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Elle riait. C'�tait nerveux.

Quand ils furent dans le hall, il se pr�cipita vers la porte vitr�e pour lui permettre de passer sans encombre:

� H�las, je ne monte pas par-l�, se d�sola-t-elle en lui indiquant le fond de la cour.

� Vous logez dans la cour ?

� Euh... pas vraiment... sous les toits plut�t...

� Ah ! parfait... (Il tirait sur l'anse de son sac qui s'�tait coinc� dans la poign�e en laiton.) Ce... Ce doit �tre bien plaisant...

� Euh... oui, grima�a-t-elle en s'�loignant rapidement, c'est une fa�on de voir les choses...

� Bonne soir�e mademoiselle, lui cria-t-il, et... saluez vos parents pour moi !

Ses parents... Il �tait tar�, ce mec... Elle se souvenait qu'une nuit, puisque c'�tait toujours au milieu de la nuit qu'elle rentrait habituellement, elle l'avait surpris dans le hall, en pyjama et en bottes de chasse avec une bo�te de croquettes � la main. Il �tait tout retourn� et lui demandait si elle n'avait pas vu un chat. Elle r�pondit par la n�gative et fit quelques pas avec lui dans la cour � la recherche dudit matou. � Il est comment ? � s'en-quit-elle, � H�las, je l'ignore... �, � Vous ne savez pas comment est votre chat ? � Il se figea : � Pourquoi le saurais-je ? Je n'ai jamais eu de chat, moi ! � Elle �tait claqu�e et le planta l� en secouant la t�te. Ce type �tait d�cid�ment trop flippant.

� Les beaux quartiers... � Elle repensait � la phrase de Carine en gravissant la premi�re marche des cent soixante-douze autres qui la s�paraient de son gourbi. Les beaux quartiers, t'as raison... Elle logeait au septi�me �tage de l'escalier de service d'un immeuble cossu qui donnait sur le Champ-de-Mars et, en ce sens oui, on pouvait dire qu'elle habitait un endroit chic puisqu'en se juchant sur un tabouret et en se penchant dangereusement sur la droite, on pouvait apercevoir, c'�tait exact, le haut de la tour Eiffel. Mais pour le reste ma cocotte, pour le reste, ce n'�tait pas vraiment �a...

Elle se tenait � la rampe en crachant ses poumons et en tirant derri�re elle ses bouteilles d'eau. Elle essayait de ne pas s'arr�ter. Jamais. � aucun �tage. Une nuit, cela lui �tait arriv� et elle n'avait pas pu se relever. Elle s'�tait assise au quatri�me et s'�tait endormie la t�te sur les genoux. Le r�veil fut p�nible. Elle �tait frigorifi�e et mit plusieurs secondes avant de comprendre o� elle se trouvait.

Craignant un orage elle avait ferm� le vasistas avant de partir et soupira en imaginant la fournaise l�-haut... Quand il pleuvait, elle �tait mouill�e, quand il faisait beau comme aujourd'hui, elle �touffait et l'hiver, elle grelottait. Camille connaissait ces conditions climatiques sur le bout des doigts puisqu'elle vivait l� depuis plus d'un an. Elle ne se plaignait pas, ce perchoir avait �t� inesp�r� et elle se souvenait encore de la mine embarrass�e de Pierre Kessler le jour o� il poussa la porte de ce d�barras devant elle en lui tendant la clef.

C'�tait minuscule, sale, encombr� et providentiel.

Quand il l'avait recueillie une semaine auparavant sur le pas de sa porte, affam�e, hagarde et silencieuse, Camille Fauque venait de passer plusieurs nuits dans la rue.

Il avait eu peur d'abord, en apercevant cette ombre sur son palier :

� Pierre ?

� Qui est l� ?

� Pierre... g�mit la voix.

� Qui �tes-vous ?

Il appuya sur le minuteur et sa peur devint plus grande encore :

� Camille ? C'est toi ?

� Pierre, sanglota-t-elle en poussant devant elle une petite valise, il faut que vous me gardiez �a... C'est mon matos vous comprenez et je vais me le faire voler... Je vais tout me faire voler... Tout, tout... Je ne veux pas qu'ils me prennent mes outils parce que sinon, je cr�ve, moi... Vous comprenez ? Je cr�ve...

Il crut qu'elle d�lirait :

� Camille ! Mais de quoi tu parles ? Et d'o� tu viens ? Entre !

Mathilde �tait apparue derri�re lui et la jeune femme s'effondra sur leur paillasson.

