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Il se posa moins de problèmes que Ben en des circonstances analogues. Simplement, il se déshabilla et se rendit compte non sans fierté que cela ne lui faisait absolument rien, bien qu’il y eût des années qu’il ne s’était pas mis nu devant quelqu’un. Patty sembla à peine s’en apercevoir. Elle se contenta de vérifier la température de l’eau.

Puis, tandis qu’il se détendait dans l’eau chaude, elle lui expliqua les images.

Jubal fut impressionné, comme il convenait, et ne se montra pas avare de compliments, tout en conservant une attitude critique et objective. Il n’avait jamais vu des tatouages exécutés avec une telle virtuosité. Son amie japonaise était une carpette bon marché en comparaison de ce somptueux tapis d’Orient.

« Ils se modifient peu à peu, lui raconta-t-elle. Dans la scène de la nativité, par exemple, le mur du fond prend un aspect courbe, et le lit ressemble de plus en plus à une table d’accouchement. Personne n’y a touché depuis que Georges est monté au ciel, et je suis certaine qu’il est pour quelque chose dans ces changements miraculeux. »

Jubal conclut que Patty était gentille mais toquée. Il préférait les gens un peu dingues. Le « sel de la terre » l’ennuyait à mort. Patty était d’ailleurs la preuve vivante qu’il n’était pas nécessaire d’être « sain d’esprit » pour profiter de la discipline.

Sentant qu’elle était prête à partir, il le lui suggéra en lui demandant d’embrasser ses filleules pour lui : « J’étais tellement fatigué que j’ai oublié.

— Bien sûr. Le dictionnaire m’appelle, de toute façon. » Elle se pencha vers lui et l’embrassa, chaudement mais sans trop insister. « Je le transmettrai à nos bébés.

— Et une caresse pour Gueule de Miel.

— Je n’oublierai pas. Elle vous gnoque, Jubal. Elle sent que vous aimez les serpents.

— C’est bien. Partagez l’eau, frère.

— Tu es Dieu, Jubal. » Lorsqu’elle fut partie, Jubal se savonna et se rasa pour ne pas avoir à le faire avant le petit déjeuner. Toute lassitude avait disparu de son corps. Patty lui avait fait l’effet d’un tonique… Ne regrettait-il rien ? Non, il désirait rester ce qu’il était, un vieux bonhomme capricieux et casanier.

Lorsqu’il se fut séché, il alla verrouiller la porte et se mit au lit.

Il fut contrarié de ne trouver aucun livre, car la lecture était son vice majeur. Il se contenta donc de boire un verre de plus, puis éteignit la lumière.

Sa conversation avec Patty l’avait à la fois reposé et rendu alerte. Il ne dormait pas encore lorsque Aube entra.

« Qui est là ? dit-il dans le noir.

— C’est Aube, Jubal.

— Ça ne peut pas encore être l’aube ! Il n’était que… Oh !

— Oui, Jubal. C’est moi.

— Nom d’une pipe, je croyais pourtant avoir verrouillé la porte. Laissez-moi, mon enfant… hé ! Sortez de mon lit !

— Oui, Jubal. Mais je voudrais vous dire quelque chose avant.

— Oui ?

— Je vous aime depuis longtemps. Depuis presque aussi longtemps que Jill.

— Enfin voyons, quelle… Cessez de dire des bêtises et décampez d’ici.

— Bien sûr, Jubal, dit-elle avec humilité. Mais écoutez-moi, je vous en prie. Je voudrais vous dire quelque chose. Sur les femmes.

— Demain matin.

— Maintenant, Jubal. »

Il soupira. « J’écoute. Mais restez où vous êtes.

— Jubal… mon frère bien-aimé. Les hommes s’intéressent beaucoup à notre apparence physique. Nous faisons donc tout notre possible pour être belles. Vous savez que je faisais du strip-tease. Et c’était bon de laisser les hommes prendre plaisir à ma beauté. C’était bon pour moi de savoir qu’ils avaient besoin de ce que j’avais à leur donner.

