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— Il est juste dessous, dit-elle.

— À combien de profondeur ?

— Trente, quarante centimètres… Pas plus.

Pendant près d’un quart d’heure il pelleta la neige, déblayant un carré de deux mètres sur deux, atteignant l’herbe du champ par endroits, puis il jeta la pelle et croisa les bras :

— Excellent quand on a une bonne cuite. J’ai éliminé tout ce que j’ai bu. Toi j’espère que tu n’as pas pris une congestion.

Elle frissonnait tout en regardant autour d’elle.

— Il l’a peut-être déplacée.

— Truc pèse une trentaine de kilos, lança-t-il. Je vois mal comment un gosse de dix ans aurait pu le soulever et même le tirer.

— Pas Truc, murmura-t-elle, la colonne. Il me semble que par rapport à la fenêtre de la cuisine elle était plus près et sur la gauche.

— Oui, et quand je n’aurai rien trouvé ce sera plus loin et sur la droite. Nous allons nous coucher.

Elle le suivit en grelottant. Il dut lui faire boire un bon grog pour la réchauffer.

— Ça, ajouté au reste, j’espère que tu vas ronfler toute la nuit.

Ce fut elle qui ferma la porte de séparation avec la grange avant de monter à l’étage.

— Tout est irréel, dit-il lorsqu’il se glissa dans le lit à côté d’elle. Tout. Tu as tout imaginé, tu m’entends ? Tout. D’ailleurs le prénom de Pierre aurait dû me le faire comprendre plus tôt. Je sais maintenant que tu tenais beaucoup à ce prénom. L’autre avait été pour ainsi dire imposé par ma mère et tu n’aimais pas particulièrement ta belle-mère.

— Guy, ils sont tous morts…

— Je sais, mais je ne profane pas leurs tombes en parlant ainsi. Ce gosse n’existe pas, tu m’entends ?

Elle fermait les yeux. La tête lui tournait et elle espérait basculer rapidement dans le sommeil.

— Tu m’entends ? Je veux que tu répètes après moi : ce gosse n’existe pas, il n’a jamais existé.

Il dut la secouer pour lui faire ouvrir les paupières sur des yeux glauques de sommeil :

— Répète.

Elle bredouilla vaguement quelque chose et il soupira.

— Dors le plus profondément et le plus longtemps possible. J’espère que demain tu ne te souviendras plus de rien. Si tu devais continuer à créer des situations aussi dramatiques chaque jour, ta raison n’y résisterait pas longtemps.

Charlotte se réveilla avec un terrible mal de tête. Au-dehors le soleil brillait. Guy avait dû déplacer légèrement les rideaux en se levant avant elle. Vêtue d’une robe de chambre, elle descendit à la cuisine, jeta deux cachets dans un verre d’eau.

Son mari était au-dehors, sondant la neige avec une longue tige de fer. Alors elle se souvint de ses confidences folles de la nuit. Désormais tout serait différent. Guy ne pouvait oublier, traiter à la légère ce qu’il appelait ses inventions et ses mensonges. La preuve, il voulait se persuader d’avoir raison pour pouvoir la ramener avec lui à Dijon. La lutte s’annonçait impitoyable dès le matin.

Il rentra peu à peu, l’embrassa sur le front sans l’examiner d’un œil critique comme il le faisait d’habitude.

— Je te sers du café ?

— Un plein bol. J’ai une sacrée gueule de bois. L’air frais m’a fait du bien cependant. Et toi, comment ça va ?

— La tête, murmura-t-elle avec une grimace.

Elle s’assit en face de lui :

— Tu n’as rien trouvé ?

— La tige s’enfonçait jusqu’au sol gelé et dur. Il n’y a jamais eu de cadavre de chien.

Charlotte baissa la tête.

— Pas de cadavre. Truc galope quelque part dans le coin. Pas de gamin armé d’un couteau non plus. Je suis monté dans le grenier au-dessus de la grange.

Charlotte tressaillit mais n’osa poser aucune question.

— Il n’y a que du foin, de vieux meubles, des caisses, vides.

Qu’étaient devenues les couvertures ?

— Voilà, dit-il.

Elle se versa une tasse de café, la sucra à peine.

