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— Je ne sais pas, répondit Smith lentement. J’ignore de quoi une femme a l’air. Qu’est-ce qui vous fait femme ?

— Pour l’amour du ciel ! » Jamais depuis l’âge de douze ans elle n’avait autant perdu le contrôle dans une conversation avec un homme. « Vous ne voulez quand même pas que j’ôte mes vêtements pour vous le montrer ! »

Smith prit son temps pour examiner ces symboles et tenter de les traduire. Il lui fut absolument impossible de gnoquer le premier groupe. Peut-être un de ces sons formels si souvent utilisés… et pourtant, elle l’avait exprimé avec force, comme une ultime communication avant de se retirer. Peut-être, dans son inexpérience, avait-il si peu respecté les règles de conduite à observer avec une « femme » qu’elle était sur le point de se désincarner.

Il ne voulait pas qu’elle meure en ce moment, même si c’était son droit, voire son devoir. Le passage abrupt du rituel de l’eau à une situation où le nouveau frère d’eau songeait soudain à se retirer l’aurait certainement plongé dans une profonde panique s’il n’avait consciemment réprimé ce trouble. Mais il décida que, si elle mourait, il devait mourir aussi – impossible de gnoquer autrement, après le partage de l’eau.

Le second groupe contenait des symboles plus aisément compréhensibles. Il ne gnoqua qu’imparfaitement l’intention, mais y vit un moyen d’éviter la crise : en accédant au désir suggéré. Peut-être n’auraient-ils pas besoin de se désincarner si la femme ôtait ses vêtements. Il eut un sourire joyeux. « Je vous en prie, oui. »

Jill ouvrit la bouche, la referma, puis l’ouvrit de nouveau. « Ça alors ! »

Smith gnoqua une violente émotion et comprit qu’il avait donné la mauvaise réponse. Il commença donc à se préparer à la désincarnation, goûtant et chérissant tout ce qu’il avait été et tout ce qu’il avait vu, en accordant une attention particulière à cette femme. Puis, il prit conscience qu’elle se penchait au-dessus de lui et sut qu’en fait il n’allait pas mourir. Elle le regarda bien en face. « Corrigez-moi si je me trompe, dit-elle. Vous m’avez bien demandé d’ôter mes vêtements ? »

Smith parvint à traduire ces complexes abstractions. « Oui », répondit-il en espérant que cela ne déclencherait pas une nouvelle crise.

— C’est bien ce que je pensais. Ah, mon ami, vous ne m’avez pas l’air malade.

Il considéra d’abord le mot « ami » ; elle lui rappelait qu’ils avaient été unis par l’eau. Il fit appel à ses petits pour ne pas décevoir son nouveau frère, et acquiesça à ce qu’elle disait : « Non, je ne suis pas malade.

— Je me demande vraiment ce qui cloche avec vous. En tout cas, je ne me déshabillerai pas. » Elle se redressa et alla jusqu’à la porte, puis s’arrêta et le regarda avec un sourire légèrement moqueur. « En d’autres circonstances, vous pourrez me le redemander, très gentiment. Nous verrons bien ce que je ferai. »

La femme partie, Smith se détendit et oublia la chambre. Il était heureux d’avoir, par son attitude, réussi à éviter qu’ils n’aient à se désincarner… mais il y avait tant de choses à gnoquer. La dernière réplique de la femme contenait des symboles nouveaux, et les autres étaient disposés de telle sorte qu’il n’était pas facile de les comprendre. Il était heureux que l’arôme eût permis la communication entre eux – malgré la présence d’un élément à la fois gênant et terriblement agréable. En pensant à son nouveau frère, la « femme », il ressentait de curieux picotements. La sensation était assez proche de celle qu’il avait connue la première fois qu’on l’avait laissé assister à une désincarnation. Sans savoir pourquoi, il se sentit heureux.

