— … Non, pas encore, mais dans un moment. Vous voyez maintenant la grande entrée du splendide hôtel Sans Souci, la Perle du Golfe, dont la direction décline toute responsabilité en ce qui concerne le fugitif et a apporté un maximum d’aide aux autorités, comme vient de le faire savoir Mr G. Davis, chef de la police locale, dans une déclaration à la presse. Et en attendant qu’il se passe du nouveau, un bref résumé de l’étrange carrière de ce monstre mi-humain élevé sur Mars…
De brefs flashes se succédèrent : le départ de l’Envoy, le Champion filmé en plein espace, naviguant sans peine grâce à ses propulseurs de Lyle, des Martiens filmés sur Mars, le retour triomphal du Champion, quelques images de l’interview du faux Homme de Mars… « Que pensez-vous de nos filles ? » et la suite… un bref extrait de la conférence donnée au Palais de l’Exécutif, et enfin la remise du doctorat de philosophie, qui avait fait beaucoup de bruit à l’époque, le tout avec de rapides commentaires à double tranchant.
« Tu vois quelque chose, Patty ?
— Michaël est en haut des marches. La foule est encore à cent mètres. La police l’empêche d’envahir le parc de l’hôtel. Duke change l’objectif d’un de ses appareils. Mike attend qu’il ait terminé. Rien ne presse. »
La stéréo montra de nouveau la foule, et Happy Holliday continua : « N’oubliez pas, amis auditeurs, que cette sympathique foule d’habitants du golfe n’est pas en humeur de plaisanter aujourd’hui. Des événements étranges se sont succédés, on a fait fi de leurs lois, la police qui les protège a été traitée avec mépris… ils sont en colère, et ils ont des raisons de l’être. Les disciples fanatiques du soi-disant Antéchrist n’ont reculé devant rien pour créer des troubles dans un vain effort pour arracher leur chef aux mains de la justice. Et tout peut arriver… tout ! »
Sa voix monta d’un ton. « Oui, il arrive, il sort ! Il avance droit vers la foule ! » La scène changea. Mike avançait vers la caméra, suivi par Anne et Duke qui perdaient peu à peu du terrain. « Voilà ! Ça y est ! Ça va exploser ! »
Mike continuait à avancer vers la foule sans se presser. Son image en relief grossit jusqu’à devenir grandeur nature, comme s’il était présent au milieu de ses frères d’eau. Il s’arrêta à la limite de la pelouse, à quelques mètres de la foule. « Vous m’avez appelé ? »
Un grondement sourd lui répondit.
Des nuages épars parsemaient le ciel. Un instant, un rayon de soleil l’éclaira violemment.
Ses habits disparurent. Il se tenait devant eux, bruni, beau comme un jeune dieu, vêtu uniquement de sa beauté… en le voyant Jubal sentit son cœur se serrer. Il pensa que Michel-Ange dans ses vieilles années serait descendu de ses échafaudages pour donner à la postérité une image de cette beauté-là. Mike dit avec douceur. « Regardez-moi, je suis un fils de l’homme. »
La scène s’interrompit pour une publicité de dix secondes, des filles dansant le French-cancan et chantant :
Des bulles rosées envahirent l’écran et des rires joyeux éclatèrent. Une voix ajouta : « Et n’oubliez pas de conserver nos coupons.
— Que Dieu te damne ! » Une brique atteignit Mike dans les côtes. Il se tourna vers celui qui l’avait lancée. « Mais tu es toi-même Dieu. Tu ne peux damner que toi-même… et tu ne pourras jamais t’échapper de toi-même.
— Blasphémateur ! » Une pierre le frappa au-dessus de l’œil gauche et le sang coula abondamment.
