— D’accord, bien qu’il soit encore tôt. » Il alla dans sa chambre et en revint en tenant un objet de la taille d’un petit briquet. « Alors, vous refusez de me faire entrer ?
— Voyons, Ben, je voudrais bien, mais…
— Je sais. C’est dangereux – et pas seulement pour votre carrière. » Il lui montra l’objet. « Tandis que ça…
— Qu’est-ce que c’est ?
— La providence des espions, mieux encore que le whisky drogué. Un magnétophone microminiaturisé. Mouvement à ressort, indétectable. Moulé dans du plastique : on peut le jeter d’une voiture en marche sans qu’il se casse. L’électricité vient d’une micropile atomique à peu près aussi radioactive qu’une montre lumineuse, mais blindée. Le mouvement dure vingt-quatre heures, après quoi on change la bobine – pas besoin de remonter, le ressort est dans la bobine de rechange.
— Ça peut exploser ? demanda-t-elle avec appréhension.
— Vous pouvez le faire cuire au four.
— Oui, Ben, mais j’ai peur d’aller dans cette chambre après ce que vous m’avez dit.
— Mais vous pouvez aller dans la pièce voisine ?
— Je pense, oui.
— Cette petite boîte à l’ouïe fine. Fixez-la contre un mur – avec du ruban adhésif par exemple – et elle captera tout ce qui se passe dans la pièce voisine.
— Je finirai par me faire voir si j’entre tout le temps dans cette pièce. Mais j’y pense, Ben, sa chambre a une cloison en commun avec une chambre donnant sur un autre couloir. Cela irait ?
— Parfait. Vous le ferez ?
— Donnez toujours, et je verrai. »
Caxton l’essuya soigneusement avec son mouchoir. « Mettez vos gants.
— Pourquoi ?
— Si on vous prend avec, vous aurez droit à des vacances derrière les barreaux. N’y touchez qu’avec des gants et ne vous faites pas voir.
— C’est charmant !
— Vous voulez laisser tomber ?
— Non ! dit Jill avec emphase.
— Bravo, ma belle ! » Une lumière clignota ; il leva les yeux.
« Ce doit être votre taxi. Je l’avais appelé en allant chercher cela.
— Ah ! Aidez-moi à trouver mes chaussures. Et ne m’accompagnez pas sur le toit. Je préfère ne pas me faire voir avec vous.
— Il en sera fait selon vos désirs. »
Lorsqu’elle eut fini de mettre ses chaussures, elle se redressa, lui prit la tête dans ses deux mains, et l’embrassa. « Ben chéri ! Il ne sortira rien de bon de tout ceci. J’ignorais que vous étiez un criminel – mais vous faites bien la cuisine, tant que c’est moi qui règle l’appareil… Je vous épouserai bien, si j’arrive de nouveau à vous prendre au piège.
— Mon offre tient toujours.
— Les gangsters épousent-ils leurs pépées ? Ou est-ce qu’on dit « nanas » ? » Elle se hâta de partir.
Jill n’eut aucun mal à placer le petit magnétophone. La malade qui occupait cette chambre était condamnée au lit, et Jill s’attardait souvent pour bavarder avec elle. Elle le plaça dans le haut d’un placard tout en parlant des femmes de ménage qui n’ôtent jamais la poussière dans les coins.
Changer de bobine le lendemain fut encore plus facile : la malade était endormie. En se réveillant elle vit Jill perchée sur une chaise ; mais une plaisanterie bien envoyée mit fin à ses spéculations.
Jill envoya la bobine enregistrée par la poste : cela semblait plus sûr qu’un rendez-vous clandestin. Mais sa tentative de mettre une troisième bobine échoua. Elle attendit que la patiente fût endormie, mais elle était à peine montée sur la chaise qu’elle se réveilla. « Oh ! Hello, Miss Boardman. »
Jill était paralysée. Elle parvint à dire : « Bonjour, Mrs Fritschlie. Vous avez bien dormi ?
