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� Chut... Tout va bien se passer...

� S'il y en a un seul qui ricane, je te jure, je lui saute dessus et je le bute...

� Du calme...

� Du calme, du calme ! J'aimerais bien t'y voir, toi ! T'irais faire le mariole, l�, devant tous ces inconnus ?

D'abord, ce fut le tour des enfants. Du Scapin, du Queneau, du Petit Prince et de la rue Broca, en voulais-tu, en voil�.

Camille n'arrivait pas � les dessiner, elle s'amusait trop.

Ensuite une grappe d'ados d�gingand�s en cours de r�nsertion exp�rimentale vinrent r�per leur existentialisme en secouant de lourdes cha�nes en plaqu� or.

� Y� Men, mais qu'est-ce qu'y z'ont sur la t�te? s'inqui�ta Franck, des collants ou quoi ?

Entracte.

Merde. Le Fanta ti�de et toujours pas de Philibert � l'horizon...

Quand l'obscurit� revint, une fille insens�e fit son apparition.

Haute comme trois pommes, elle portait des Converses roses customis�es new look, des collants ray�s multicolores, une minijupe en tulle vert et un petit blouson d'aviateur recouvert de perles. La couleur de ses cheveux �tait assortie � celle de ses chaussures.

Une elfe... Une poign�e de confettis... Le genre de fofolle �mouvante que l'on aimait du premier coup d'oeil ou que l'on ne comprendrait jamais.

Camille se pencha et vit que Franck souriait b�tement.

� Bonsoir... Alors euh... Voil�... Je... J'ai beaucoup r�fl�chi � la fa�on dont j'allais pouvoir vous pr�senter le... Le num�ro suivant et finalement, j'ai... J'ai pens� que... Le mieux serait encore de... de vous raconter notre rencontre...

� Oh, oh... �a b�gaye. C'est pour nous, �a... murmura-t-il

� Alors euh... C'�tait l'ann�e derni�re � peu pr�s...

Elle agitait ses bras dans tous les sens.

� Vous savez que j'anime des ateliers pour les enfants � Beaubourg et euh... Je l'ai rep�r� parce qu'il �tait toujours en train de tourner autour de ses tourniquets pour compter et recompter ses cartes postales... � chaque fois que je passais, je m'arrangeais pour le surprendre et �a ne ratait pas : il �tait en train de recompter ses cartes en g�missant. Que... Comme Chaplin, vous voyez ? Avec cette esp�ce de gr�ce qui vous prend � la gorge... Quand vous ne savez plus si vous devez rire ou pleurer... Quand vous ne savez plus rien... Quand vous restez, l�, toute b�te, avec le c�ur en aigre-doux... Un jour, je l'ai aid� et je... Je l'ai bien aim�, quoi... Vous aussi, vous verrez... On ne peut pas ne pas l'aimer... Ce gar�on, c'est... C'est toutes les lumi�res de la ville � lui tout seul...

Camille broyait la main de Franck.

� Ah ! Encore une chose... Quand il s'est pr�sent� la premi�re fois, il m'a dit : � Philibert de la Durbelli�re � alors, moi, normale, polie, je lui ai r�pondu pareil, g�ographiquement : � Suzy... euh... de Belle-ville... � � Ah ! s'est-il exclam�, vous �tes une descendante de Geoffroy de Lajemme de Belleville qui combattit les Habsbourg en 1672 ? � Ouh l� ! � Nan, j'ai bafouill�, de... de Belleville de... de Paris quoi... � Eh bien vous savez le pire ? Il n'�tait m�me pas d��u...

Elle sautillait.

� Alors voil�, tout est l�, tout est dit. Et je vous demande de l'applaudir tr�s fort...

Franck siffla entre ses doigts.

Philibert entra pesamment. En armure. Avec la cotte de mailles, l'aigrette au vent, la grande �p�e, le bouclier et toute la quincaille.

Frissons dans l'assistance.

Il se mit � parler mais on ne comprenait rien.

Au bout de quelques minutes, un gamin s'est approch� avec un tabouret pour lui soulever sa visi�re.

L'autre, imperturbable, devint enfin audible.

Esquisses de sourires.

On ne savait pas encore si c'�tait du lard ou du cochon...

Philibert commen�a alors un strip-tease g�nial. � chaque, fois qu'il retirait un morceau de ferraille, son petit page le nommait bien fort :

� Le casque... Le bassinet... Le gorgerin... Le colletin... Le plastron... La pansi�re... Les cubiti�res... Le gantelet... Les cuissards... Les genouill�res... Les jambi�res...

