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Et de tartiner à perte de vue. Si vous avez des points-virgules à vendre, adressez-en un échantillon au Vieux, c’est ce qui lui fait le plus défaut !

Ça s’achève par une poignée de main.

Pinuche et Béru sont à l’affût comme deux canons près de l’ascenseur.

— Alors ? demandent-ils avec un ensemble minutieux, tu la donnes, cette démission ?

— Pas encore, mes chéris. Vous savez bien que sans San-Antonio cette honorable institution péricliterait. Les clients s’adresseraient ailleurs.

— Bref, tu l’as eu au baratin ! conclut le Gros.

— Y a de ça. Vous avez fait enlever la viande froide ?

— Oui.

— Bon. Maintenant vous allez prévenir le service des artificiers. Qu’on nous dépêche les trois meilleurs spécialistes ici et qu’ils attendent mes instructions, vu ?

— Pourquoi des artificiers ? demande Pinaud, on n’est pas le 14 juillet !

Le général Bigboss est un fort aimable personnage, blond et calme, avec des yeux clairs et un visage couperosé. Lorsque j’ai fini de le mettre au courant des événements, il sourit.

— Tout ceci n’est pas très very important ! dit-il.

— Mais, mon général, vous avez appris qu’hier…

— Yes, mais ces tentatives sont ridicoules.

Tu parles ! Lui il a fait le Pacifique, le débarquement et tout le chmizblitz, alors des bombes incendiaires contre sa maison, ça le fait rigoler.

Il m’accompagne à son domicile. Celui-ci se trouve à Vaucresson, sur la hauteur. C’est une belle propriété de deux étages un peu isolée. Il y a de la pelouse bien ratissée autour, avec des massifs d’Audi alteram partem ; des bordures de Deo juvante et des haies de corpus delicti taillées en brosse.

C’est là que les trois artificiers nous rejoignent. Ils ont amené leur matériel de détection et Bérurier qui les escorte a amené Pinaud plus un litre de rouge. Tout le monde se colle au turbin. Pas un millimètre carré n’échappe à une minutieuse inspection. De la cave au grenier on explore la demeure tandis que le général continue de se marrer en vidant une bouteille de Haig’s and Bacon. Deux plombes plus tard, les artificiers sont formaux (c’est Béru qui cause) : pas plus de bombes incendiaires ou glacées que de compassion dans le regard d’un B.O.F. Il faut se rendre à l’évidence, et s’y rendre à pied de préférence : si un attentat a lieu, il ne viendra que de l’extérieur.

Je rejoins le général Bigboss dans son livinge pour statuer.

— Have a drink ? me demande-t-il en anglais et en souriant.

— Yes, mon général, je lui réponds en anglais, en français et en m’asseyant.

— Alors vous dites que c’est une plaisanterie ?

— Pas encore, mon général. Je le dirai demain seulement si rien ne s’est produit.

Son sourire précise ses intentions, et il se marre.

— Le F.B.I. placera deux hommes dehors this night pour vous calmer l’anxiété, dear commissaire.

— Ce ne sera pas suffisant, mon général, voulez-vous me permettre d’organiser cela moi-même ?

Il hausse ses robustes épaules de baroudeur.

— Si c’est de vous faire plaisir, O.K. !

Je m’empare donc du tubophone et je réclame le Vieux. J’explique à ce protozoaire évolué le résultat négatif de nos fouilles.

— Que pensez-vous ? demande-t-il.

— Qu’il faut agir néanmoins comme si une attaque extérieure était possible !

— C’est aussi mon avis ; alors ?

— Alors nous allons faire cerner la maison. Deux voitures pies patrouilleront sans arrêt autour du pavillon. De cette façon nous serons tranquilles.

— Parfait, je donne des instructions en conséquence… Vous restez là-bas, naturellement ?

— Bien sûr, patron.

Je raccroche, soulagé. Le général a la bonne idée de nous verser deux nouveaux scotchs.

