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J’entends claquer une porte, tourner une clé. C’est au fond du couloir. La maison comporte une seconde issue : celle-ci doit donner sur une ruelle, derrière les bâtiments. Effectivement, un moteur puissant se met à ronfler. Comprenant que nous n’avons pas le temps d’enfoncer la lourde, je brame à mes boy-scouts de rabattre sur l’avenue.

Béru vient de passer le cabriolet grand sport à Iachev et Pinaud a flingué le boxer qui lui voulait du bien.

— En voiture, fissa ! lancé-je.

C’est de la haute voltige. Tout le monde grimpe, à l’exception du père Pinaud qui s’est pris les lattes dans le câble électrique. Je suis au volant, cette fois, et je vous prie de croire que les boudins de la charrette fument un peu.

Je cramponne la première rue à droite, la première encore… Effectivement, une voie paisible longe l’arrière de la propriété. Plus rien à l’horizon. Je bombe ; on débouche sur une artère plus passante. Je freine à mort devant un gosse médusé qui joue à la marelle. Il reste debout sur une patte comme un échassier.

— Tu viens pas de voir passer une bagnole, môme ?

— Si, m’sieur.

— C’était quoi comme voiture ?

Je bous, en songeant que pendant ce temps la tire des autres bouffe du kilomètre.

— J’sais pas, répond le lardon.

C’est rare ! D’ordinaire, tous les chiares à notre époque, dès qu’ils ont mis leur première dent, connaissent les multiples marques d’autos. C’est un vice des temps.

— Elle était de quelle couleur ?

— Noire !

Complètement zizi. C’est bien ma chance, il faut que l’unique témoin soit le demeuré du pays !

— Elle est partie de quel côté ?

— Par-là !

Encore heureux ! J’exerce sur le champignon une pesée de cent soixante livres, celui-ci s’enfonce comme dans du beurre et la camionnette reprend sa course. On tombe sur une place pavée de têtes de chat. Un cantonnier nostalgique balaie un tas de crottin en chantonnant les « Feuilles mortes ».

— Dites, monsieur ? Vous n’auriez pas vu une voiture noire qui fonçait à tout berzingue ?

— Si, qu’il dit, le maître de balais.

— C’était quoi comme marque ?

— Pas une voiture française.

— Décapotable ?

— Non, au contraire…

— Elle a pris quelle route ?

Il tend sa main cantonnière vers un point cardinal.

— Direction de Chartres.

J’actionne le microphone permettant de communiquer avec l’intérieur du véhicule.

— Béru ?

— Mouais ?

— Lance un message aux Services routiers. Arrêter une voiture étrangère noire se dirigeant sur Chartres. Qu’on établisse des barrages !

— O.K. !

Les dents crispées, je prends des virages terrific. Voilà la route de Chartres. Je m’aperçois qu’elle va aussi à Paris, selon qu’on tourne à gauche ou à droite. Mon brave déblayeur de sous-produits chevalins a dit Chartres parce qu’il est porté sur le gothique, à part ça il n’en savait rien.

Re-micro.

— Béru ?

— Mouais. Le message est passé !

— Rectification. Barrages également en direction de Paris.

— Mouais.

— Demande poliment au monsieur qui t’accompagne la marque de la voiture et son numéro. S’il ne veut pas parler, insiste, tu me comprends ?

— Mouais ! Et lui aussi va comprendre.

Badin et Carburo qui se sont entassés à mes côtés attendent mon bon vouloir. Que fais-je ? Où vais-je ? Où cours-je ? Droite, gauche ?

J’irais bien tout droit, mais ça me conduirait droit sur le parapet. Alorss ?

— Paris, hasarde Carburo qui pense ainsi être chez lui pour déjeuner.

J’obtempère…

Je mets la sauce. On parcourt une dizaine de bornes et je sacre comme Jeanne d’Arc à Reims because je n’aperçois pas le moindre motard à l’horizon. Ils pourraient se manier la fourche télescopique, les en-cuir ! S’agit pas de représenter seulement la maison Cinzano au Tour de France devant les populations ébaubies !

