Выбрать главу

— Je n’ai pas très faim, dit-elle.

— Nous tâcherons de faire un bon gueuleton à midi. Mais nous partirons dès que j’aurai fini. Tu es prête ?

— Je n’en ai pas pour longtemps, dit-elle.

Une fois dans la salle de bains elle put libérer ses larmes. Elle pleura silencieusement, baignant ses yeux d’un produit spécial pour que Guy ne se doute de rien.

— Tu as bon moral. Des lunettes de soleil ?

— Peut-être qu’il se montrera, dit-elle.

— Est-ce qu’on ferme à clé ? demanda-t-il goguenard. Il n’y a pas d’autre oie à voler ?

Elle eut un pâle sourire.

— J’espère qu’un jour tu m’expliqueras, dit-il en mettant le scooter en marche.

L’engin passa à quelques mètres de la tombe clandestine de Truc. Seul, à nouveau, un vent violent pourrait découvrir son cadavre. Lorsque Guy serait reparti, il lui faudrait prendre une décision. Mieux valait pour tout le monde qu’on ne retrouve jamais le chien mort.

Le vent glacé qui piquetait son visage de pointes fines lui fit le plus grand bien. Elle serait allée au bout du monde ainsi et surtout très loin de La Rousse. Loin de ce petit démon terrifiant capable de tuer avec un couteau.

CHAPITRE XI

Malgré leur fatigue, Guy voulut passer par le village au cas où l’on y aurait aperçu le chien.

— Il n’y sera pas, dit Charlotte, épuisée. Mieux vaut rentrer chez nous.

— Tu es bien défaitiste, dit-il. On dirait que tu te désintéresses de son sort. Je croyais que tu y étais beaucoup plus attachée.

— Plus que tu ne crois, dit-elle, mais pourquoi serait-il au village et non chez nous ?

Ils s’arrêtèrent donc au bistrot, durent boire plusieurs tournées avec des tas de gens. À midi ils avaient beaucoup mangé et bu.

— Tu as peut-être hâte qu’on rentre à la maison, lui souffla-t-il.

— Non. Pas spécialement.

En fait elle appréhendait d’y retourner, d’y découvrir la preuve que l’enfant ne s’était pas tellement éloigné. Guy commençait d’être très gai. Parce que sa famille vendait du vin depuis des générations il se croyait difficile à soûler. Parfois les tournées se succédaient très tard à cause de sa vantardise. Lorsqu’on parla de fondue, Charlotte déclara qu’elle était d’accord.

— Je croyais que tu avais hâte de voir si Truc nous attendait à La Rousse.

Elle ne répondit pas. Ils furent plus de vingt autour du grand poêlon. Charlotte se laissa griser par l’ambiance, le vin blanc et le kirsch. À un moment son mari l’entendit dire qu’elle avait déjà mangé une fondue dans la semaine mais qu’elle ne s’en lassait jamais. Il essaya de l’approcher pour savoir si elle l’avait faite pour elle toute seule ou bien pour d’autres personnes.

Finalement il oublia, paya le champagne à tout le monde. Quand ils quittèrent le village il était plus de minuit et Guy fit un démarrage foudroyant tandis que Charlotte dormait à l’arrière. Il dut la transporter jusqu’au living où elle se réveilla difficilement. Lorsqu’elle se reconnut chez elle, ses yeux s’agrandirent démesurément.

— Guy ! hurla-t-elle.

Il accourut de la cuisine, un verre d’Alka-Seltzer à la main.

— Hé, qu’est-ce que tu as ?

— Il faut fermer la porte à clé… Toutes les portes…

Il sourit :

— Eh bien ! Tu es drôlement arrangée ! Remarque que moi aussi j’en ai un sérieux coup dans l’aile. Encore deux verres et je n’avais plus le courage de repartir. Tiens, bois, ça te fera du bien.

Mais elle repoussa le verre, essaya de se lever et ne put tenir sur ses jambes.