— Ce sera un véritable siège, very ridicoule ! assure-t-il, en se boyautant un peu moins. Puisque vous restez ici, vous dînez avec moi, commissaire ?

— J’en serai très honoré, mon général.

Il donne des ordres, ce qui est son rôle. Dehors, la nuit descend lentement. Une ordonnance entre pour fermer les volets et brancher les loupiotes. Pourquoi suis-je étreint par une sourde angoisse ? J’ai la sensation d’être empêtré dans une toile d’araignée compliquée, aux mailles solides. Ces gens me paraissent très forts. Très mystérieux aussi. Ils ont des réactions si inattendues !

Plus je pense, par exemple, à l’assassinat de Gretta, plus je le trouve baroque. Quel besoin avaient ces gens d’échafauder une mise en scène pareille, quasi rocambolesque, alors qu’ils auraient fort bien pu liquider la môme dans la discrète propriété de Rambouillet et l’enterrer dans le jardin avec des salades romaines par-dessus. Hein ? Ah ! vrai, je ne suis pas encore au bout de mes peines !

CHAPITRE XIII

Ce qui s’appelle prendre un coup de vieux

Il est dix plombes du soir. On s’est cogné un petit gueuleton gentillet, le général et moi. Quand on vous dira que les Ricains n’entendent rien à la tortore, vous n’aurez qu’à hausser les épaules. Tu parles ! J’sais pas s’il s’y connaît en stratégie militaire, l’homme aux étoiles, mais je peux vous affirmer qu’en stratégie culinaire il est de première. Vous voulez le menu ? Consommé de volaille. Risotto de fruits de mer. Poularde à l’estragon. Fromages. Fruits rafraîchis ! Le tout arrosé d’un Sancerre (qui s’use dès que l’on s’en sert) et d’un juliénas villages qui est bien de son pays !

Pour montrer à ce passeur de revues que je suis un garçon qui a de la conversation, je lui ai narré mes principales enquêtes — y compris celles qui se déroulèrent en Amérique — et, sur ma lancée, j’en arrive naturellement aux histoires drôles inhérentes à toutes les fins de bons repas.

Je lui raconte celle du monsieur que sa femme trompe parce qu’il fait de l’éléphantisme ; celle du paysan qui avait pris un laxatif au lieu de prendre le train ; et j’attaque l’histoire de la péripatéticienne ayant provoqué l’arrêt du culte lors d’une messe noire en Nouvelle-Guinée lorsque ça se produit.

Faut vous dire qu’avant de prendre place à la table de ce haut personnage (il mesure 1m80 sans talonnettes) j’ai vérifié la mise en place du cordon policier. Autour de la baraque il y a un pandore tous les quatre mètres, avec lampe électrique, sifflet à roulette et pistolet à amorce. À chaque angle, des spécialistes ont installé un projecteur prêt à inonder de lumière la propriété dès la moindre alerte et, comme prévu par le Vioque, deux voitures de la poule se relaient pour draguer les abords. Bref, une anguille peinte en noir et enduite de vaseline ne pourrait franchir un tel barrage.

Et pourtant, je vous le répète, « ça » se produit. Du chouette, du gratiné ! Une série d’explosions puissantes.

Le général cesse de rigoler et moi de lui dévider des couenneries. On se lève simultanément ; on se regarde ; on blêmit de stupeur ; puis, avec ce courage indomptable qui a fait de la France le pays de Jeanne d’Arc et de l’Amérique celui de Mme la générale Motor, nous nous précipitons à l’extérieur.

Ce sombre drame éclaire la nuit à Giono, car le toit est en flammes. Ainsi, le mort a tenu parole. À l’heure dite, il y a eu un attentat contre le domicile du commandant général des forces atlantiques !

Les poulardins s’activent avec des échelles et des extincteurs de fortune en attendant l’arrivée des pompelards. Je me précipite sur l’adjudant Povrecé lequel dirige les opérations du geste et de la voix.