— Mais Anne l’est. Et, bien que tu sois têtu comme un mulet, Aube parviendra bien à te mettre en rapport avec elle. Après la première leçon, Anne pourra d’ailleurs se passer d’Aube. En quelques jours de calendrier, tu penseras en martien – en temps subjectif, cela prendra bien plus longtemps, mais qui s’en soucie ? » Mahmoud le regarda avec un sourire paillard. « Je ne doute pas que les exercices préliminaires te plairont fort. »
Jubal se hérissa. « Tu n’est qu’un sale Arabe lubrique et vicieux… et de plus, tu m’as volé une de mes meilleures secrétaires.
— Ce dont je te saurai éternellement gré. Mais tu ne l’as pas entièrement perdue. Elle aussi te donnera des leçons. Je sais qu’elle y tient beaucoup.
— Va t’asseoir ailleurs, et laisse-moi réfléchir en paix. » Peu après, Jubal cria : « La suivante ! »
Dorcas vint s’asseoir à côté de lui. Avant de commencer à dicter, Jubal lui jeta un regard perçant.
« Tu parais plus heureuse que jamais, mon enfant. Tu resplendis littéralement. »
Dorcas répondit d’une voix caressante : « J’ai décidé de l’appeler Denis. »
Jubal approuva de la tête. « C’est parfaitement approprié. » Approprié, pensa-t-il, même si elle se trompait quant à sa paternité. « Si tu ne te sens pas en forme pour travailler…
— Mais si ! Je suis dans une forme splendide, au contraire !
— On commence. Pièce stéréovisée. Ébauche. Titre provisoire : « Un Martien nommé Smith. » Prologue : zoom sur Mars, utilisant des vues existantes, plan continu, se dissolvant en une vue reconstituée du site d’arrivée de l’Envoy. Le vaisseau apparaît au loin. Animation martienne typique, d’après vues existantes ou refilmées. Plan moyen de l’intérieur du vaisseau. Une femme allongée sur…»
39
Il n’y avait jamais eu le moindre doute quant au verdict qui concernait la Troisième planète tournant en orbite autour de Sol. Les Anciens de la Quatrième planète ne possédaient pas l’omniscience et, à leur manière, ils étaient aussi provinciaux que les humains. Comme ils ne gnoquaient que selon les valeurs locales, et bien qu’ils fussent aidés par une logique immensément supérieure, il était inévitable qu’il finissent par déceler une « maladie » incurable chez les êtres affairés, inquiets, belliqueux, de la Troisième planète ; une maladie, une erreur, une faute, qui, une fois gnoquée, chérie et haïe, devait être extirpée.
Mais lorsqu’ils en seraient lentement arrivés là, il serait hautement improbable, sinon impossible, que les Anciens parviennent à détruire cette espèce bizarre et complexe. Le risque était si faible que Ceux qui s’intéressaient à la Troisième planète ne daignèrent pas y consacrer une fraction d’éon.
Ainsi Foster :
« Digby ! »
Son assistant le regarda. « Oui, Foster ?
— Je vais m’absenter pour quelques éons. Mission spéciale. Je voudrais que vous fassiez la connaissance de votre nouveau patron. » Foster pivota sur lui-même. « Mike, voici votre assistant, l’Archange Digby. Il sait où tout se trouve et vous sera d’une aide précieuse pour tout ce que vous voudrez entreprendre.
— Oh, nous nous entendrons très bien », lui assura l’Archange Michaël, et il dit à Digby : « Ne nous sommes-nous pas déjà vus quelque part ?
— Pas que je me souvienne, répondit Digby. Il haussa les épaules : « Il y a tant d’endroits, tant d’époques…
— Peu importe. Tu es Dieu.
— Tu es Dieu », répondit aussitôt Digby. Foster intervint :
« Bon. Laissez tomber les formalités. Vous avez du travail sur la planche – mais pas l’éternité devant vous. Bien sûr, « Tu es Dieu » – mais qui ne l’est pas ? »
Il sortit ; Mike repoussa son auréole et se mit au travail. Il y avait des tas de choses qu’il avait envie de changer…