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— Oui, docteur. Y a-t-il une technique particulière… je veux dire pour…

— Hein ? montrez-lui ! Il ne comprendra pas grand-chose à ce que vous lui direz, mais il est malin comme un singe. »

Smith déjeuna sans aide. L’infirmier venu remporter le plateau se pencha vers lui. « Écoutez, lui dit-il. J’ai une proposition du tonnerre à vous faire.

— Pardon ?

— Une affaire en or. De l’argent facile.

— De l’argent ? Qu’est-ce que l’argent ?

— Allons, pas de philosophie. Tout le monde a besoin d’argent. Je n’ai pas le temps de parler longtemps. Ça a été assez difficile de venir ici. Je représente les Éditions Sans Pareil. Soixante mille pour votre histoire, et vous n’aurez même pas à l’écrire : nos spécialistes s’en chargeront pour vous. Vous répondez à leurs questions et ils feront le reste. » Il sortit un papier. « Signez ça et c’est fait. »

Smith prit la feuille et la regarda à l’envers. L’homme étouffa une exclamation. « Seigneur ! Vous ne lisez pas l’anglais ? »

Smith comprit suffisamment pour répondre : « Non.

— Ça ne fait rien. Je vais vous le lire et vous mettrez l’empreinte de votre pouce, cela suffira. “Je soussigné Valentin Michaël Smith, également connu sous le nom de l’Homme de Mars, cède aux Éditions Sans Pareil, Ltd., le droit exclusif de publier mon histoire vécue, à paraître sous le titre J’étais prisonnier de Mars, en échange de…”

— Infirmier ! »

Le docteur Frame était à la porte. L’homme fit disparaître le papier dans ses vêtements. « J’arrive, docteur. J’étais venu prendre le plateau.

— Que lisiez-vous ?

— Rien.

— Je vous ai vu. Il est interdit de déranger ce malade. » Ils sortirent, et le docteur Frame referma la porte. Smith resta immobile plus d’une heure, mais malgré tous ses efforts, il ne put tout gnoquer.

4

Gillian Boardman était une excellente infirmière, et les hommes étaient son dada. Ce jour-là, elle était de garde à l’étage où se trouvait Smith. Lorsqu’elle apprit que le patient de la chambre K-12 n’avait jamais vu de femme de sa vie, elle n’en crut pas ses oreilles, et décida d’aller lui rendre visite.

Elle savait que les visites féminines étaient interdites, et ne tenta pas d’entrer par la porte surveillée par les marines – sachant qu’ils avaient la stupide habitude de prendre leurs ordres à la lettre. Elle préféra se rendre dans la salle de garde.

Le docteur Thaddeus leva la tête. « Oh, mais c’est « Fossettes » ! Alors, beauté, quel bon vent vous amène ?

— Cela fait partie de ma tournée. Comment va le malade ?

— Ne vous inquiétez pas pour lui. Vous connaissez les ordres ?

— Oui, mais je voudrais le voir.

— En un mot comme en mille : non.

— Oh, Tad, ne devenez pas comme les autres. »

Il regarda songeusement ses ongles. « Si je vous laissais entrer, je me retrouverais dans l’Antarctique. Il serait déjà ennuyeux que le docteur Nelson vous voie ici. »

Elle se leva. « Il doit venir ?

— Seulement si je le fais appeler. Le changement de gravité l’a fatigué, et il dort.

— Alors pourquoi êtes-vous si strict ?

— Ce sera tout, infirmière.

— Bien, docteur. » Elle ajouta : « Salaud !

— Jill !

— Et collet-monté, en plus ! »

Il soupira. « C’est toujours d’accord, pour samedi soir ? »

Elle haussa les épaules. « Eh bien oui… Une fille ne peut pas se permettre d’être difficile par les temps qui courent. » Elle retourna à la salle des infirmières et prit son passe-partout. Elle ne s’avouait pas vaincue : le K-12 communiquait avec une autre chambre, servant de salon lorsque le malade était une personnalité importante. Elle s’y introduisit sous le regard indifférent des gardes, qui ignoraient que les chambres communiquaient.

