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— La respiration, le pouls et la température du patient ont brusquement diminué il y a environ deux minutes.

— Qu’avez-vous fait ?

— Rien, monsieur le docteur. Vos instructions…

— Parfait. » Nelson examina sommairement Smith, puis étudia les instruments placés au pied du lit, jumeaux de ceux de la salle de contrôle. « Prévenez-moi s’il y a du changement. » Il s’apprêta à sortir.

— Mais, docteur…, dit Thaddeus avec surprise.

— Oui ? fit Nelson. Quel est votre diagnostic ?

— C’est votre patient, monsieur le docteur. Je ne voudrais pas me prononcer…

— Je vous ai demandé votre diagnostic.

— Soit. Choc… pas typique sans doute, mais choc néanmoins, menant à une issue fatale.

— Diagnostic raisonnable, approuva Nelson, mais nous ne sommes pas en présence d’un cas raisonnable. Je l’ai déjà vu dix fois dans cet état. Regardez…» Il leva un des bras du patient, puis le lâcha. Le bras resta levé.

— Catalepsie ? demanda Thaddeus.

— Si cela vous plaît de le nommer ainsi. Que personne ne le dérange. Appelez-moi dès qu’il y aura du changement. » Il remit le bras en place.

Nelson parti, Thaddeus regarda le patient, haussa les épaules et retourna dans la salle de garde. Meechum reprit ses cartes. « On joue ?

— Non. »

Meechum ajouta : « Si vous voulez mon avis, il est bon pour le panier avant demain matin.

— Personne ne vous l’a demandé. Allez donc fumer une cigarette avec les gardes. J’ai besoin de réfléchir. »

Sans daigner répondre, Meechum alla rejoindre les gardes dans le couloir. Voyant qui c’était, le plus grand des deux marines lui demanda : « Pourquoi tout ce théâtre ?

— Le patient a eu des quintuplés et on se demandait quels noms leur donner. Vous avez une sèche ? »

L’autre marine sortit son paquet. « Sans rire, c’est grave, ce qu’il a ? »

Meechum se planta la cigarette dans la bouche. « Je vous jure que je n’en ai pas la moindre idée.

— Et pourquoi ces ordres de ne laisser approcher aucune femme ? C’est un maniaque sexuel ?

— Tout ce que je sais, c’est qu’on l’a amené du Champion et qu’il lui faut le repos absolu.

— Du Champion ! s’exclama le premier. Ça explique tout.

— Ça explique quoi ?

— C’est évident, voyons. Il en a pas eu, il en a pas touché, il en a pas vu une depuis des mois. Et il est malade, hein ? S’il mettait ses pattes sur une fille, ça risquerait de le tuer. » Il cligna de l’œil. « Oh oui, pour sûr ! »

Smith avait gnoqué que les intentions des docteurs n’étaient pas mauvaises. Il était donc inutile de se replier à ce point-là.

Et au matin, à l’heure où les infirmiers humains tapotent les visages des patients avec des linges mouillés, Smith revint à lui. Sa respiration s’accrut, son rythme cardiaque s’accéléra, et il examina ce qui l’entourait avec sérénité, appréciant les moindres détails. C’était la première fois qu’il voyait sa chambre – lorsqu’ils l’avaient amené, il n’était pas en état de l’assimiler. Rien n’était banal ici – il n’y avait rien de tel sur Mars, et cela ne ressemblait pas aux compartiments métalliques du Champion. Ayant revécu les événements séparant son nid de ce lieu, il était prêt à l’accepter, à le louer et, jusqu’à un certain point, à le chérir.

Il s’aperçut de la présence d’un autre être vivant. Un cousin aux longues pattes cheminait au plafond. Smith le regarda faire avec délices, se demandant s’il s’agissait d’un petit homme.

Puis, le docteur Archer Frame, l’interne qui avait pris la relève de Thaddeus, entra. « Bonjour, lui dit-il. Comment vous sentez-vous ? »

Smith examina la question. Le premier mot était de toute évidence un son purement formel, n’exigeant aucune réponse. La phrase qui suivait suggérait plusieurs interprétations possibles. Dans la bouche du docteur Nelson, elle aurait eu une certaine signification. Dans celle du capitaine van Tromp, ce n’aurait été qu’un autre son formel.