« Mais les femmes ne sont pas comme les hommes, Jubal. Ce qui nous intéresse, c’est ce qu’un homme est. Ce peut être aussi stupide que : « Est-il riche ? » Ou alors : « Prendra-t-il bien soin de nos enfants ? » Et parfois, c’est : « Est-il bon ? » Bon comme vous l’êtes, Jubal. La beauté que nous voyons en vous n’est pas celle que vous cherchez en nous. Vous êtes beau, Jubal.

— Pour l’amour de Dieu, mon enfant !

— Je pense que vous dites vrai. Tu es Dieu et je suis Dieu, et j’ai besoin de toi. Je t’offre de l’eau. Veux-tu que nous la partagions et nous rapprochions ?

— Écoutez, mon petit, je comprends ce que vous m’offrez…

— Tu gnoques, Jubal. Partager tout ce que nous possédons. Nous-mêmes. Le Soi.

— Je le pensais. Vous avez beaucoup à partager, ma chère enfant, mais moi… vous arrivez bien des années trop tard. Je le regrette sincèrement, croyez-moi, et je vous remercie du fond du cœur. Et maintenant, laissez un vieil homme dormir tranquillement.

— Vous dormirez, lorsque l’attente sera accomplie. Je pourrais vous prêter des forces, Jubal, mais je gnoque clairement que ce n’est pas nécessaire. »

(Et ce ne l’était pas !) « Non, Aube. Je vous remercie vraiment. »

Elle se redressa et se pencha au-dessus de lui. « Un dernier mot. Jill m’a dit que si vous discutiez, je devais pleurer. Dois-je laisser couler mes larmes sur votre corps, et partager l’eau avec vous de cette façon ?

— Jill va avoir droit à la fessée !

— Oui, Jubal. Ça y est, je pleure. » Une chaude larme tomba sur sa poitrine, puis une autre… beaucoup d’autres. Elle sanglotait dans un silence presque total.

Jubal poussa un juron, puis l’attira vers lui… et coopéra avec l’inévitable.

36

Il y avait bien longtemps que Jubal traversait la sombre période qui sépare le lever de la première tasse de café en se disant que cela irait mieux le lendemain. Ce matin-là, il se réveilla reposé, alerte et heureux.

Il se surprit à siffloter, s’arrêta, haussa les épaules, et recommença.

Il sourit en se voyant dans le miroir : « Incorrigible vieux bouc, dit-il à sa réflexion, le corbillard ne tardera pas à venir te chercher. » Apercevant un long cheveu blanc sur sa poitrine, il l’arracha, sans se soucier de nombreux autres tout aussi blancs, et continua à s’apprêter pour faire face au monde.

En sortant, il tomba sur Jill. Par accident ? Il ne croyait plus guère aux coïncidences dans ce ménage aussi organisé qu’un computer. Elle se jeta dans ses bras. « Oh Jubal ! Nous t’aimons tellement ! Tu es Dieu. »

Il l’embrassa avec une ferveur égale à la sienne, gnoquant qu’il serait hypocrite d’agir autrement, de même qu’il décida une fois pour toutes de tutoyer tout le monde. Il s’aperçut qu’entre embrasser Aube et embrasser Jill il n’y avait qu’une différence indéfinissable, mais toutefois bien réelle.

Il l’écarta de lui. « Petite Messaline en herbe… c’est toi qui as ourdi ce complot !

— Jubal chéri… tu as été merveilleux !

— Mais comment diable pouvais-tu savoir que j’en étais encore capable ? »

Elle le regarda avec une innocence cristalline. « Je le savais depuis la première fois où Mike est venu à la maison. Quand il est en transe, il perçoit tout ce qui l’entoure, et il lui arrivait de vérifier si tu dormais – quand il avait une question à te poser, par exemple.

— Mais je dormais toujours seul !

— Je sais, Jubal chéri. Mais je ne parlais pas de cela. Mike me demandait souvent de lui expliquer ce qu’il ne comprenait pas. »

Jubal préféra ne pas insister. « Quand même, tu n’aurais pas dû me jouer ce tour.

— Je gnoque qu’en ton cœur tu ne le regrettes pas, Jubal. Il fallait que tu fasses partie du Nid, sans restriction. Nous avons besoin de toi, et puisque tu es humble et timide dans ta bonté, nous avons agi de façon à t’accueillir pleinement, mais sans te blesser.