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— Je ne l’ai jamais nié.

— Mais alors pourquoi…» Le ministre des Affaires scientifiques se tourna vers son collègue de la Paix et de la Sécurité. « David ? Donnerez-vous des instructions à vos gens ? Nous ne pouvons quand même pas laisser le professeur Tiergarten et le docteur Okajima faire antichambre, pour ne mentionner que ces deux-là. »

Le ministre de la Paix regarda le capitaine van Tromp ; celui-ci secoua la tête.

« Pourquoi ? répéta le ministre de la Science. Vous admettez vous-même qu’il n’est pas malade.

— Laissez-le parler, Pierre, dit le ministre de la Paix. Alors, capitaine ?

— Smith n’est pas malade, Monsieur le ministre, mais il n’est pas en bonne santé. C’est la première fois qu’il se trouve dans un champ de 1 G ; il pèse deux fois et demi ce qu’il pesait là-bas et ses muscles n’y suffisent pas. Il n’a pas l’habitude de notre pression atmosphérique – il n’a l’habitude de rien, et c’en est trop pour lui. Que diable, messieurs, je suis mort de fatigue – et pourtant, je suis né ici, moi ! »

Le ministre de la Science prit un air méprisant. « Soyez assuré, mon cher capitaine, que nous avions prévu que l’accélération le fatiguerait, si c’est cela qui vous tracasse. Je sais ce que c’est. À mon avis, cet homme devrait…»

Le capitaine van Tromp décida qu’il était temps de se mettre en colère. Sa propre fatigue serait une excuse suffisante – il se sentait comme s’il venait d’atterrir sur Jupiter. « Pah ! Cet « homme », cet « homme ». Ne comprenez-vous donc pas qu’il n’est pas…

— Hein ?

— Smith – n’est – pas – un – homme.

— Hein ? Expliquez-vous mieux que ça, capitaine.

— Smith est une créature intelligente, avec une hérédité humaine, mais il est plus Martien qu’humain. Nous sommes les premiers hommes qu’il ait vus. Il pense comme un Martien, a des émotions de Martien. Il a été élevé par une race qui n’a rien en commun avec nous… même pas le sexe. Malgré son hérédité humaine, le milieu dans lequel il a vécu a fait de lui un Martien. Si vous tenez absolument à le rendre fou et à détruire cette « mine d’informations », faites venir vos professeurs. Ne lui donnez pas une chance de s’accoutumer à cette planète de dingues. Moi, je m’en lave les mains. J’ai fait mon devoir ! »

Le silence fut rompu par le secrétaire général Douglas.

« Et vous avez bien fait, capitaine. Si cet homme, ou cet homme-Martien, a besoin de quelques jours pour s’adapter, je suis certain que la science pourra attendre. Alors, doucement, Pete. Le capitaine est fatigué.

— Mais il y a une chose qui ne peut pas attendre, dit le ministre de l’Information.

— Oui Jock ?

— Si nous ne montrons pas bientôt l’Homme de Mars à la stéréo, il va y avoir des émeutes, monsieur le secrétaire.

— Hmmm… Vous exagérez, Jock. Il faudra parler de Mars aux informations, bien sûr. Je vais décorer le capitaine et l’équipage – demain, je pense. Et le capitaine van Tromp pourra raconter ses expériences – après une nuit de repos, cela va de soi.

Le ministre secoua la tête.

— Cela ne suffit pas, Jock ?

— Le public s’attendait à ce qu’ils ramènent un Martien en chair et en os. À défaut, nous avons besoin de Smith – et vite.

— Des Martiens en chair et en os ? » Le secrétaire se tourna vers le capitaine van Tromp. « Vous avez des films montrant des Martiens ?

— Des kilomètres.

— Et voilà, Jock ! Quand l’actualité se fait rare, il faut se rabattre sur des films. Et maintenant, capitaine, à propos de l’extraterritorialité : vous m’avez bien dit que les Martiens ne s’y opposaient pas ?

