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« Fous-les dans la salle des Cribles et viens avec moi. »

S’étirant sur la rive nord du lac, tout près des huttes, se dressait le Bloc A, une grande chose d’un étage aux murs de brique avec un toit en terrasse. Logie monta le premier un escalier de béton puis prit à droite. À l’autre bout d’un couloir, une porte s’ouvrit, et Jericho entendit une voix familière tonner : « … toutes nos ressources, humaines et matérielles, sur ce problème… » puis la porte se referma et Baxter jeta un coup d’œil dans leur direction.

« Ah ! vous voilà. Je venais juste à votre rencontre. Salut Guy. Salut Tom. Comment ça va ? Je t’avais à peine reconnu. » Baxter avait une cigarette à la bouche et ne prenait pas la peine de la retirer de sorte qu’elle bougeait lorsqu’il parlait et répandait de la cendre sur le devant de son pull-over. Avant-guerre, il était professeur à l’École d’économie de Londres.

« On a qui, là ? demanda Logie en faisant un geste de la tête en direction de la porte fermée.

— Notre officier de lii-ai-son américain et un autre Américain — une huile de la Navy. Un type en costume — un de ces gigolos des renseignements, à en juger par son allure. Trois types de notre marine, bien sûr, dont un amiral. Venus tout spécialement de Londres.

— Un amiral ? » La main de Logie se porta automatiquement à sa cravate, et Jericho remarqua alors qu’il s’était changé et portait un costume d’avant la guerre à double boutonnage. Il se lécha les doigts et essaya de discipliner ses cheveux. « Un amiral, ça ne me plaît pas beaucoup. Et comment va Skynner ?

— Pour le moment ? Je dirais qu’il est pas mal dépassé. » Baxter dévisageait Jericho. Les coins de sa bouche s’étirèrent brièvement vers le bas, produisant le maximum de ce que Jericho lui avait jamais vu fournir en manière de sourire. « Eh bien, eh bien, on dirait que tu ne te portes pas trop mal, Tom.

— Attention, Alec, tu ne vas pas le vexer, hein ?

— Je vais bien, Alec, merci. Comment avance la révolution ?

— Elle approche, camarade, elle approche. »

Logie donna une petite tape à Jericho sur le bras. « Tom, n’ouvre pas la bouche tant que nous serons là-dedans. Tu n’es là que pour la galerie, mon vieux. »

Que pour la galerie, pensa Jericho ? Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ? Mais avant qu’il puisse poser la question, Logie avait ouvert la porte et il n’entendit plus que la voix de Skynner : « Nous devons nous attendre à ces reculs de temps en temps… » Le spectacle avait commencé.

Il y avait huit hommes dans la pièce. Leonard Skynner, chef de la section navale, trônait à un bout de la table, avec Atwood à sa droite et une chaise vide à sa gauche que Baxter s’empressa d’occuper. Les cinq officiers en uniforme bleu de la Marine, deux Américains et trois Britanniques étaient rassemblés à l’autre bout de la table. L’un des officiers britanniques, un lieutenant, avait un bandeau sur l’œil. Ils avaient l’air sombre.

Le huitième homme tournait le dos à Jericho. Il fit volte-face au moment où ils entrèrent, et Jericho remarqua brièvement un visage mince et des cheveux blonds.

Skynner s’interrompit. Il se leva et tendit une main charnue. « Entrez, Guy. Entrez, Tom. » C’était un grand type au visage carré, doté d’une épaisse chevelure noire et de gros sourcils broussailleux qui se touchaient presque au-dessus de l’arête du nez, rappelant à Jericho le symbole morse de la lettre M. Il accueillit les nouveaux venus avec empressement, visiblement soulagé de voir arriver des renforts alliés. « Je vous présente Guy Logie, annonça-t-il à l’amiral, qui dirige notre service de décryptement, et Tom Jericho, dont vous avez peut-être entendu parler. C’est en grande partie grâce à Tom que nous avons pu briser Shark juste avant Noël. »

