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— Occupez-vous du Gros ! crié-je à mes potes.

Des automobilistes freinent, y a du télescopage ! On, se croirait à la foire du Trône.

Badin et Carburo extirpent une masse crachoteuse, toussoteuse, crasseuse, bronchiteuse, de la camionnette. Béru nous revient, tel qu’en lui-même, avec son beau complet coupé dans des serpillières, sa chemise vernissée de crasse et son ravissant chapeau acheté d’occasion à un épouvantail en chômage.

On s’occupe de lui : respiration artificielle, rasade de rhum, compresses… Il a sur le sommet de l’Annapurna un œuf qu’aucune poule ne consentirait à couver. Il larmoie, il verdoie, il poudroie et lance des jurons à tous les échos.

Un gnace en Chevrolet dont le pare-brise s’adorne du caducée demande si on a besoin de ses services. Les premiers stoppés racontent aux autres une version rocambolesque. Les autres le répètent aux nouveaux qui l’apprennent par cœur pour en faire profiter les futurs, comme ça jusqu’à ce que les poulardins de passage arrêtent leurs cinq cents culbutées et rétablissent la circulation.

Je leur annonce mon blaze et ils rectifient la position.

— Vous avez été alertés par radio ? je questionne.

— Non, nous passions…

Je m’agenouille auprès de Béru. Il fixe sur moi un regard injecté de sang. Ses Wonder lui sortent de la vitrine.

— Dis voir, Gros, il t’a estourbi avant que tu aies eu la seconde communication ?

— Oui ! Ah ! la tante ! bave Bérurier. Je commence mon appel, je me gaffais pas de ce locdu. Et voilà que je prends un gnon qui m’envoie à dame.

J’enrage. Conclusion, il n’y a pas eu de barrage sur Paris. Je pénètre dans la guinde malgré les écharpes de gaz qui s’y prélassent et je sonne la routière.

— Du nouveau sur Chartres ?

— Rien ! On a mis le dispositif numéro un sur pied…

Je n’insiste pas : je l’ai dans le dos, c’est couru.

— Très bien, fais-je. Vérifiez encore et en cas de nouveau appelez 530 !

D’après moi, l’intérieur de la camionnette est de nouveau habitable. Je colle Iachev et Badin à l’arrière en recommandant à ce dernier de laisser les portes ouvertes et de surveiller étroitement le prisonnier. Carburo aide le Gros à s’installer à l’avant. Je manœuvre pour retourner à Rambouillet. Tel Charles Quint, je suis dans tous mes états ! Laisser filer ces mecs à mon nez et à ma barbe, voilà qui n’est pas marie. Quand on investit une carrée, on commence par en contrôler toutes les issues. Pour tomber, les places fortes doivent être cernées comme les yeux d’une jeune mariée, vous apprendrez ça sur tous les manuels militaires, voire de puériculture.

— Tu parles d’un parpaing ! gémit Béru en se massant le melon ! Oh ! ma mère !

— J’aurais voulu qu’il t’écrase la tronche pendant qu’il y était, fulminé-je. Quand on voit des mecs aussi bornés que ta pomme on a envie d’aller à leur enterrement ! À cause de toi tout a fiardé.

— À cause de moi ! rugit la Gonfle. Dis, tu plaisantes ! C’est de ma faute cette aubergine que j’ai là ?

— Tu n’avais qu’à surveiller le mylord !

— Il avait des menottes, je pensais…

— Justement, tu pensais ! Et quand tu penses tout se détraque !

— Non, mais des fois ! tonne le Gros. Fallait que je fasse le joaillier et que je manipule en même temps la radio tandis que vous trois vous vous étiriez le lard à l’avant.

Je n’insiste pas car dans le fond c’est juste. Nous sommes partis si vite que tout le monde s’est entassé pêle-mêle dans la calèche. Tout le monde moins l’homoncule Pinaud qui est resté empêtré dans les câbles.

Nous voici de nouveau devant la propriété d’Iachev. Pas de Pinuchet dans les azimuts. Nous pénétrons dans la strasse et c’est avec un certain soulagement que je découvre mon éminent confrère installé dans un fauteuil du salon, avec une bouteille de Dubonnet.