— Tu commenceras les préparatifs ce matin, dit-il. Il faudra bien deux voyages pour transporter tes affaires jusqu’à Chapelle. À moins que je puisse venir en voiture jusqu’ici.

— Je ne quitterai pas La Rousse.

— Tu dois la quitter. Il est impossible que tu vives seule ici. Et comme nous n’avons pu trouver quelqu’un qui accepte de s’isoler avec toi, je ne vois pas d’autres solutions.

— Espères-tu me ramener de force à Dijon ?

Il tartinait un toast de beurre sans tellement s’émouvoir du ton irrité de sa femme.

— Non, évidemment. Je fais simplement appel à ton bon sens. Si vraiment je ne puis te convaincre, je resterai ici également. Le temps nécessaire pour que tu reviennes vivre avec moi. Mon travail est à Dijon, notre maison également. Si cette maison est la source de nos… ennuis, je n’hésiterai pas à la vendre.

— Tu ne la vendras pas ! cria-t-elle. Jamais !

Avec des gestes calmes, il repoussa son bol, croisa ses bras sur la table :

— Charlotte, je ne comprends pas. Pourquoi veux-tu rester ici ? Je sais que tu détestes Dijon, nos relations. Bien, je l’admets. Pourquoi n’irais-tu pas dans les Alpes, dans une station animée ? Ou bien sur la Côte d’Azur ? Je te propose encore un voyage à l’étranger. Aux Caraïbes par exemple. Il y fait très chaud en ce moment. C’est l’été. Tout mais pas La Rousse. Cette vie est malsaine pour toi.

— C’est faux, dit-elle entre ses dents. J’ai pris du poids et je sors tous les jours.

Elle alla chercher son sac, en sortit des notes de restaurant griffonnées sur des feuilles de petits blocs-notes.

— La preuve.

— Alors, pourquoi veux-tu rester ? Pas pour Truc puisque tu es persuadée qu’il est mort. Pour ce gosse ? Il ne ressemble en rien à Antoine. D’après ce que tu m’as dit, tu vois que je me réfère à tes sources, il s’agit d’un garçon inquiétant qui joue du couteau, n’hésite pas à égorger un chien, se comporte comme un voyou. Comment as-tu pu t’attacher à lui ?

Il soupira :

— Évidemment, il m’est difficile d’y croire. Je fais un effort pour admettre qu’il existe. Tu as donc besoin de lui ? De sa perversité ?

— Non. C’est lui qui a besoin de moi, dit-elle. Il est farouche, haineux. Je peux le transformer.

Toujours sous l’effet soudain de cette contrariété qu’il ne pouvait maîtriser, il se leva, fit quelques pas autour de la table.

— Tu voudrais que j’entre dans la folie, n’est-ce pas ? Que je perde le sens du réel ?

— Pierre Roso existe. Il a mangé à cette table, il m’a parlé. Pourquoi, si je l’avais imaginé, l’aurais-je créé aussi cruel ?

Guy se laissa lourdement tomber sur sa chaise.

— Je ne sais pas, murmura-t-il. Non, je ne sais pas… À moins que tu ne l’aies chargé de toute ton agressivité contenue… Qu’il ne soit que l’expression de ta rancune contre les autres, contre moi… Peut-être que tu me détestes parce que j’ai laissé partir Antoine avec mes parents… Et qu’il est mort. Eux aussi d’ailleurs.

— Je ne haïssais pas Truc, murmura-t-elle, et pourtant il est mort.

CHAPITRE XII

À midi, Guy abandonna la lutte. Pendant près de trois heures il avait essayé de convaincre Charlotte de rentrer avec lui à Dijon, lui promettant de revenir chaque vendredi et de ne repartir que le lundi pour avoir deux jours vraiment complets de week-end. Elle n’avait accepté aucune solution.

— On dirait, fit-il épuisé, que tu recherches la rupture.

— Tu te trompes, dit-elle, mais pour l’instant j’ai besoin de vivre seule le plus souvent possible et ici. Pas ailleurs. Il n’y a qu’ici que je me sente bien. Peut-être qu’un jour j’accepterai l’idée de revenir à Dijon, mais pas pour l’instant.