Le vieux visage buriné de l’amiral ne broncha pas. Il fumait une cigarette — ils fumaient tous une cigarette sauf Skynner — et, de même que les Américains, il regarda Jericho à travers un voile de fumée, d’un regard vide et dépourvu de la moindre lueur d’intérêt. Skynner expédia les présentations, son bras faisant le tour de la table comme une aiguille d’horloge. « Voici l’amiral Trowbridge. Le lieutenant Cave. Le lieutenant Villiers. Le capitaine de frégate Hammerbeck. » Le plus âgé des deux Américains acquiesça : « Le lieutenant Kramer, officier de liaison de l’US Navy. M. Wigram représente le ministère. » Skynner adressa un petit signe de tête à chacun puis se rassit. Il transpirait.

Jericho et Logie prirent chacun une chaise pliante dans une pile rangée près de la table et s’installèrent à côté de Baxter.

La quasi-totalité du mur situé derrière l’amiral disparaissait derrière une carte de l’Atlantique Nord. Des amas de pastilles de couleur indiquaient la position des convois alliés et de leurs escortes : jaune pour les navires de commerce, vert pour les bâtiments de guerre. Des triangles noirs marquaient les positions possibles des U-Boote allemands. Au-dessous de la carte, il y avait un téléphone rouge, relié directement à la salle de Dépistage des sous-marins, dans les sous-sols de l’Amirauté. La seule autre décoration des murs blanchis à la chaux consistait en une paire de portraits photographiques encadrés. L’un était un portrait signé par le roi, visiblement nerveux, offert à la suite d’une récente visite. L’autre était celui du grand amiral Karl Dönitz, chef de la marine allemande : Skynner se plaisait à s’imaginer engagé dans un combat personnel avec le rusé Teuton.

Pour le moment, en tout cas, il semblait avoir perdu le fil de ce qu’il disait. Il triait ses notes et, pendant le temps qu’il fallut à Jericho et à Logie pour s’asseoir, l’un des hommes de la Royal Navy — Cave, celui au bandeau sur l’œil — saisit un signe de tête de l’amiral et prit la parole.

« Si vous en avez terminé avec l’énumération de vos problèmes, il serait peut-être utile de passer à présent à la situation opérationnelle. » Sa chaise racla le plancher nu lorsqu’il se leva. Il s’exprimait sur un ton de politesse insultante. « La position à vingt et une heures… »

Jericho passa la main sur son menton mangé de barbe. Il n’arrivait pas à décider s’il devait garder son pardessus ou le retirer. Il choisit de le garder — la pièce était froide malgré le nombre de personnes présentes. Il défit les boutons et desserra son écharpe. Il remarqua alors que l’amiral l’observait. Ils n’arrivaient pas à s’y faire, ces officiers supérieurs, à chaque fois qu’ils venaient ici — l’absence de discipline, les écharpes et les gilets de laine, l’emploi des prénoms. On racontait une histoire à propos de Churchill, qui était venu à Bletchley en 1941 et s’était adressé aux cryptologues sur la pelouse du parc. Par la suite, alors qu’on le raccompagnait, il avait dit au directeur : « Quand je vous avais dit de chercher sous chaque pierre des recrues pour cet endroit, je ne m’attendais pas à ce que vous me preniez au mot. » Jericho sourit à ce souvenir. L’amiral le regarda de travers et laissa tomber sa cendre par terre.

L’officier naval borgne avait saisi une baguette et se tenait maintenant devant la carte de l’Atlantique, une liasse de notes dans l’autre main.

« Il faut dire malheureusement que les nouvelles que vous nous donnez ne sauraient tomber plus mal. Il n’y a pas moins de trois convois américains qui ont quitté les États-Unis la semaine dernière et naviguent en ce moment même en pleine mer. Le convoi SC-122. » Il assena un coup de baguette vigoureux sur la pastille, comme s’il lui en voulait personnellement, et lut ses notes à haute voix. « Parti de New York vendredi dernier. Transporte du carburant, du minerai de fer, de l’acier, du blé, de la bauxite, du sucre, de la viande congelée, du zinc, du tabac et des tanks. Cinquante navires marchands. »