Si seulement son frère Mahmoud était là ! Il y avait tant de choses à gnoquer, et si peu d’éléments pour le faire…

Jill passa le reste de la journée dans une profonde hébétude incapable de chasser de son esprit le visage de l’Homme de Mars, et ne cessant de repenser aux choses insanes qu’il lui avait dites. Non, pas « insanes » – elle avait travaillé suffisamment longtemps dans des hôpitaux psychiatriques pour savoir qu’il n’était pas fou. « Innocent » lui parut mieux convenir – puis elle décida que le terme n’était pas adéquat. L’expression de son visage était innocente, mais ses yeux ne l’étaient pas. Quel genre d’homme pouvait avoir un visage pareil ?

Elle avait travaillé jadis dans une clinique catholique. Elle vit soudain le visage de l’Homme de Mars entouré de la coiffe d’une des infirmières – une religieuse. Mais cette image la troubla ; le visage de Smith n’avait rien de féminin.

Elle se changeait pour sortir lorsqu’une infirmière passa la tête dans le vestiaire. « Téléphone, Jill. Elle prit la communication, son sans image, tout en finissant de s’habiller.

« C’est Florence Nightingale ? demanda une voix de baryton.

— Elle-même. C’est vous, Ben ?

— Le vaillant défenseur des libertés de la presse en personne. Vous êtes libre ?

— Quelles sont vos intentions ?

— Vous offrir un steak, vous noyer d’alcool, puis vous poser une question.

— La réponse est toujours « non ».

— Pas cette question-là.

— Oh ! vous en connaissez donc une autre ? Je vous écoute.

— Plus tard, lorsque vous serez en condition.

— Du vrai steak ? Pas du syntho ?

— Garanti. Enfoncez-y une fourchette et il meuglera.

— Vous avez besoin d’une note de frais ?

— Jill, vous êtes ignoble. Alors ?

— Vous m’avez convaincue.

— Sur le toit du centre médical. Dix minutes. »

Elle remit son costume dans le placard et en sortit une robe qu’elle y gardait précisément pour ce genre d’occasion. D’une coupe très simple, tout juste un peu transparente là où il le fallait pour recréer l’effet qu’elle aurait produit si elle n’avait rien eu sur elle. Jill se regarda avec satisfaction dans la glace et prit le tube menant au toit.

Elle cherchait Ben Caxton des yeux lorsque le planton lui toucha le bras. « Une voiture vous attend, Miss Boardman. Cette Talbot saloon.

— Merci, Jack. » Le taxi, porte ouverte, était prêt à décoller. Elle monta et allait saluer Ben d’un compliment équivoque, lorsqu’elle vit qu’il n’était pas à l’intérieur. Le taxi était automatique. La porte se ferma et il décolla, prit de l’altitude puis traversa le Potomac. Il descendit vers un parking d’Alexandria ; Caxton monta, et le taxi repartit. Jill le dévisagea. « Oh, mais c’est que nous sommes des V.I.P. ! Depuis quand faites-vous chercher vos femmes par un robot ? »

Lui tapotant le genou, il lui dit gentiment : « J’ai mes raisons, mon poussin. Je ne peux pas venir vous prendre au vu de tout le monde…

— Vraiment !

— … et vous ne pouvez pas vous permettre d’être vue en ma compagnie. Calmez-vous. Je vous assure que c’était nécessaire.

— Hum… lequel de nous deux a la lèpre ?

— Tous les deux. Je suis un journaliste, Jill.

— Je commençais à en douter.

— Et vous êtes infirmière à l’hôpital où ils ont mis l’Homme de Mars.

— Et par conséquent, vous ne pouvez pas me présenter à votre mère. C’est cela ?

— Il faut vous faire un dessin, Jill ? Il y a plus de mille reporters aux environs, sans compter les agents de presse, intermédiaires douteux, opportunistes et tout le rodéo. Tous ont essayé d’interviewer l’Homme de Mars, et aucun n’a réussi. Vous pensez vraiment que ce serait malin de nous faire voir ensemble ?

— Je ne vois pas l’importance que ça peut avoir. Je ne suis pas l’Homme de Mars. »