Выбрать главу

— Ne crains rien. J’irai lentement.

Elle rejoignit la route, passa près de la ferme Lamy. Elle aperçut plusieurs personnes devant la porte, agita la main sans s’arrêter. Plus loin elle rencontra des congères mais put les contourner en quittant la route. La descente sur Foncine fut assez facile et elle s’immobilisa devant le café du pays.

Tranquillement elle pénétra dans l’épicerie du village, attendit son tour d’être servie. Elle acheta des aliments pour chien.

— Y a-t-il une famille Roso ? demanda-t-elle en s’efforçant d’avoir un ton très naturel.

L’épicière parut réfléchir :

— Roso ? Ce nom ne me dit pas grand-chose. On vous a dit qu’ils habitaient ici ? Je connais à peu près tout le monde sauf les gens qui viennent pour la neige, évidemment. Vous avez demandé au café ?

— Non, pas encore.

— Ils vous renseigneront peut-être. C’est tout ce que vous voulez ?

En sortant elle aperçut la fourgonnette des postes et attendit le facteur.

— Roso ? Je n’ai pas ça dans mes clients. Et je fais plusieurs villages, vous savez.

L’enfant avait donc menti.

— Ils ont un petit garçon de dix ans qui porte une longue cape d’un bleu très sombre, presque noire, taillée dans du tissu militaire très certainement.

— Non, je ne vois pas.

Le café était désert. Elle commanda une Suze-citron, mais n’obtint pas de renseignements. Personne n’avait vu de petit garçon portant une longue cape.

— Il y a beaucoup de gens qui habitent la région. Des étrangers au pays qui s’installent dans des vieilles maisons, des fermes isolées. Vous êtes bien madame Berthod ? lui demanda la patronne. Je vous ai reconnue à cause de votre engin. Votre mari vient quelquefois ici l’été.

Elle décida d’aller jusqu’à Foncine-le-Haut, dut suivre la route verglacée. Mais elle n’obtint pas de meilleures informations, déjeuna dans un petit restaurant. Elle choisit de rentrer par une autre route malgré la forte pente qui l’attendait. Le scooter pouvait franchir ce genre d’obstacle mais elle crut bien devoir faire demi-tour. Durant une heure elle dut jeter de la neige sur le verglas pour avancer et franchir le petit col.

Plus loin il y avait une ferme mais les volets en étaient fermés. Elle s’arrêta un moment, tourna autour en espérant découvrir des traces. Truc fouinait lui aussi mais visiblement personne n’était venu là depuis quelque temps.

Elle fut quand même heureuse d’apercevoir La Rousse, conserva jusqu’au bout l’espoir qu’il était revenu et l’attendait. Elle n’avait pas fermé les portes et en entrant dans le living elle l’appela :

— Pierre ?

Mais il n’était pas revenu. Attristée, elle donna à boire et à manger au chien, alla s’étendre dans le living en écoutant de la musique, un verre de whisky à la main.

Le téléphone la fit sursauter. Malgré l’improbabilité de la chose elle crut que c’était le jeune garçon qui l’appelait. Ce n’était que son mari.

— Tu devais m’appeler, lui reprocha-t-il. Tout va bien ? J’ai appelé vers midi.

— J’étais sortie.

— Tu vas bien ?

— Oui, ça va. Quand viens-tu ?

— Vendredi soir certainement. Veux-tu que j’amène des amis ? Les Gardet par exemple ?

Il devait appréhender de passer le week-end en tête à tête avec elle.

— Une autre fois, dit-elle. Je ne me sens pas disposée à recevoir du monde.

— Comme tu voudras. Mais cela t’aurait distraite… Tu sais que Louise Gardet t’aurait donné un coup de main.

— Je n’y tiens pas du tout. Une autre fois.

— Tu es certaine que tout va bien ? Je te trouve une drôle de voix. Veux-tu que je t’envoie le docteur Rolland ?

— Je ne suis pas malade.

— Peut-être un peu déprimée ?

— Non. Je suis en pleine forme.

Elle se méfiait. Il était quand même capable d’avertir le docteur. Il fallait lui donner la preuve qu’elle n’avait pas besoin d’être examinée.

— Je sors tous les jours avec le scooter. Il marche toujours très bien. Je mange à droite et à gauche et je ne m’ennuie pas. Que veux-tu que je prépare pour vendredi soir ?

— Ce que tu voudras… Rien de sensationnel. Toute cette semaine j’ai fait pas mal de déjeuners d’affaires. Je profiterai du week-end pour me mettre au régime.

— Entendu.