— Euh, non, pas exactement… mais ils ne sont pas non plus pour.

— Je ne vous suis pas. »

Le capitaine van Tromp se caressa le menton. « Parler avec un Martien, c’est comme discuter avec un écho, monsieur le secrétaire. Il ne vous contredit jamais, mais on n’obtient pas de résultats.

— Vous auriez dû amener… comment s’appelle-t-il ? Votre sémanticien. Il attend peut-être dehors ?

— Mahmoud, monsieur le secrétaire. Le docteur Mahmoud est malade. Une petite dépression nerveuse », répondit van Tromp tout en songeant qu’il s’agissait plutôt de l’équivalent moral d’une bonne cuite.

— L’ivresse de l’espace ?

— Peut-être un peu, oui ». Ces damnés rampants !

— Amenez-le dès qu’il se sentira mieux dans sa peau. Et la présence de ce jeune Smith serait également appréciée.

— Je tâcherai », dit van Tromp dubitativement.

Le jeune Smith en question avait fort à faire pour se maintenir en vie. Son corps, insupportablement compressé par l’étrange déformation de l’espace dans ce lieu invraisemblable, était heureusement soulagé par la douceur du nid dans lequel on l’avait mis. Cessant de faire effort pour se soutenir, il tourna l’attention de son troisième niveau vers sa respiration et son rythme cardiaque.

Il vit qu’il était sur le point de se consumer. Ses poumons travaillaient aussi dur que chez lui, et son cœur galopait pour distribuer l’influx, luttant contre la compression de l’espace – il étouffait dans cette atmosphère vénéneuse, dangereusement riche et chaude. Il prit des mesures.

Lorsque les battements de son cœur furent ramenés à vingt par minute, et que sa respiration fut devenue presque imperceptible, il continua à les surveiller pour ne pas se désincarner lorsque son attention serait ailleurs. Dès qu’il s’en fut assuré, il mit de garde une partie de son second niveau et se retira. Il était nécessaire d’examiner la configuration de ces innombrables événements nouveaux, de les accorder avec lui-même, puis de les chérir et de les louer – de crainte qu’ils ne l’avalassent.

Par où commencer ? Par son départ, avec ces deux petits qui se nichaient maintenant en lui ? Ou par son arrivée dans cet espace comprimé ? Les lumières et les sons de cette arrivée assaillirent soudain son esprit, l’ébranlant douloureusement. Non, il n’était pas prêt à embrasser cette configuration – vite, en arrière, avant sa première vision de ces autres qui étaient maintenant les siens ! Avant même sa guérison, survenue après qu’il eut pour la première fois gnoqué qu’il était différent de ses petits frères… toujours plus loin, jusqu’au nid lui-même.

Sa pensée ne s’exprimait pas en symboles terrestres. Récemment, il avait appris un anglais sommaire, à peine ce dont un commerçant indien se sert pour converser avec un Turc. Smith utilisait l’anglais comme un langage codé, fruit d’une laborieuse traduction. Ses pensées, abstractions créées par une culture inconcevablement étrangère, s’éloignèrent de tout critère humain, jusqu’à devenir intraduisibles.

Dans la pièce voisine, le docteur Thaddeus jouait aux cartes avec Tom Meechum, infirmier personnel de Smith, mais il gardait un œil sur les instruments de contrôle. Lorsqu’un clignotant passa de quatre-vingt-douze pulsations minute à moins de vingt, il se précipita dans la chambre de Smith, suivi de près par Meechum.

Le patient flottait sur la membrane élastique du lit hydraulique. Il semblait mort. « Allez chercher le docteur Nelson ! cria Thaddeus.

— J’y vais », dit Meechum, puis il ajouta : « Et l’équipement antichoc ?

— Allez chercher Nelson ! »

L’infirmier parti, l’interne examina le patient, mais ne le toucha pas. Le vieux docteur arriva, du pas laborieux d’un homme qui est resté longtemps dans l’espace et ne s’est pas réadapté à la gravité terrestre. « Qu’y a-t-il, docteur ?