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— Et moi ? grogne l’Enflure bérurienne.

— Toi, quoi ?

— Je suis du voyage organisé ?

— Et comment ? Tu as déjà vu un cirque sans clown ?

CHAPITRE X

Ce qui s’appelle prendre garde à la peinture (suite)

Rien de plus pratique que cette camionnette agencée par des gens qui n’avaient pas des fanes de betteraves dans le bocal. Extérieurement, c’est une bagnole classique, avec deux portes à l’arrière et une cabine à l’avant. Sur les parois, en lettres blanches, on a écrit « Électricité de France ». Mais les points des « i » sont des judas minuscules permettant de bigler le panorama de l’intérieur.

Dedans, c’est soi-soi. Banquettes de cuir, poste émetteur de radio, plaques de blindage, caissons à armes. Bref, on est parés. On l’est d’autant mieux que le moteur de la brouette n’est pas celui d’origine et que cette caravelle vous cogne le 180 chrono aussi facilement que Béru se cogne un litre de 12 degrés cachet vert.

Carburo et Badin, fringués en employés de l’E.D.F., occupent la cabine. Pinaud, le Gros et moi-même nous nous prélassons sur les banquettes de moleskine. Le balancement du véhicule endort le boa Béru. Pinaud rêvasse, l’œil plus glauque qu’une marenne dans un bénitier. Il a tété un embryon de mégot pendant trente bornes, et le voici qui fume sa moustache après y avoir mis le feu à l’aide de la lampe à souder lui servant de briquet.

— Tu crois que ce Iachev habite toujours Rambouillet ? demande Pinuche, après qu’il a circoncis le sinistre mettant en danger son système pileux.

Jamais je n’ai vu mon brave fossile prendre une enquête aussi à cœur.

— Je l’espère franchement. Ça corroborerait en tout cas tes flamboyantes déductions concernant l’attentat.

Satisfait par ce nouvel éloge, il ôte son chapeau comme se découronne un potentat et j’en suis surpris car je m’étais toujours figuré que le pas de vis de son couvre-chef était faussé.

Un crâne plâtreux, sur lequel adhèrent des cheveux sans couleur, apparaît. Pinaud y gratte d’un ongle en tuile une plaque d’eczéma et remet sur sa rotonde le morceau de feutre moisi, informe et limoneux qui pousserait M. Mossant au suicide s’il pouvait encore lire son label à l’intérieur.

— Rambouillet ! annonce Badin dans le micro camouflé derrière le réflecteur.

— O.K. ! réponds-je, vous savez ce que vous avez à faire ?

— Oui, patron.

— De la prudence, surtout !

— D’accord !

La camionnette vire dans l’avenue Amoiconte-Deumaux, voie discrète de la ville, perpendiculaire à l’axe transversal sur du château par rapport au méridien de Greenwich-Village et au carré de l’hypoténuse.

— V’là le 45, patron, annonce Badin.

Je rive mon œil de lynx à l’un des judas.

J’aperçois une belle propriété en pierre, style ancienne maison de maître transformée. Elle comporte un corps d’habitation en équerre et un hangar-garage qui ouvre sur la rue. Un mur bas sommé d’une grille la clôt (comme Choderlos). On aperçoit des volets ouverts au rez-de-chaussée. Mais ceux du premier sont fermagas.

Je file un coup de tatane dans les montants du Gros afin de l’éveiller, ses ronflements risquant de foutre les grelots aux paisibles populations du cru en leur donnant à croire qu’il y a un turboréacteur dans la bagnole.

Le diplodocus vagit et actionne le cric permettant de soulever ses paupières.

— Rambouillet ! répète Pinaud.

Le Gros abaisse précipitamment ses stores.

— Je descends à Rennes, soupire-t-il.

On le tire de son rêve à coups de coude, et il récupère péniblement ce qu’on est bien forcé d’appeler sa lucidité.

Carburo et Badin sont déjà au turf. Ils ont sorti de la cabine un rouleau de câble électrique, et les voilà qui grimpent après un poteau et font semblant d’établir une connexion.