Le combiné raccroché, elle le regarda d’un œil sombre. Elle ne comprenait pas son mari. Dans cet accident il avait perdu non seulement son fils unique mais aussi ses parents, et pour lui la vie continuait comme s’il ne s’était rien passé. Il avait résisté au choc avec son égoïsme habituel. Qu’est-ce qui pourrait un jour l’atteindre au plus profond de lui-même, lui donner le dégoût de l’existence qu’il menait ?

Cinq minutes plus tard, le téléphone sonna à nouveau et elle pensa que Guy la rappelait.

— Madame Berthod ? J’ai votre oie. C’est peut-être un peu tôt dans la semaine, comme j’en ai trouvé une j’ai pensé qu’il valait mieux ne pas laisser passer l’occasion.

— Mon oie ?

— Mais oui, souvenez-vous.

— Oui, bien sûr. Je passerai la prendre. Demain. Aujourd’hui, je ne suis pas venue à Chapelle.

— Oh ! Ça ne presse pas, quand vous voudrez. Tout va bien à La Rousse ? Pas besoin de quelque chose ?

— Non, merci, tout va bien.

Elle se dit que peut-être son mari avait demandé au café du village des nouvelles de sa femme et le patron avait choisi le prétexte de l’oie pour la rappeler.

L’oie farcie. Elle l’avait complètement oubliée. Le gamin lui avait demandé d’en faire cuire une. Pourquoi une oie ? Où avait-il entendu ces mots, magiques pour lui peut-être, évoquant des festins somptueux, des réveillons extraordinaires ? Elle se mit à rire. Quelle tête ferait Guy lorsqu’elle lui servirait cette oie. Combien pouvait-elle peser ? Il serait furieux, circonspect quant à l’état mental de sa femme. La bête devait bien faire plusieurs kilos. Pour deux c’était une quantité énorme de marchandise. Que diraient aussi les gens de Chapelle lorsqu’ils sauraient qu’elle avait commandé une oie pour elle et son mari ? Plus que jamais ils penseraient qu’elle n’allait pas très bien et avait quelque chose de dérangé dans la tête.

Pourtant elle avait vraiment désiré faire plaisir à l’enfant. Elle s’était vue sortant l’oie dorée et fumante du four, l’apportant sur la table devant les yeux extasiés de Pierre Roso.

— Pierre Roso, répéta-t-elle.

Puis elle hurla. De toutes ses forces pour se libérer de ce cauchemar. Truc, névrosé comme la plupart des chiens de race, fit un bond terrible et se mit à hurler à la mort. Ce fut d’un effet brutal sur la crise de Charlotte. Elle se dressa, se bouchant les oreilles avec ses mains :

— Tais-toi, pour l’amour du ciel, tais-toi !

Elle prit un coussin, le lui lança à la tête. Il s’enfuit derrière un fauteuil, ne bougea plus. Lorsque quelques secondes plus tard il risqua un œil inquiet, elle éclata de rire. Tout frétillant, il la rejoignit, plaça sa gueule entre ses genoux, ferma les yeux de bien-être.

— Tu es gentil, Truc, mon bon Truc. Toi seul me comprends. Toi seul as vu ce petit garçon, n’est-ce pas ? Il était vêtu d’une longue cape. Il a mangé ici plusieurs fois, il a même couché. Pourquoi refuses-tu de flairer son odeur ? Dis-moi pourquoi tu refuses ?

Truc gémit sans expression particulière. De l’index elle frappa son crâne :

— Qu’y a-t-il là-dedans ? Juste l’odeur d’Antoine ? Tu refuses celle d’un autre enfant de son âge ? C’est ça ta fidélité ? Mais elle me désespère, moi. Je n’ai rien à quoi me raccrocher. Rien. Même cette luge que j’ai décrochée, j’aurais très bien pu le faire inconsciemment, pas précisément pour l’enfant. L’autre soir, Bouvet m’a vue, avec elle. Tu étais attelé avec le harnais. Il a dû trouver ça très curieux. De même pour les vêtements. Il y en avait dans la penderie et aussi dans la commode. Est-ce que je les ai rassemblés pour une illusion ? Une hallucination ? Tu sais ce qui se passe en toi ? Tu sens que ce gosse ne t’aime pas. Alors tu réagis à ta manière de chien. Tu l’ignores. Non seulement lui, mais encore son odeur. Tu refuses de flairer sa trace. Tu la méprises. Pour ton orgueil de chien c’est la pire des insultes, car si tu suivais sa piste ce serait la preuve que tu y es attaché. Tu comprends ça, hein ?