas pressé : il a mis une organisation sur pied et l’a laissée évoluer. Mike aussi est patient. La patience fait partie intégrante de la discipline. Il ne faut jamais se presser.

— C’est une attitude saine en toutes circonstances.

— Ce n’est pas une attitude, mais le rythme même de la discipline. Jubal ? Je gnoque que vous êtes fatigué. Voulez-vous que je vous défatigue ou préférez-vous aller dormir ? Nos frères risquent de vous tenir éveillé toute la nuit. Nous dormons peu, vous savez. »

Jubal bâilla. « Je choisis un bon bain chaud et huit heures de sommeil. Je verrai mes autres frères demain… et les jours qui suivront.

— Oui, dit Sam. De nombreux jours. »

Jubal trouva sa chambre, où il fut immédiatement rejoint par Patty, qui lui fit couler son bain, arrangea son lit sans y toucher, et emplit un verre d’un mélange judicieux d’eau et de cognac, qu’elle posa sur le rebord de la baignoire. Jubal ne la pressa pas de partir ; elle était arrivée en exhibant toutes ses images, et il connaissait suffisamment le syndrome qui conduit à se faire tatouer pour savoir qu’elle serait blessée s’il ne manifestait pas le désir de les voir.