— Et alors, Pépère, rouscaillé-je, on dirait que tu te fais du mouron.

Il est naze, le vioque. La boutanche presque vide, c’est lui qui l’a sifflée, il y a encore un tire-bouchon sur la table.

Parler représente pour lui une espèce de prouesse.

— V’l’ s’vez rat… heu… rat… heu… rattrapés ? demande-t-il.

— Non, grogne Carburo, furax qu’il ne reste plus d’apéro.

— Moi, rigole l’ineffable., j’ai foufou… j’ai fouillé toute la mai… toute la mai… toute la propriété !

Je brandis la bouteille.

— Et c’est tout ce que tu as découvert comme document secret ?

Il se gondole.

— Heug… nnnon ! Il y a un camion dans le gaga… dans le gaga… dans l’hangar, et dans le caca… dans le caca… dans le poids lourd y a devinez quoi…

Il veut se claquer la cuisse, rate l’objectif et, entraîné par son geste, bascule à genoux sur le parquet. Ça accroît son hilarité.

Il ramasse son mégot, veut se le carrer sur la console de droite et le dépose dans le ruban de son chapeau.

— … y a la mer… y a la mer…

— Il est siphonné, le dabe, bougonne Carburo. Il dit qu’il y a la mer dans un camion !

— La Mercedes ! achève Pinaud, en partant en avant.

Il s’endort gentiment sur le tas… sur le tata… sur le tapis. Nous courons au garage vérifier ses dires.

Effectivement la Mercedes est bien sur le plateau d’un camion. Voilà pourquoi on ne la retrouvait pas. Ces carnes avaient minutieusement organisé leur coup. Le camion attendait dans un chemin de terre, vraisemblablement en contrebas d’une route. Deux grandes planches qui se trouvent encore dans le gros véhicule ont facilité le transbordement.

Escorté du Gros, toujours pleurard, reniflard et gras à lard, je fais une visite poussée de la masure. Trois chambres habitées m’indiquent qu’il y avait un certain nombre de pensionnaires chez Iachev. Des femmes, des hommes… On trouve des fringues des deux sexes. Dommage que le proprio, grâce à son sale cabot, ait pu donner le 22, car m’est avis qu’on allait réussir un chouette coup de filochon.

Je fouille les meubles, soulève les tapis, décroche les tableaux sans rien découvrir d’intéressant. Ils étaient ici en camp volant, les braves gens ; ils se méfiaient et ne laissaient rien glander qui pût les compromettre.

— Arrive ! enjoins-je au Gros.

Je rassemble mon monde autour de la camionnette et je répartis les fonctions.

— Carburo, tu vas t’installer ici en attendant du renfort et tenir la planque. Si le téléphone sonne tu réponds, auparavant demande à la poste de noter les appels. Toi, Badin, mène une enquête discrète pour essayer d’apprendre le maximum de choses sur Iachev et ses amis. Rancart ce soir au bureau. J’emmène Béru qui est sonné et Pinaud qui est beurré. Vu ?

Murmures d’approbation sur tous les bancs de l’hémicycle.

— Cette fois, dis-je au Gros, surveille ton petit copain, et surtout ne me l’amoche pas car je meurs d’envie de discuter le coup avec cézigue.

— T’inquiète pas, je ferai comme si c’était mon frère ! assure ce Caïn de Béru en administrant une infusion de semelle cloutée au cher Serge.

CHAPITRE XII

Ce qui s’appelle prendre langue

— Asseyez-vous !

Iachev a un sourire qui veut en dire long comme l’article de fond du Figaro. Quand on connaît les hommes comme je les connais et qu’on les a pratiqués comme je les ai pratiqués, (comme dirait Charpini) on pige illico et pour dire plus « tout de suite » que ce zouave ne parlera pas. Son sourire exprime clairement ce mot de cinq lettres qui illustra tout particulièrement une grande bataille napoléonienne. Et quand on y réfléchit, on ne peut s’empêcher de trouver réconfortant le fait que ce simple mot a fait de la défaite de Waterloo une sorte de victoire morale. Ce jour-là, la pauvre France a perdu bien des hommes, mais son vocabulaire déjà si nuancé s’est enrichi de deux syllabes. Or les mots sont plus durailles à créer que les enfants.