Saisi d’un doute, comme M. Don Diègue, je branche le micro.

— T’as bien balancé le second message, Béru ?

Au lieu de la réponse escomptée, je perçois un sifflet, assez harmonieux du reste.

— Eh ! Gros, au lieu de jouer les oiseaux des Iles, réponds !

Le sifflet continue, impertinent.

Le foutre me prend, je freine à mort sur le bas-côté et je cavale derrière le véhicule pour délourder. Spectacle déprimant : le Gros est K.O. sur le plancher. Iachev qui l’a estourbi tient dans ses mains jointes par les menottes un chouette calibre puisé dans l’un des caissons à seringues. Aussi sec il balance la purée. Heureusement que d’un petit geste sec j’ai repoussé la lourde et que celle-ci est blindée, sans quoi votre petit camarade serait à l’heure présente déguisé en grille de mots croisés.

Quand je vous le disais, les gars, qu’il fallait faire gaffe à la peinture !

CHAPITRE XI

Ce qui s’appelle prendre le large

Il est des circonstances dans la vie où, pour prendre une décision, il ne convient pas de réunir un conseil de famille ni de voter à bulletin secret. En moins de temps qu’il n’en faut à un producteur de films pour lire un scénario, je pense que cet homme est dangereux vu qu’il dispose de tout un arsenal et qu’il a, en la personne de Béru, un otage sérieux. Vous allez me dire que sauvegarder pour x temps la personne du Gros sur une planète où les fleurs se fanent, où les amours s’oublient et où les hommes finissent par se déguiser en squelettes est inutile ! Soit, mais la tradition affirme qu’il vaut mieux jouer avec ses clés qu’avec la vie des autres.

Je fonce vers l’avant et crie à Badin de me passer une grenade fumigène. Pourvu que cet enviandé d’Iachev n’assaisonne pas le Gros pour passer le temps. Badin me tend l’objet.

Il s’agit maintenant de la balanstiquer à l’intérieur du vaisseau-fantôme sans morfler une bordée de prunes.

Je rouvre la lourde avec les précautions que vous supposez et j’envoie mon cadeau de noces en port payé. Ça fait flottt ! Iachev répond par la distribution prévue ; mais j’ai eu le temps de refermer. Il va commencer à tousser vilain, le monsieur. Et le Gros fera l’accompagnement sur ses cordes vocales désaccordées.

Mes deux autres auxiliaires sont à mes côtés. Je les affranchis sur la fiesta qui s’est déroulée à l’intérieur.

— Il a estourbi le Gros pendant qu’il passait son message. J’espère qu’il ne le saignera pas !

On attend quelques instants. Une fumée jaunasse filtre sous la rainure des lourdes.

— Si on attend trop ils vont claboter, objecte Badin qui a un faible pour Béru.

Je les mets au parfum de mon plan.

— Toi, Carburo, tu te planques dans le fossé et tu ne tireras sur le mec qu’en cas de pépin. Dans les jambes de préférence !

— Vu !

— Toi, Badin, tu délourdes en te tenant planqué contre le côté de la chignole.

— Bien, patron. Et vous ? demande-t-il.

En guise de réponse, j’escalade le capot et me fous à plat ventre sur le toit de la guinde. Si vous matiez la frime des automobilistes de passage, vous rigoleriez un bout de moment, parole ! Ils se demandent à quoi on joue.

Je fais signe à Badin d’actionner l’ouverture. Un gros nuage s’échappe de la camionnette, suivi de près par un Iachev exténué qui tousse à s’en faire péter les bretelles en brandissant sa pétoire. Il a le bonjour, le beau Serge ! Celui d’Alfred et le mien !

Je plonge sur lui, tel un léopard déguisé en tigre. Il s’écroule ! Un coup d’escarpin dans les mandibules, un second dans son usine à bile et c’est classe.