Mike continua à parler avec calme : « En m’attaquant, c’est vous-mêmes que vous attaquez… car vous êtes Dieu… et je suis Dieu… Tout ce qui gnoque est Dieu, et il n’y a aucun autre Dieu. »
Plusieurs pierres jaillirent. Mike saignait en divers endroits. « Écoutez la Vérité. Vous n’avez pas besoin de haïr, vous n’avez pas besoin de lutter, vous n’avez pas besoin de craindre. Je vous offre l’eau de la vie…» Soudain, un gobelet empli d’eau apparut dans sa main, resplendissant dans le soleil. « Et vous pourrez la partager avec tous vos frères… pour marcher ensemble dans la paix, l’amour et le bonheur. »
Une pierre vint fracasser le verre. Une autre frappa Mike à la bouche.
Il leur sourit avec ses lèvres contusionnées et couvertes de sang. Son regard semblait plongé dans la caméra, et une expression de tendresse ardente envahit son visage. Par un effet combiné du soleil et de la stéréo, son visage semblait entouré d’un halo doré. « Oh mes frères, je vous aime tant ! Buvez profondément. Partagez et rapprochez-vous sans fin. Tu es Dieu. »
Jubal se surprit à répéter ces derniers mots. La stéréo inséra une publicité de cinq secondes : « Le Cahuenga Club, le dancing avec du vrai brouillard de Los Angeles, importé frais tous les jours. Six danseuses exotiques.
— Lynchez-le ! Au poteau ! » Un fusil de gros calibre se déchargea presque à bout portant. Le bras droit de Mike fut sectionné au coude et flotta jusqu’au frais gazon, où il s’immobilisa, la main ouverte en un geste d’invitation.
« Allez, Shortie, tire ! Et vise mieux cette fois ! » La foule rit et applaudit. Une brique écrasa le nez de Mike et une pluie de pierres le couronna de sang.
« La Vérité est simple, mais la Voie de l’Homme est difficile. Avant tout, il faut que vous appreniez à contrôler le soi. Le reste s’ensuivra. Béni est celui qui se connaît et se contrôle, car le monde lui appartient et l’amour, le bonheur et la paix l’accompagnent partout où il va. » Une forte détonation retentit, suivie de deux autres. La première balle, de calibre quarante-cinq, atteignit Mike juste au-dessus du cœur, fracassant la sixième côte près du sternum et provoquant une large plaie. Les deux autres coups transpercèrent sa jambe gauche à douze centimètres au-dessous de la rotule ; le péroné brisé, blanc et aigu, dépassait visiblement de la plaie jaune et rouge.
Mike chancela légèrement et rit, puis continua à parler d’une voix parfaitement claire et calme. « Tu es Dieu. Sache cela et la Voie te sera ouverte.
— Sacré nom ! Empêchez-le de continuer à blasphémer !… Venez, les gars, on le finit ! » La foule avança, suivant un meneur armé d’un gourdin ; ils lui tombèrent dessus avec leurs poings ou avec des pierres, puis avec leurs pieds lorsqu’il s’écroula. Il continua à parler pendant qu’ils lui enfonçaient les côtes, lui brisaient les os et lui arrachaient une oreille. Une voix s’éleva derrière eux : « Écartez-vous, qu’on l’arrose d’essence ! »
La foule s’écarta légèrement et la caméra put prendre un gros plan de son visage et de ses épaules. L’Homme de Mars sourit à ses frères et dit d’une voix douce et claire. « Je vous aime. » Une sauterelle imprudente vint atterrir sur l’herbe à quelques centimètres de son visage. Un instant, Mike et la sauterelle se regardèrent. « Tu es Dieu », dit-il joyeusement, et il se désincarna.
38
Des flammes et une épaisse fumée noire s’élevèrent et envahirent l’écran. « Fichtre ! dit Patty admirativement. C’est la plus belle finale que j’aie jamais vu.
— Oh oui ! dit Becky du ton de quelqu’un qui s’y connaît. Même le professeur n’a jamais fait aussi bien. »
Van Tromp dit d’une voix très calme, se parlant apparemment à lui-même : « Quel style, et quelle élégance. Une belle fin. »