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— Albert, lui, cherchait de son côté. Il a pu faucher un lapin près de Foncine. On l’a fait cuire dans la cheminée.

— Tu ne peux pas rester ici, murmura-t-elle.

— Où voulez-vous que j’aille ?

— Chez moi. Tu as besoin de manger, de dormir. Demain nous déciderons ensemble de ce qu’il faut faire.

— Croyez-vous me posséder ? Pendant que je dormirai vous avertirez les flics et je serai coincé chez vous.

— Je n’avertirai pas les flics, dit-elle.

— Pourquoi voulez-vous que je vous croie ? Ce soir vous m’avez fait attendre une heure avant de m’ouvrir. Vous aviez peur de moi et vous avez toujours peur de moi. Une fois que je serai chez vous, vous réaliserez que vous avez fait une connerie et vous téléphonerez.

— Je peux aussi le faire si tu ne viens pas avec moi, dit-elle.

— C’est pourquoi je vais filer tout de suite.

— Tu ne sais pas où aller. Moi je t’offre un refuge. Mon mari ne reviendra pas avant la fin de la semaine qui commence demain…

— Pourquoi vous arrêtez-vous ? À quoi pensez-vous ?

Guy avait laissé entendre qu’il viendrait certainement à l’improviste. Mais le ferait-il une fois pris dans le tourbillon de ses obligations, de son travail ?

— Tu pourras rester jusqu’à vendredi, dit-elle. Cela fait cinq jours pour réfléchir à ta situation. Je t’aiderai. Autant que je le pourrai.

— Et lui ?

— Nous ne pouvons plus rien pour ton copain. On pourra boucher le tunnel pour que rien ne puisse entrer.

Il frissonna.

— Vous pensez à des bêtes ?

— Bien qu’il fasse moins froid que dehors, ce sera suffisant, dit-elle. Il sera ici comme dans une crypte.

Robert s’approcha du cadavre, tira la couverture sur ses jambes, puis sur son visage.

— Vous êtes sûre qu’il est mort ?

— Absolument sûre, souffla-t-elle.

— Écoutez, je viens chez vous pour cette nuit. Si vous me possédez, vous le regretterez. Un jour je m’évaderai de nouveau et je viendrai pour vous tuer.

Malgré ses menaces, elle devinait qu’il était à bout de forces, qu’il désirait dormir dans un lit chaud, et surtout ne pas être obligé de rester près du mort.

— Je ne te trahirai pas, dit-elle.

— À qui téléphoniez-vous quand j’ai tapé à votre vitre ?

— Mon mari venait de m’appeler pour me dire qu’il était arrivé à Dijon.

— Le téléphone a encore sonné ensuite.

— Il s’inquiète pour moi. Il voulait que je rentre avec lui aujourd’hui.

— Pourquoi avez-vous refusé ? demanda-t-il, à nouveau méfiant.

— Je ne me plais pas à Dijon. Et puis j’avais peur que mon mari ne m’amène chez des médecins, ne me fasse entrer dans une maison de santé.

— Chez les dingues ?

— Si tu veux.

Il l’observait avec attention.

— Vous n’avez pas l’air d’une folle, dit-il.

— Merci. Tu vois que moi aussi je suis traquée. Je n’ai aucune raison de te trahir.

— Je vous le souhaite.

Il alla prendre la lanterne sourde et sortit derrière elle. Elle l’aida à élever un mur pour boucher l’entrée du tunnel sur une belle épaisseur.

— Quand as-tu enlevé le corps de Truc ? demanda-t-elle.

— Hier matin. J’ai pensé que vous pourriez le trouver avec votre mari. Et puis j’ai découvert la colonne que vous aviez placée dessus.

— Mais comment as-tu fait ?

— Avec ma cape. Je l’ai glissée sous le corps et je l’ai tiré vers le bois, puis j’ai effacé les traces.

— Viens, dit-elle. Rentrons.

Elle lui prépara une omelette au lard, lui coupa des tranches de saucisson. Il mangeait goulûment. Il avait dû passer de terribles moments près de son ami blessé.

