Je m’essuie deux doigts au peignoir de bain accroché à promiscuité et saisit l’image goulûment. Le cliché représente Blanche-Neige avec une copine d’atelier devant le Toboggan. Elles ont été prises (si j’ose dire) par un photographe de rue. Elles se sont constitué des mines appropriées afin de ressembler le plus possible à des stars d’Hollywood.
J’avoue que je ne pige pas le rapport — même sexuel — existant entre ce modeste parallélépipède rectangle et l’affaire qui sollicite mon attention.
— Qui est-ce la pétasse, à côté de toi ? demandé-je à tout z’hasard.
— C’est Olga de Poitiers !
— Et alors ?
— Il ne s’agit pas d’elle, monsieur le commissaire !
Comme on n’aperçoit aucun autre être vivant que les deux arpenteuses de macadam, je vois de moins en moins où elle veut en venir.
— Si tu accouchais, mignonne, tu ne penses pas que ça ménagerait mes méninges ?
— Derrière nous, fait-elle, qu’est-ce qu’il y a ?
— La rue…
— Et en bordure du trottoir ?
— Une bagnole !
Miss coffee and milk croise ses jambes mordorées tellement haut que, grâce à ma position surbaissée, j’ai une découverte panoramique sur sa fin de section.
— Oui, murmure-t-elle, une bagnole. C’est celle du gars qui venait voir Gretta, et on peut distinguer le numéro logique, surtout si vous vous servez d’une loupe !
La chère petite ! Je me dresse et lui tends des bras ruisselants.
— Tu es une merveille de l’art indigène ! assuré-je. Quelle idée géniale tu as eue là !
Minaudante, elle explique :
— Après qu’on s’est eu quittés, je suis allée reprendre un glass au Toboggan et j’ai appris qui vous étiez.
Elle baisse ses paupières chargées de fard bleu et de pudeur.
— Je me suis dit que si je pouvais vous aider, p’t’être que vous me donneriez un coup de main !
Nous y voilà !
— Que t’arrive-t-il, radieuse aurore ?
— C’est un de mes amis. Il a des ennuis avec la police.
— Ton Jules ?
— Enfin…, oui.
— Quel genre d’ennuis ?
— Un ami lui avait confié de la drogue ; lui ne savait pas que…
— Bien sûr. Il est blanc…, comme neige ! Eh ben ! donne-moi son blaze, je tâcherai de lui avoir un régime de faveur, on te doit bien ça.
— Autre chose, m’sieur le commissaire.
— Quoi donc ?
— J’aimerais bien qu’on ne sache pas que je suis venue. Je voudrais pas me mouiller…
— Bien que je te reçoive dans ma salle de bains, tu ne crains rien de ce côté-là.
Rassurée, elle me balance un coup de périscope plein de chaleur ; de bas en haut d’abord, ensuite de gauche à droite ; et elle réitère jusqu’à ce qu’elle ait trouvé le point d’intersection de mes médianes.
— Ce que vous êtes bel homme ! apprécie cette déménageuse de vestibules.
— Oui, dis-je, il y avait justement un reportage dans France-Soir à ce sujet la semaine passée. Le ministère des Beaux-Arts m’a même proposé un emploi d’étalon au pavillon de Breteuil. J’ai refusé parce que c’était trop sédentaire.
Natürlich, la récolteuse de bananes de régime n’entrave que pouic à ces sortes de saillies.
Comme mon eau fraîchit et que, par ailleurs, j’ai hâte d’utiliser son phénoménal tuyau, je lui affirme gentiment qu’elle peut prendre congé de moi.
— Tu donneras l’identité de ton souteneur à la dame, en bas, afin que nous le soutenions à son tour.
— Merci, monsieur le commissaire !
— M’appelle pas toujours M. le commissaire, surtout lorsque je suis à poil, ça porte atteinte à la dignité de ma fonction.
— Je peux pourtant pas vous dire mademoiselle, affirme-t-elle avec force en lorgnant le siège de mon amour-propre.