Qu’il était donc difficile de communiquer avec ces créatures ! Mais il se força à demeurer calme et risqua une réponse : « Je me sens bien.

— Bravo ! s’exclama la créature. Le docteur Nelson arrive dans un moment. Vous sentez-vous de taille à manger ? »

Tous ces symboles figuraient dans son vocabulaire, mais il pensa avoir mal entendu. Il savait qu’il était de taille à nourrir quelqu’un, mais rien ne l’avait préparé à un tel honneur. Et il ignorait que la nourriture fût si rare qu’il était nécessaire d’amputer le groupe d’un de ses membres. Il ressentit un léger regret à l’idée de tant de nouveautés qu’il ne pourrait gnoquer, mais aucune crainte.

L’arrivée du docteur Nelson lui épargna la peine de répondre.

Le docteur l’examina, regarda les instruments, puis lui demanda : « Toujours pas de selles ? »

Smith comprenait cela ; Nelson le lui demandait chaque fois. « Non.

— Nous allons nous en occuper. Mais d’abord, mangez. Infirmier, le plateau. »

Nelson lui donna trois cuillerées, puis lui tendit la cuiller et insista pour qu’il se nourrisse seul. C’était fatigant, mais à la fin il était heureux et triomphant, car c’était sa première action autonome depuis son arrivée dans cet étrange espace. Il vida le bol, et prit soin de demander : « Qui est-ce ? » afin de pouvoir remercier son bienfaiteur.

— Qu’est-ce, le corrigea Nelson. C’est une gelée alimentaire synthétique – et vous voilà guère plus avancé qu’avant. Vous avez terminé ? Bien, alors. Descendez du lit.

— Pardon ? » Ce symbole d’attention était bien utile lorsque la communication échouait.

— Sortez de là-dedans. Levez-vous ! Marchez ! Je sais, vous êtes aussi faible qu’un petit chiot, mais vous n’arriverez jamais à vous muscler en flottant dans ce lit. » Nelson ouvrit une soupape et l’eau s’écoula. Sachant que Nelson le chérissait, Smith réprima son sentiment d’insécurité. Il se retrouva bientôt entre les replis du tissu imperméable. « Docteur Frame, ajouta Nelson, prenez-lui l’autre bras. »

Soutenu par les deux hommes et encouragé par Nelson, Smith parvint à passer ses jambes par-dessus le rebord du lit. « Doucement, voilà. Essayez de vous lever… N’ayez pas peur. Nous vous rattraperons si vous tombez. »

Il y parvint. Il était jeune, maigre, presque sans muscles et avec un trop grand développement thoracique. À bord du Champion, on lui avait coupé les cheveux et inhibé la barbe. Ses traits doux, pas vraiment formés, rappelaient ceux d’un bébé, mais ses yeux étaient ceux d’un nonagénaire.

Tremblant légèrement, il fit trois petits pas, puis son visage s’éclaira d’un sourire enfantin. « Bravo, continuez ! » lui dit Nelson.

Il fit un pas de plus, puis trembla violemment et s’écroula. Ils ne le retinrent que de justesse. « Damnation, ragea Nelson, le voilà reparti ! Aidez-moi à le remettre au lit. Non. Il faut d’abord le remplir. »

Frame ouvrit le circuit, et ils le hissèrent dans le lit, non sans mal car il s’était figé dans la position du fœtus. « Mettez-lui un oreiller pneumatique, et n’hésitez pas à m’appeler, lui dit Nelson. Nous le ferons marcher de nouveau cet après-midi. Dans trois mois, il grimpera aux arbres comme un singe. Il n’a absolument rien.

— Oui, docteur, dit Frame sans conviction.

— Ah oui ! et dès qu’il se réveillera, montrez-lui comment se servir des toilettes. Mais faites-vous aider par un infirmier. Je ne tiens pas à ce qu’il tombe.