Compl�tement d�soss�, notre chevalier finit par s'affaisser et le gosse lui retira ses � chaussures �.

� Les solerets, annon�a-t-il enfin, en les soulevant au-dessus de sa t�te et en se bouchant le nez.

Vrais rires cette fois.

Rien ne vaut un bon gros gag pour chauffer une salle...

Pendant ce temps, Philibert, Jehan, Louis-Marie, Georges Marquet de la Durbelli�re d�taillait, d'une voix monocorde et blas�e, les branches de son arbre g�n�alogique en �num�rant les faits d'armes de sa prestigieuse lign�e.

Son papy Charles contre les Turcs avec Saint Louis en 1271, son p�p� Bertrand dans les choux � Azincourt en 1415, son tonton Bidule � la bataille de Fontenoy, son p�p� Louis sur les berges de la Moine � Cholet, son grand-oncle Maximilien aux c�t�s de Napol�on, son arri�re-grand-p�re sur le Chemin des Dames et son grand-p�re maternel prisonnier des boches en Pom�ranie.

Avec moult et moult d�tails. Les gosses ne pipaient pas mot. L'Histoire de France en 3 D. Du grand art.

� Et la derni�re feuille de l'arbre, conclut-il, la voil�.

Il se releva. Tout blanc et tout maigrelet, seulement v�tu d'un cale�on imprim� de fleurs de lys.

� C'est moi, vous savez ? Celui qui compte ses cartes postales...

Son page lui apporta une capote militaire.

� Pourquoi ? les interrogea-t-il. Pourquoi, diantre, le dauphin d'un tel convoi compte et recompte des bouts de papier dans un lieu qu'il abhorre ? Eh bien, je vais vous le dire...

Et l�, le vent tourna. Il raconta sa naissance cafouilleuse parce qu'il se pr�sentait mal, � d�j�... �, soupira-t-il, et que sa m�re refusait d'aller dans un h�pital o� l'on pratiquait des avortements. Il raconta son enfance coup�e du monde pendant laquelle on lui apprenait � garder ses distances d'avec le petit peuple. Il raconta ses ann�es de pensionnat avec son Gaffiot comme fer de lance et les innombrables mesquineries dont il fut la victime, lui qui ne connaissait des rapports de force que les mouvements lents de ses soldats de plomb...

Et les gens riaient.

Ils riaient parce que c'�tait dr�le. Le coup du verre de pipi, les railleries, les lunettes jet�es dans les cabinets, les provocations � la branlette, la cruaut� des petits paysans de Vend�e et les consolations douteuses du surveillant. La blanche colombe, les longues pri�res du soir pour pardonner � ceux qui nous avaient offens�s et ne pas nous soumettre � la tentation et son p�re qui lui demandait chaque samedi s'il avait su tenir son rang et faire honneur � ses anc�tres pendant qu'il se tr�moussait parce qu'on lui avait encore pass� la bis-touquette au savon noir.

Oui, les gens riaient. Parce qu'il en riait, lui, et qu'on �tait avec lui d�sormais.

Tous des princes...

Tous derri�re son panache blanc...

Tous �mus.

Il raconta ses TOC. Troubles obsessionnels compulsifs. Son Lexo, ses feuilles de s�cu o� son nom ne tenait jamais, ses b�gaiements, ses cafouillages, quand sa langue s'embourbait dans son trouble, ses crises d'angoisse dans les lieux publics, ses dents d�vitalis�es, son cr�ne d�garni, son dos un peu vo�t� d�j� et tout ce qu'il avait perdu en cours de route pour �tre n� sous un autre si�cle. �lev� sans t�l�vision, sans journaux, sans sorties, sans humour et surtout sans la moindre bienveillance pour le monde qui l'entourait.

Il donna des cours de maintien, des r�gles de savoir-vivre, rappela les bonnes mani�res et autres usages du monde en r�citant par c�ur le manuel de sa grand-m�re :

Les personnes g�n�reuses et d�licates ne se servent jamais, en pr�sence d'un domestique, d'une comparaison qui peut �tre injurieuse pour lui. Par exemple : "Untel se conduit comme un laquais. " Les grandes dames d'autrefois ne se piquaient pas d'une telle sensibilit�, allez-vous dire et je sais en effet, qu'une duchesse du xviiie si�cle avait coutume d'envoyer ses gens en place de Gr�ve � chaque ex�cution en leur disant cr�ment : "Allez � l'�cole !"