Ils la d�shabill�rent et la couch�rent dans la chambre du fond. Pierre Kessler avait tir� une chaise pr�s du lit et la regardait, effray�.

� Elle dort ?

� J'ai l'impression...

� Qu'est-ce qui s'est pass� ?

� Je n'en sais rien.

� Mais regarde dans quel �tat elle est !

� Chuuut...

Elle se r�veilla au milieu de la nuit le lendemain et se fit couler un bain tr�s lentement pour ne pas les r�veiller. Pierre et Mathilde, qui ne dormaient pas, jug�rent pr�f�rable de la laisser tranquille. Ils la gard�rent ainsi quelques jours, lui laiss�rent un double des clefs et ne lui pos�rent aucune question. Cet homme et cette femme �taient une b�n�diction.

Quand il lui proposa de l'installer dans une chambre de bonne qu'il avait conserv�e dans l'immeuble de ses parents bien apr�s leur mort, il sortit de sous son lit la petite valise �cossaise qui l'avait men�e jusqu'� eux :

� Tiens, lui dit-il. Camille secoua la t�te :

� Je pr�f�re la laisser ic...

� Pas question, la coupa-t-il s�chement, tu la prends avec toi. Elle n'a rien � faire chez nous !

Mathilde l'accompagna dans une grande surface, l'aida � choisir une lampe, un matelas, du linge, quelques casseroles, une plaque �lectrique et un minuscule frigidaire.

� Tu as de l'argent ? lui demanda-t-elle avant de la laisser partir.

� Oui.

� �a ira ma grande ?

� Oui, r�p�ta, Camille en retenant ses larmes.

� Tu veux garder nos clefs ?

� Non, non, �a ira. Je... qu'est-ce que je peux dire... qu'est-ce que...

Elle pleurait.

� Ne dis rien.

� Merci ?

� Oui, fit Mathilde en l'attirant contre elle, merci, �a va, c'est bien.

Ils vinrent la voir quelques jours plus tard.

La mont�e des marches les avait �puis�s et ils s'affal�rent sur le matelas.

Pierre riait, disait que cela lui rappelait sa jeunesse et entonnait � La boh���-meu �. Ils burent du Champagne dans des gobelets en plastique et Mathilde sortit d'un gros sac tout un tas de victuailles merveilleuses. Le Champagne et la bienveillance aidant, ils os�rent quelques questions. Elle r�pondit � certaines, ils n'insist�rent pas.

Alors qu'ils �taient sur le point de partir et que Mathilde avait d�j� descendu quelques marches, Pierre Kessler se retourna et la saisit par les poignets :

� Il faut travailler, Camille... Tu dois travailler maintenant...

Elle baissa les yeux :

� J'ai l'impression d'en avoir beaucoup fait ces derniers temps... Beaucoup, beaucoup...

Il resserra son �treinte, lui fit presque mal.

� Ce n'�tait pas du travail et tu le sais tr�s bien ! Elle leva la t�te et soutint son regard :

� C'est pour �a que vous m'avez aid�e ? Pour me dire �a ?

� Non. Camille tremblait.

� Non, r�p�ta-t-il en la d�livrant, non. Ne dis pas de b�tises. Tu sais tr�s bien que nous t'avons toujours consid�r�e comme notre propre fille...

� Prodigue ou prodige ? Il lui sourit et ajouta :

� Travaille. Tu n'as pas le choix de toute fa�on...

Elle referma la porte, rangea leur d�nette et trouva un gros catalogue de chez Sennelier au fond du sac. Ton compte est toujours ouvert... lui rappelait un Post-it. Elle n'eut pas le courage de le feuilleter et but la fin de la bouteille au goulot.

Elle lui avait ob�i. Elle travaillait. Aujourd'hui, elle nettoyait la merde des autres et cela lui convenait parfaitement.

En effet, on crevait de chaud l�-dedans... Super Josy les avait pr�venues la veille : � Vous plaignez pas, les filles, on est en train de vivre nos derniers beaux jours, apr�s ce sera l'hiver et on se p�lera les miches ! Alors vous plaignez pas, hein ! �

Elle avait raison pour une fois. C'�tait la fin du mois de septembre et les jours raccourcissaient � vue d'�il. Camille songea qu'elle devrait s'organiser autrement cette ann�e, se coucher plus t�t et se relever dans l'apr�s-midi pour voir le soleil. Ce genre de pens�e la surprit elle-m�me et c'est avec une certaine nonchalance qu'elle enclencha son r�pondeur :