— Pourquoi as-tu rapporté cette lampe électrique ? demanda-t-elle.

— Je pensais que votre mari la chercherait. J’avais l’autre qui marche au pétrole et c’était suffisant.

— Tu n’es pas resté longtemps dans le grenier de la grange ?

— J’ai sauté par la lucarne. C’est ce soir-là que tout a commencé à mal tourner pour Albert. Il a mangé un morceau d’oie pour me faire plaisir mais je sentais qu’il s’affaiblissait.

— Tu n’as pas songé à venir chercher du secours ?

— J’avais juré… Et il ne me l’aurait pas pardonné. Ce n’est que ce soir que je me suis affolé.

Elle lui tourna le dos. Pour qu’il ne puisse pas lire sur son visage.

— Je savais que nous le retrouverions mort, dit-il à voix basse. Je ne suis pas venu chercher du secours… Mais j’avais peur de rester tout seul avec lui… Ce n’est pas vrai qu’il m’a parlé avant que je le quitte. Depuis le matin il avait tout juste la force de respirer.

CHAPITRE XIV

Dans l’après-midi le téléphone sonna encore une fois. Robert, assis devant le feu, la regarda :

— Ils vous traquent vraiment.

Son mari avait téléphoné deux fois dans la matinée, puis ensuite il y avait eu le docteur Rolland vers midi. Il projetait de passer la voir le lendemain, n’ayant pu venir vendredi à cause de la tempête de neige.

— Oui, madame Berthod… Ah ! C’est vous, madame… Non, tout va bien, mais je n’avais rien à faire au village ce matin. Demain certainement. Je vous remercie.

Elle raccrocha.

— La patronne du bistrot, dit-elle.

— Il a prévenu tout le monde, alors ? Ils ne nous ficheront pas la paix ?

— Je le crains, soupira-t-elle.

— Vous l’aimez ?

Surprise, elle posa son magazine pour regarder le jeune garçon.

— C’est mon mari, dit-elle.

— Si vous l’aimiez, vous vivriez avec lui à Dijon.

— Mais je suis fatiguée, nerveusement. Il me faut l’air pur de la montagne.

— Je suis sûr que vous allez très bien, dit-il. Mais vous avez besoin d’un prétexte.

Suffoquée par tant d’impertinence, elle lui tourna le dos, allongea ses jambes sur l’accoudoir de la banquette.

— Si vous ne l’aimez pas, divorcez et vous serez tranquille.

Elle ne répondit pas. Il se leva pour aller chercher une pomme. Du moins elle le supposa lorsqu’elle l’entendit croquer dedans et mâcher avec bruit.

— Vous n’avez pas essayé d’avoir un autre gosse ? Vous êtes jeune pourtant. Vous pourriez avoir un bébé.

— Occupe-toi de ce qui te regarde.

— Oh ! Ne vous fâchez pas.

Il se dirigea vers la grange.

— Où vas-tu ?

— Chercher du bois.

— Ne sors pas au-dehors surtout.

— Pourquoi, vous croyez qu’il a payé des gens pour vous surveiller ?

Non, elle ne le pensait pas mais quelqu’un pouvait passer, comme « par hasard ». Michel par exemple ou n’importe quel autre habitant du village.

— Moi, je ne supporterais pas, dit-il en revenant les bras chargés de bûches.

— Tu ne supporterais pas quoi ? demanda-t-elle avec un calme trop appliqué.

— Qu’il me surveille sans relâche, qu’il ne me fiche pas la paix. C’est ça le mariage ?

— Il se fait du souci.

— Il croit que vous avez des visions ? S’il arrivait maintenant et qu’il me découvre, il saurait bien que non.

Elle y songeait sans cesse. Il pouvait atteindre La Rousse avec sa voiture, surgir sans qu’ils s’y attendent. Robert n’aurait pas le temps de se cacher. Le temps était très doux, la petite route certainement accessible.

— Tu ne m’as pas dit ton nom, fit-elle.