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— Que s’est-il passé mardi, Guy ?

— Oui, pardon. Mardi. Il était à peu près huit heures du soir. Il y a eu un coup de fil des stations d’interception. C’est Flowerdown qui l’a pris mais Scarborough l’a entendu aussi. Moi, j’étais à la cantine. Puck est venu me chercher. Ils avaient commencé à intercepter quelque chose en début d’après-midi. Un seul mot. Envoyé toutes les heures, à l’heure pile. Ça venait de Sainte-Assise et c’était émis sur les deux principaux réseaux radio des U-Boote.

— Ce mot était chiffré en Shark, je suppose ?

— Non, justement. Et c’est ça qui les excitait tant. Ce n’était pas chiffré. Ce n’était même pas en morse. C’était une voix humaine. Un homme. Et qui répétait un seul mot : Akelei.

— Akelei, murmura Jericho. Akelei… C’est une fleur, non ?

— Ah ! » Logie applaudit. « Tu es formidable, Tom. Tu vois comme tu nous as manqué ? Il a fallu qu’on aille demander à l’un des Allemands de l’équipe de nuit ce que ça voulait dire. Akelei : fleur à cinq pétales de la famille des boutons-d’or, du latin Aquilegia. On appelle ça vulgairement colombine.

— Akelei, répéta Jericho. C’est un signal convenu à l’avance, sans doute.

— Effectivement.

— Et ça veut dire ?

— Ça veut dire problèmes, voilà ce que ça veut dire, vieille branche. Et nous avons découvert l’ampleur des dégâts hier soir à minuit. » Logie se pencha en avant. Aucun humour ne perçait plus dans sa voix. Il présentait un visage grave et concentré. « Akelei signifie : “Changez le Précis du chiffre météorologique”. Ils sont passés à un nouveau livre de code et nous n’avons pas la moindre indication de ce qu’il faut faire. Ils ont fermé notre accès à Shark, Tom. Ils nous ont replongés dans le noir. »

Jericho ne mit pas longtemps à faire ses bagages. Il n’avait rien acheté depuis son arrivée à Cambridge à part son journal quotidien, aussi n’emporta-t-il que ce qu’il avait apporté avec lui trois semaines auparavant : deux valises pleines de vêtements, quelques livres, un stylo à encre, une règle et des crayons, un échiquier portable et une paire de chaussures de marche. Il posa ses valises sur le lit et arpenta lentement la chambre pour rassembler ses effets tandis que Logie l’observait à la porte.

Une comptine lui tournait dans la tête, surgie de quelque profondeur cachée de son cerveau : «  À cause d’un clou, le cheval fut perdu ; à cause du cheval, le cavalier fut perdu ; à cause du cavalier, la bataille fut perdue ; à cause de la bataille, le royaume fut perdu ; et tout cela à cause d’un clou de fer à cheval… »

Il plia une chemise et la posa sur les livres.

À cause d’un Précis du chiffre météo, ils pouvaient perdre la bataille de l’Atlantique. Tant d’hommes, tant de matériel menacés par quelque chose d’aussi infime qu’une modification des codes météo. C’était absurde.

« On reconnaît toujours les anciens pensionnaires, remarqua Logie. Ils voyagent légers. À cause de ces interminables déplacements en train, je suppose.

— Je préfère. »

Il glissa une paire de chaussettes sur le côté de la valise. Il y retournait. On voulait qu’il revienne. Il ne savait pas trop s’il était ravi ou terrifié.

« Tu n’as pas grand-chose à Bletchley non plus, hein ? »

Jericho fit volte-face pour le regarder. « Comment tu le sais ?

— Ah ! » Logie, gêné, cilla. « Je crois bien que nous avons été obligés de vider ta chambre, pour, euh, la donner à quelqu’un d’autre. Question de manque de place et tout ça.

— Vous ne pensiez pas que je reviendrais ?

— Eh bien, disons que nous ne pensions pas avoir besoin de toi aussi tôt. Quoi qu’il en soit, il y a une piaule toute neuve qui t’attend en ville et ce sera sûrement beaucoup plus pratique. Plus de longs trajets à bicyclette tard la nuit.

— J’aime bien rouler à bicyclette tard la nuit. Ça éclaircit les idées. » Jericho ferma le couvercle de ses valises et fit claquer les serrures.

« Tu es bien sûr de vouloir y aller, vieux frère ? Personne ne veut te forcer à quoi que ce soit.

— Vu la mine que tu as, je suis sacrément plus en forme que toi.

— Je ne voudrais surtout pas que tu te sentes obligé…

— Arrête ça, Guy.

— D’accord. J’imagine qu’on ne te laisse pas beaucoup le choix, n’est-ce pas ? Je peux t’aider à les porter ?

— Si je suis assez bien pour retourner à Bletchley, je suis assez remis pour me coltiner deux valises. »

Il les transporta jusqu’à la porte et éteignit la lumière. Il éteignit également le poêle à gaz dans le salon et jeta un dernier coup d’œil autour de lui. Le canapé trop rembourré. Les sièges éraflés. Le manteau de cheminée dépouillé. Voilà ce qu’était sa vie, songea-t-il. Une suite de pièces mal meublées fournies par les institutions anglaises : école, université, gouvernement. Il se demanda à quoi allait ressembler son nouveau logement. Logie ouvrit les portes et Jericho éteignit la lumière du bureau.

La cage d’escalier était plongée dans l’obscurité. L’ampoule était grillée depuis longtemps. Logie leur fit descendre les marches de pierre en craquant toute une série d’allumettes. Une fois en bas, ils arrivèrent tout juste à distinguer la silhouette de Leveret se découpant contre la masse noire de la chapelle, en train de monter la garde. Il se retourna. Sa main se porta à sa poche.

« Tout va bien, monsieur Leveret, dit Logie. Ce n’est que moi. M. Jericho vient avec nous. »

Leveret avait une torche spéciale couvre-feu, une pauvre chose emmaillotée dans du papier de soie. À sa lueur ténue et au léger résidu de lumière qui subsistait encore dans le ciel, ils traversèrent le domaine universitaire. Lorsqu’ils longèrent le hall, ils perçurent des bruits de couverts accompagnés des éclats de voix des dîneurs, et Jericho ressentit une pointe de regret. Ils passèrent devant la loge du concierge et franchirent la petite porte ménagée dans la grande porte de chêne. Un trait de lumière apparut à l’une des fenêtres de la loge, montrant que quelqu’un écartait légèrement le rideau. Avec Leveret qui marchait devant lui et Logie derrière, Jericho avait la curieuse impression de se trouver en état d’arrestation.

La Rover du sous-directeur était garée sur les pavés. Leveret ouvrit précautionneusement les portières et fit monter ses deux compagnons à l’arrière. Il faisait froid à l’intérieur et il y régnait une odeur de vieux cuir et de mégots. Alors que Leveret rangeait les valises dans le coffre, Logie demanda soudain : « Au fait, qui est Claire ?

— Claire ? » Jericho entendit sa propre voix dans l’obscurité, coupable et défensive.

« Pendant que tu montais l’escalier, j’ai cru t’entendre appeler : “Claire ? Claire ?” » Logie émit un petit sifflement. « Ce ne serait pas la blonde arctique de la Hutte 3 par hasard ? Je parie que si. Espèce de petit veinard… »

Leveret mit le contact. Le moteur toussa puis se mit à pétarader. Leveret desserra les freins et la grande voiture s’engagea en cahotant sur les pavés en direction de King’s Parade. La longue rue était déserte des deux côtés. Un soupçon de brume brillait devant les phares voilés. Logie gloussait encore lorsqu’ils tournèrent à gauche.