Выбрать главу

Jubal regarda ses frères à la ronde. Était-il le seul à ressentir quelque chose ? Jill et Aube étaient assises, enlacées comme toujours lorsqu’elles étaient ensemble. Elle ne paraissaient nullement troublées. Même Dorcas était calme et avait les yeux secs.

La vision infernale disparut pour faire place à Happy Hollyday, plus souriant que jamais. « Et maintenant, amis auditeurs, je redonne la parole à nos amis des Champs-Élyséens, grâce auxquels nous avons pu vous offrir…» Patty ferma le poste.

« Anne et Duke remontent, dit-elle. Je vais les escorter à travers le foyer, et ensuite nous pourrons déjeuner. »

Jubal l’arrêta au passage. « Patty ? Savais-tu ce que Mike allait faire ? »

Elle le regarda avec surprise. « Comment ? Évidemment pas, Jubal. Il fallait attendre la plénitude. Aucun d’entre nous ne le savait. » Elle lui tourna le dos et sortit.

« Jubal…» Jill le regardait. « Jubal notre père bien-aimé… arrête, je t’en prie, et gnoque la plénitude. Mike n’est pas mort. Comment pourrait-il l’être, puisque personne ne peut être tué ? Et nous, qui l’avons gnoqué, ne pourrons jamais être séparés de lui. Tu es Dieu.

— Tu es Dieu, répéta-t-il d’un ton morne.

— C’est un peu mieux. Viens, viens t’asseoir entre Aube et moi.

— Non. Non, laisse-moi. » Il se leva et avança comme un aveugle jusqu’à sa chambre. Il verrouilla la porte derrière lui, et s’appuya de tout son poids sur les montants du lit. Mon fils ! 0 mon fils ! Si j’avais pu mourir pour toi ! Une vie si riche l’attendait, et il a fallu qu’un vieil imbécile pour lequel il avait trop de respect se mette à dégoiser et l’incite à un martyre inutile et vain. Si seulement Mike leur avait donné quelque chose de gros, un spectacle… mais il leur a donné la Vérité. Et qui s’intéresse à la Vérité ? Jubal rit à travers ses sanglots.

Lorsque le rire amer et les sanglots se furent calmés, il se releva et fouilla maladroitement dans sa valise. Il trouva ce qu’il cherchait. Il en avait toujours dans sa trousse de toilette depuis que l’attaque de Joe Douglas lui avait rappelé que toute chair est mortelle.

Et maintenant c’était son tour, et il ne pouvait pas le supporter. Il se prescrivit trois tablettes pour que ce soit rapide et certain, les avala avec un verre d’eau et alla rapidement s’étendre sur le lit. La douleur se calma rapidement.

La voix lui parvint de très, très loin : « Jubal…

— … la paix… Me r’pose.

— Jubal ! Je t’en prie ! Père !

— Euh… Oui ? Mike ? Qu’est-ce qu’il y a ?

— Réveille-toi ! La plénitude n’est pas encore venue. Là, laisse-moi t’aider. »

Jubal soupira. « Bien, Mike. » Il se laissa conduire à la salle de bains. On lui soutint la tête pendant qu’il vomissait, et il prit le verre d’eau qui lui était tendu et se rinça la bouche.

« Ça va mieux ?

— Ça va, Fils. Merci.

— Bien alors ; d’autres charges m’attendent. Je t’aime, Père. Tu es Dieu.

— Je t’aime, Mike. Tu es Dieu. » Jubal s’attarda encore un bon moment, se rendit présentable, changea de vêtements et avala un petit verre d’alcool pour tuer le goût légèrement amer qu’il avait encore dans la bouche, puis alla rejoindre les autres.

Patty était seule dans le living ; la stéréo ne marchait pas. Elle leva la tête. « Tu veux manger quelque chose maintenant, Jubal ?

— Avec plaisir, merci.

— C’est bien, dit-elle en approchant de lui. Malheureusement, la plupart ont mangé rapidement puis ont filé. Mais ils ont tous laissé un baiser pour toi. Les voilà, en une seule livraison. » Elle parvint à lui transmettre tout l’amour qui avait été confié à sa charge, cimenté par le sien propre. Jubal sentit toutes ses forces revenir, ainsi qu’une acceptation sereine qui ne laissait pas de place à l’amertume.