Ensuite, ils déroulent leur câble jusqu’à la lourde de la maison qui a motivé notre voyage. Coup de sonnette. Ou plutôt coup de cloche. Le bruit fêlé d’icelle chante à mon âme tendre le chant rouillé de la province (les ceuss qui apprécieraient la réelle beauté de cette phrase peuvent m’écrire pour s’en procurer d’autres. Il m’en reste encore un lot en magasin que je suis prêt à leur céder au prix coûtant. Remise de dix pour cent aux familles nombreuses, aux anciens combattants et aux diabétiques).

Un moment passe. Puis, un visage d’homme paraît à une fenêtre. J’ai l’aorte qui fait bravo. Mentalement, j’adresse un hymne reconnaissant à miss Canne-à-Sucre : il s’agit de mon tireur de sonnette. Mais transformé par une cure de jouvence. Si ce type a trente-cinq berges, c’est le bout du monde ! Il n’a pas les tifs gris, mais d’un blond suave. Je l’identifie à son pif un peu élargi du bas.

— Qu’est-ce que c’est ? demande-t-il.

Badin prend sa voix la plus rudimentaire pour lancer :

— C’est l’Edéeff, m’sieur. On refait tous les branchements d’la rue.

Iachev regarde attentivement les deux hommes. Il voit le fil qui pend du poteau, la camionnette aux lettres rassurantes, les bouilles sans histoire de mes deux équipiers et lance :

— Un instant !

La porte s’ouvre, il paraît, flanqué d’un énorme boxer qui, s’il fumait le cigare, ressemblerait à Churchill.

— L’est méchant, vot’ bestiau ? demande Carburo.

— Ça dépend, fait mystérieusement Iachev.

— Ça dépend de quoi ? plaisante Badin qui a la phobie des toutous, surtout s’ils ont des crocs comme des porte-serviettes.

— De moi, uniquement ! rétorque Iachev en délourdant.

Mes deux sbires pénètrent dans la place en déroulant leur câble-bidon. Iachev, les mains aux poches, contemple le spectacle, en bon badaud. Mais voilà-t-il pas que son salopard de cador se rue sur la camionnette en aboyant tout ce qu’il sait. Il nous a éventés, l’horrible !

— Qu’est-ce qu’il a vot’ clebs ? demande Carburo innocemment, ma bagnole ne lui convient pas ?

— J’en ai l’impression, assure Iachev, les sourcils froncés.

— Doit y avoir un chat dessous ! suggère hypocritement Badin.

Mais le chien dément cette supposition en se lançant contre les portes arrière du véhicule. Il gratte la tôle furieusement. Maintenant, il n’aboie plus, il pousse de sourds grognements furax.

Iachev s’approche.

— Qu’est-ce que tu as, Crift ? murmure-t-il.

Il avance la main. Je comprends qu’il saisit la poignée d’ouverture. Un fier culot, le zig !

— Vous permettez ! fait-il par-dessus son épaule aux deux honnêtes employés de l’E.D.F.

Et il ouvre. On se trouve nez à nez. Quelle maîtrise, Mme Durand !

Au lieu de pousser une exclamation genre « Ciel ! mon mari » ou « Qui vois-je ici paraître ? », Iachev se jette en arrière, en repoussant violemment la porte. Il m’a reconnu illico et sa décision n’a pas demandé un centième de seconde pour se préciser dans sa tête blonde.

Je flanque un coup de savate dans le panneau. Au moment où se rabat la porte, un long coup de sifflet retentit. Je saute de la tire et je constate qu’Iachev a un sifflet entre les dents. Il donne l’alarme. Chez lui, décidément, c’est une seconde nature. En moins de temps qu’il n’en faut à une commission de sénateurs pour s’endormir, je suis sur lui et il prend mon kilo de phalanges à la mâchoire. Son sifflet va valdinguer. Béru et Pinaud qui descendent de bagnole se précipitent.

— Maîtrisez-le ! leur crié-je.

Toujours galopant, je biche mon Eurêka et je fais signe à Badin et Carburo de me suivre à l’attaque de la casba. Nous entrons.