Trois quarts de plombe plus tard, je débarque au burlingue, après avoir traversé Pantruche à une vitesse qui laisse pantoise toute la noblesse russe assise aux volants des Slota.
Bérurier est déjà là, en train de se mettre dans le corps le contenu d’une boîte de pâté de foie. Il fait claper ses castagnettes avec force. Ses lèvres luisent comme miroir.
Devant un tel spectacle, je me sens meurtri dans ma dignité d’homme.
— Qu’est-ce que t’as à me bigler commako ? s’inquiète l’effroyable individu.
— Y a pas : tu es inculte ! soupiré-je.
— Tu en es z’un autre ! riposte l’Obèse en fermant son couteau dont il vient d’essuyer la lame après le revers de sa veste.
Je décroche mon tubophone pour demander la préfecture des Yvelines, service des cartes grises. Pendant qu’on me le détecte au standard, je m’empare d’une loupe genre Sherlock et je contemple la plaque minéralogique de la voiture de course stationnée derrière le fignedé de la métisse. Le numéro est lisible même à l’œil nu. Il se termine par 78. Ce que c’est que la vie, hein ? Le mec se doutait-il, à l’instant où il stoppa sa chignole, que cette simple pression du pied sur la pédale d’un frein aurait des répercussions sur son destin S’il avait arrêté sa M.G. cinquante centimètres plus loin, je continuerais à vadrouiller dans le cirage, alors que, grâce à ça, je vais peut-être…
— Allô ! Police ! Le nom du propriétaire de la voiture immatriculée 518 BB 78, et que ça saute !
Tandis que le préposé se manie le bassin d’Arcachon, je contemple mon gros Béru d’un œil dilué. Le cher collègue finit de torcher sa boîte de pâté avec le doigt. Il suce son index en brave bébé joufflu qui préférerait la graisse de porc au miel.
— Allô !
— J’écoute !
Et comment qu’il écoute, votre petit San-Antonio chéri ! Mon être vibre comme la corde d’un violon avec lequel jouerait un petit chat.
— Le véhicule appartient à un M. Serge Iachev, négociant, 45, avenue Amoiconte-Deumaux, à Rambouillet.
— Merci, soupiré-je.
Rambouillet ! Rambouillet ! quand je vous disais que je flairais du neuf ce matin en déposant mon pied mignon sur la moquette.
Sur ce, entrée de l’ineffable Pinuche, porteur de cannes à pêche et d’un filoche.
— Tu déménages ? demande Béru.
— Demain, c’est samedi, explique l’homme aux yeux clignotants. J’ai idée d’aller taquiner l’ablette dans l’Oise.
— Pose ton fagot ! intimé-je au cher homme.
Il obéit. Je le découvre et applique sur son front médiocre un baiser reconnaissant.
— Grâce à tes déductions, vieillard, nous allons peut-être avoir des résultats. Ton idée de remonter le temps était proprement géniale.
Il est radieux. Béru jette rageusement sa boîte dans la corbeille à papier qui recèle déjà un litre vide et des noyaux d’olives.
Je sonne le service des charrettes. C’est Alonzo Carburo qui est de permanence au garage. Un gars sérieux.
— Tu as la camionnette de l’E.D.F. ? je lui demande.
— Oui, monsieur le commissaire.
— Elle est prête ?
— Oui.
— Alors, fous-toi en bleu et dis à Badin d’en faire autant. Rambour dans la cour d’ici à cinq minutes. Tu chargeras du matériel de camping !
— Camping sérieux ?
— La panoplie complète : Thomson, grenades lacrymogènes et autres amuse-gueules.
— Entendu.
— Où vas-tu ? demande Pinaud.
— Tu le verras, car tu fais partie de la randonnée.
— Tu crois qu’on sera rentrés avant la fermeture des magasins ? s’inquiète-t-il, car il faut que j’achète du chènevis pour demain !
— Si on n’est pas rentrés avant six plombes, c’est que nous serons clamsés, bonhomme. Auquel cas, tu auras toute facilité pour te procurer des asticots.