« Viens à la cuisine, lui dit-elle. Tony est parti, et tout le monde en profite pour s’y rassembler… pas que ses grognements aient jamais fait peur à quiconque. » Elle s’arrêta et tourna la tête comme pour se regarder le dos. « Est-ce que la scène finale ne change pas un peu ? J’ai l’impression qu’on commence à voir de la fumée, tu ne trouves pas ? »

Jubal affirma solennellement que cela paraissait en effet être le cas. Il ne voyait en fait aucun changement… mais il connaissait trop l’idiosyncrasie de Patty pour se mettre à discuter avec elle. « Je le savais, lui assura-t-elle. Je vois très bien tout autour de moi, mais pas encore mon dos. Il me faut toujours un double miroir. Mais Mike m’a dit que cela viendrait bientôt. Peu importe d’ailleurs. »

Dans la cuisine, ils étaient à peu près une douzaine, installés un peu partout. Duke remuait le contenu d’une petite casserole. « Bonjour, patron. J’ai commandé un bus de vingt places. C’est ce qui peut atterrir de plus grand ici. Ça ne sera pas de trop, avec les deux petites et la ménagerie de Patty. Tu es d’accord ?

— Mais certainement. Ils viennent tous à la maison ? » Si les chambres ne suffisent pas, se dit-il, les filles pourraient toujours installer des lits de fortune dans le salon, la bibliothèque… Il était probable d’ailleurs que le chiffre de cette petite population doublerait rapidement. Eh, il ne pourrait peut-être plus se permettre le luxe de dormir seul ! Que c’était doux et amical d’avoir un corps chaud à côté de soi, même si l’on n’avait pas l’intention d’être actif. Dieu, il avait presque oublié ce que c’était ! Le rapprochement…

— Non, pas tous. Tim nous pilotera, puis ira rendre le bus et restera quelque temps dans le Texas. Le capitaine, Béatrix et Sven se feront déposer dans le New Jersey. »

Sam leva les yeux de la table. « Ruth et moi devons aller rejoindre les enfants, et Saül nous accompagne.

— Vous ne pouvez pas venir passer un jour ou deux à la maison avant ?

— Ce n’est pas impossible. Je vais en parler avec Ruth.

— Patron, intervint Duke, quand pourrons-nous remplir la piscine ?

— Eh bien… nous ne le faisions jamais avant avril, mais avec la nouvelle chaufferie je suppose que c’est possible en toutes saisons. » Il ajouta : « Mais le temps ne doit pas être fameux. Il y avait encore de la neige hier.

— Patron, je vais te mettre sur la voie. Pour aller nager, nos frères n’hésiteraient pas à traverser de la neige leur montant jusqu’au cou. Il est probable qu’ils ne s’en apercevraient même pas. D’autre part, il y a des moyens plus économiques de réchauffer l’eau de la piscine que d’allumer ces énormes chaudières à mazout.

— Jubal !

— Oui, Ruth ?

— Nous viendrons, et nous resterons peut-être même plus d’une journée. Les gosses se débrouillent très bien sans moi, et je ne suis pas particulièrement pressée de reprendre mon rôle maternel, surtout sans l’aide de Patty. Ah ! Jubal, tu ne me connais pas vraiment si tu ne m’as pas vue nager dans l’eau, mes cheveux flottant tout autour de moi. Je t’assure que ça en vaut la peine.

— Rendez-vous pris. Où sont passés le Hollandais et la Scandinave ? Béatrix n’est jamais venue à la maison. Ils ne peuvent pas être pressés à ce point.

— Je leur dirai, patron.

— Patty ? Est-ce que tes serpents se contenteront d’un sous-sol propre et chauffé, en attendant que nous trouvions mieux ? Je ne parle pas de Gueule de Miel, bien sûr, c’est une grande personne, mais on ne peut quand même pas livrer la maison aux cobras.

— Ça ira très bien, Jubal.

— Euh…» Jubal regarda autour de lui. « Aube, tu connais la sténo ?

— Elle n’en a pas plus besoin que moi, intervint Anne.