— Guy, sanglota-t-elle. Il faut partir d’ici… Il nous guette… Avec son couteau…

Son mari avala le verre qu’il lui destinait, haussa les épaules :

— Tu as bien besoin de ton lit. Il n’y a personne qui nous guette avec un couteau. Dis donc, ça ne te vaut rien de rester seule dans cette maison perdue. Tant qu’il s’agissait de ce gosse imaginaire ce n’était pas grave, mais maintenant tu parles d’un homme armé d’un couteau…

— Pas d’un homme, souffla-t-elle, pas d’un homme… C’est lui qui a le couteau… Pierre… Le couteau à découper… Il l’a pris dans le tiroir.

Guy n’était pas facilement impressionnable. L’alcool devait la déprimer, pensa-t-il. Il regarda en direction de la cuisine, hésita. Il n’avait pas l’énergie d’aller regarder dans le tiroir.

— Il a tué Truc, dit-elle. Un coup de couteau dans la gorge.

— C’est ça. Un gosse de dix ans contre un chien-loup dans la force de l’âge. Je crois qu’il est temps qu’on se couche.

— Guy, le couteau a disparu.

— Tu l’as certainement égaré. Nous le chercherons demain.

— Je te dis qu’il l’a pris, bredouilla-t-elle.

Son mari finit par s’emporter. Il alla préparer un autre verre d’Alka-Seltzer et l’obligea à le boire.

— Maintenant, au lit.

En reportant le verre il ouvrit machinalement, et en se traitant d’idiot, le tiroir de la cuisine, jura et pénétra dans le living le couteau à la main :

— C’est bien celui-là ? Il n’y en a qu’un, n’est-ce pas ? Eh bien, il n’a jamais quitté ton tiroir. Ça te suffit, oui ?

— Il est venu le remettre en place… Pendant que nous n’étions pas là.

— J’avais fermé les portes.

— Pas celle-là.

Elle désignait celle qui communiquait avec la grange.

— Bien sûr que non…

— Il est là-haut, dans le grenier.

— Bien sûr et il s’est déguisé en gros rat rond.

— Il n’y a pas de rat. J’ai inventé ça.

— Tu inventes toutes sortes de choses.

Charlotte secoua la tête :

— Pas le cadavre de Truc… Il est là-bas sous la neige. À cinquante mètres de la maison. Le vent l’avait découvert et je l’ai enterré ce matin avant que tu ne rentres.

Il ferma les yeux, lissa son crâne dénudé.

— L’ennui avec toi c’est que tu mets une telle sincérité dans tes affirmations qu’il est difficile de croire que tu mens. Écoute, Charlotte, il est 1 h 30. Si tu veux rester là, à ta guise, mais moi je vais me coucher.

— Je te jure que Truc est sous la neige. J’ai même façonné une sorte de colonne à l’endroit précis.

Cette fois il éclata :

— Une colonne ? C’est bon, on va y aller. Je vais chercher de quoi nous éclairer et une pelle.

Il sortit de la cuisine avec la grosse lampe à piles qu’elle avait prêtée à l’enfant. Charlotte poussa un cri qui le fit sursauter.

— Non, dit-elle. Elle ne pouvait être là.

— Viens, fit-il rudement en lui prenant le bras.

— Je ne veux pas passer par la grange… Il nous guette.

— Un enfant de dix ans. Mais tu es complètement folle, ma pauvre Charlotte. Je commençais à avoir des doutes mais maintenant c’est une certitude. Je vais quand même te donner une chance avec le chien.

Tout le temps qu’il resta dans la grange elle se retint de respirer. Mais il reparut la pelle à la main.

— Allons-y. C’est complètement stupide mais j’espère qu’ensuite tu pourras dormir. Je dois te démontrer qu’il n’y a pas de cadavre de chien sous la neige à l’endroit que tu m’as indiqué. Truc est certainement en train de s’envoyer une chienne dans le bois.

D’un pas automatique elle marcha vers l’endroit en question.

— Regarde.

Il y avait effectivement une colonne de neige, haute de cinquante centimètres et plus large à la base qu’au sommet.