— Comme ça, répondit-elle sur un ton geignard. Mon dos me fait mal.
— Je vais vous masser.
— Ça ne me soulage pas. Qu’est-ce que vous cherchez toujours dans mon placard ? Quelque chose ne va pas ? »
Jill essaya de ravaler son estomac. « Les souris, dit-elle.
— Il y a des souris ? Je vais demander à changer de chambre ! »
Jill détacha l’instrument et le fourra dans sa poche, puis sauta de la chaise. « Allons, allons, Mrs Fritschlie – je regardais simplement s’il y avait des trous de souris – il n’y en a pas.
— Vous êtes sûre ?
— Absolument. Allons, faites-moi voir ce dos. Retournez-vous doucement…»
Après cela, Jill décida de risquer la chambre vide qui faisait partie de la suite K-12, celle de Smith. Elle prit le passe-partout.
Mais la porte était ouverte et il y avait deux marines dans la chambre. Ils tournèrent la tête lorsqu’elle ouvrit la porte. « Vous cherchez quelqu’un ?
— Il est interdit de s’asseoir sur les lits, répondit-elle d’un ton acide. Si vous voulez, je peux vous faire porter des chaises. » Les gardes finirent quand même par se lever. De retour dans le couloir, elle se mit à claquer des dents.
L’appareil était toujours dans sa poche lorsqu’elle quitta son service. Elle décida de le rendre à Caxton. Elle décolla et se dirigea vers l’appartement de Ben ; elle se sentait déjà mieux. Elle lui téléphona en vol.
« Ici Caxton.
— C’est Jill. Je voudrais vous parler, Ben.
— Ce n’est pas très malin, répondit-il lentement.
— Il le faut. Je suis en chemin.
— S’il le faut vraiment…
— Quel enthousiasme !
— Voyons, chérie, je ne demande…
— À tout de suite ! » Elle raccrocha, se calma et décida de ne pas en vouloir à Ben. Ils avaient eu tort – du moins, elle avait eu tort – de se mêler de politique.
Elle se sentit mieux dans ses bras. Ben était si gentil – elle devrait peut-être vraiment l’épouser. Elle voulut parler, mais il lui posa la main sur la bouche, et murmura : « Chut. Ils ont peut-être mis un micro dans l’appartement. »
Elle sortit le magnétophone et le lui donna. Il le prit en haussant les sourcils, et lui tendit un exemplaire du Post.
« Jetez donc un coup d’œil sur le journal pendant que je vais me laver, dit-il d’une voix normale.
— Merci. » Avant de sortir, il lui montra un article. Il était de lui :
LE NID DE PIE
de Ben Caxton
Chacun sait que les prisons et les hôpitaux ont au moins une chose en commun : il est parfois très difficile d’en sortir. Dans un sens, un prisonnier est plus libre qu’un malade : il peut faire venir son avocat, invoquer l’habeas corpus et exiger un jugement public et équitable.
Mais il suffit d’une pancarte interdisant les visites, sur l’ordre d’un de nos guérisseurs modernes, pour condamner un malade hospitalisé à la solitude et à l’oubli.
Certes, on ne peut interdire à la famille de venir – mais l’Homme de Mars ne semble pas avoir de famille. L’équipage du malheureux Envoy avait peu de liens sur Terre, et si l’Homme de Mars a des parents susceptibles de faire respecter ses droits, plusieurs milliers de journalistes ont été incapables de les trouver.
Qui parle au nom de l’Homme de Mars ? Qui le fait surveiller par des gardes armés ? De quelle épouvantable maladie est-il atteint, pour que nul ne puisse le voir ou lui poser des questions ? C’est à vous que je m’adresse, Mr. le secrétaire général. Les explications données – « faiblesse musculaire », « fatigue due à la gravité » – ne nous satisfont pas. Si telle était la vérité, il n’y aurait pas besoin de gardes ; une infirmière pesant cinquante kilos suffirait.