Elle hésita un moment devant la seconde porte, se souvenant de ses fugues d’élève-infirmière. Puis elle l’ouvrit et regarda à l’intérieur.

Le patient tourna la tête vers elle. Sa première impression fut qu’il s’agissait d’un cas désespéré – son manque d’expression lui rappelait l’apathie des condamnés. Puis elle remarqua que ses yeux brillaient d’intérêt. Avait-il le visage paralysé ?

Elle prit une attitude professionnelle. « Alors, comment nous sentons-nous aujourd’hui ? Mieux ? »

Smith traduisit. L’usage du « nous » semblait symboliser un désir de chérir et de se rapprocher, et la question elle-même semblait refléter l’attitude de Nelson. « Oui », répondit-il.

— Bravo ! » Mis à part son curieux manque d’expression, il lui parut fort normal – et s’il n’avait vraiment jamais vu de femme, il le cachait fort bien. « Je peux faire quelque chose pour vous ? » Elle vit qu’il n’avait pas de verre sur sa table de chevet. « Je vais vous apporter de l’eau. »

Smith avait immédiatement vu que cette créature était différente des autres. Il compara ce qu’il voyait avec des photos que Nelson lui avait montrées au cours du voyage – des photos destinées à illustrer une étonnante caractéristique du groupement humain. C’était donc cela qu’on entendait par « femme ».

Il était à la fois passionné et désappointé. Afin de gnoquer profondément, il supprima ces émotions avec tant de succès que, dans la pièce voisine, les cadrans ne révélèrent aucun changement.

Mais, en traduisant ses derniers mots, il fut envahi par une émotion si vive qu’il faillit laisser son rythme cardiaque s’accélérer. Il se reprit, mécontent d’avoir agi comme un petit indiscipliné. Puis, il réexamina sa traduction.

Non, il ne s’était pas trompé. Cet être-femme lui avait bien offert de l’eau. Elle désirait se rapprocher de lui.

Au prix d’un grand effort, essayant de transmettre une signification adéquate, il répondit cérémonieusement : « Je vous remercie pour l’eau. Puissiez-vous toujours boire profondément. »

L’infirmière Boardman parut surprise. « Oh ! Que c’est gentil ! » Elle trouva un verre, l’emplit, et le lui tendit.

— « Buvez d’abord », lui dit-il.

Croit-il que j’essaie de l’empoisonner ? se demanda-t-elle. Et pourtant, sa demande avait quelque chose de touchant et d’irrésistible. Elle but une gorgée, et il en prit une aussi, puis se recoucha, apparemment satisfait, comme s’il venait d’accomplir quelque chose d’important.

Jill se dit que, comme aventure, ce n’était guère réussi. « Bon, dit-elle, si vous n’avez besoin de rien d’autre je vais continuer ma tournée. »

Et elle se dirigea vers la porte, mais il s’écria : « Non ! »

Elle se retourna. « Comment ?

— Ne partez pas.

— Mais… il le faut, vous savez. » Elle revint vers lui. « Vous voulez autre chose ? »

Il la regarda des pieds à la tête. « Vous êtes… Femme ? »

La question la fit sursauter. Sa première impulsion fut de répondre avec désinvolture, mais le visage grave et le regard curieusement troublant l’arrêtèrent. Elle comprit alors que l’impossible était vrai : il ne savait pas ce qu’était une femme. Prudemment, elle répondit : « Oui, je suis une femme. »

Smith continuait à la regarder, et Jill commençait à être embarrassée. Qu’un mâle la regardât, elle en avait l’habitude – mais là, elle se sentait disséquée sous un microscope. « Alors, dit-elle pour rompre le silence, ai-je l’air d’une femme ? »