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Et de me pétrir la dextre avec une telle énergie que je crains qu’elle ne lui reste dans les doigts.

— En somme, pour protéger les bases américaines, ce ne sont pas des hommes armés qu’il faut, mais des filets…

— Exactement, patron.

— Que comptez-vous faire, maintenant ? demande-t-il, revenant au positivisme qui a toujours été sa règle de conduite.

— Attendre ! J’espère que ces dégourdis auront besoin des chauves-souris pour continuer leurs attentats.

« Peut-être tenteront-ils de récupérer celles qu’ils croient en souffrance à Saint-Lazare.

— Très bien, opine le Vieux. Et si vous parvenez à appréhender un nouveau membre de la bande, déshabillez-le entièrement afin qu’il ne puisse pas se suicider.

Eh bien ! nous venons de faire une erreur, le Vieux et moi, et malgré tout nous retombons sur nos pattes.

En effet, les chauves-souris, contrairement à ce que nous pensions, ne sont pas attirées par la lumière et s’entendent à éviter les obstacles, puisqu’elles marchent avec un petit radar personnel.

C’est Gervais, un de nos savants du labo, qui nous l’apprendra un peu plus tard. Seulement, il s’agit de bestioles à qui on a injecté une saloperie qu’on appelle palfium ou pyrolamidol, que l’analyse a permis de déceler, et ce produit a la propriété de supprimer les réflexes sensoriels et dans certains cas, inverse même les réflexes.

Avec ce truc-là dans leur raisiné, les chauves-souris font bien ce que j’ai dit, et il ne vous restera plus qu’à convenir avec moi que les honorables éleveurs de chauves-souris sont de drôles de vicelards…

CHAPITRE XV

Ce qui s’appelle prendre au piège

Le mangeur d’ail est aux prises avec un Écossais qui lui demande une réduction de tarif sous prétexte qu’il confie deux valoches à la consigne lorsque je radine.

— Mon pote est là ? je réclame.

— Non, gronde l’homme à l’haleine insecticide ; l’a filé.

— Comment ça ?

— V’s’avez pas z’eu le dos tourné qu’un type s’est ramené pour demander la boîte. Y disait qu’il avait perdu son ticket et il voulait me filer mille balles. Comme vous m’aviez pas encore retourné l’objet, j’ai joué les incorruptibles et j’y ai dit de déposer une réclamation à la direction. Il est parti en rouscaillant et vot’ bonhomme l’a suivi…

J’ai de l’idéal sur fond d’azur qui scintille en moi.

Voilà enfin la partie engagée. Si le Révérend tient bon, nous renouerons le contact interrompu.

— Il était comment, le quidam ?

Mais l’employé est aux prises avec son Écossais. Il lui dit qu’il en a kilt de ses doléances et que s’il n’est pas d’accord avec les tarifs de la S.N.C.F., il peut se faire rapatrier par le prochain ferry.

L’incident en reste là.

— Vous disiez ? demande the gousse-man !

Je lui répète ma question. Il soulève la visière de sa casquette pour s’aérer un brin les méninges, cueille une cigarette meurtrie sur son oreille et, en la pétrissant rêveusement, annonce :

— C’était un type entre deux âges. Plutôt grand, froid. Des manières crâneuses. Il portait des lunettes. Il était bien fringué. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise de plus ?

Je pense qu’il y aurait une multitude de choses à dire de plus, justement, mais je n’ai pas à cœur d’insister. Le révérend Pinaud est sur le sentier de la guerre, je n’ai plus qu’à attendre qu’il me téléphone. Je remets au consciencieux préposé ce billet de mille qu’il refusa naguère et je rabats sur la grande turne en priant sainte Camomille, patronne des hépatiques, pour que Pinuche n’ait pas sa crise de foie aujourd’hui.

Béru a fait tout ce qui s’imposait pour se rectifier le moral. Et s’il existait en ce monde une justice immanente, c’est lui qui aurait des ennuis avec sa glande digestive. En tout cas, au train où il va, il est assuré de vivre parmi les chauves-souris jusqu’à la fin de ses jours.

Écroulé dans son fauteuil, le bitos rabattu en avant comme le toit d’une maison alpestre, les francforts jointes sur sa brioche, il bave lentement.

— Ça va mieux ? m’enquiers-je.

Il secoue la tête. Ses lèvres molles tentent d’articuler des syllabes, mais n’y parviennent pas.

— Tu es blindé comme un char d’assaut, soupiré-je. C’est tout de même malheureux d’avoir sous ses ordres des alcooliques pareils. Tu es enfermé dans un cercle vicelard, Gros. Tu bois pour oublier, seulement il n’y a qu’une chose que tu n’oublies pas : c’est d’écluser… T’en sortiras que les pinceaux en avant avec ta médaille de l’Éducation physique épinglée sur un petit coussin noir.

Il lève son poing plein de poils pour en frapper le bureau, essayant ainsi d’établir sa souveraineté, mais il rate la cible, part en avant et son groin heurte l’appareil téléphonique.

— Va donc cuver dans un coin ! m’emporté-je. Tu es la honte de notre profession.

C’est alors que, galvanisé par la volonté, il ânonne :

— R’vé un malheur…

— Quoi ? m’exclamé-je, car il m’arrive d’avoir le sens de la concision.

— R’vé un malheur à Pinaud…

Il dodeline du chef. Je fonce au placard recelant, outre des portemanteaux cassés, un lavabo immonde, craquelé, gluant, chevelu.

Je puise de l’eau dans une casserole servant au Gros à réchauffer ses choucroutes et ses andouillettes et je viens lui balancer la flotte en pleine poire. Il clape de la menteuse, suffoqué. Ses lanternes injectées de sang lui sortent du saladier, comme à un qui serait dans un chariot du Grand 8 au moment où celui-ci quitterait les rails.

— Parle, Poubelle ! Qu’est-il arrivé à Pinaud ?

Béru larmoie.

— Le Central a téléphoné, l’a eu un accident, ce pauvre cher…

— Continue !

— L’a été renversé par une auto…

— Il est mort ?

— Nnnon ! Hôpital !

— Quel hôpital ?

Je lui vocifère à bout portant dans les pavillons. Et je lui secoue le sac à tripes jusqu’à ce que ses yeux fassent « tilt ».

— L’hôpital Beaujon.

Je lâche mon poivrot qui culbute dans son fauteuil. Le siège pivotant décrit sous cette impulsion un demi-tour, plaçant ainsi Béru face au mur. Comme il n’a pas la force de remuer, le Gros demeure en tête à tête avec cette surface verdâtre en lamentant des regrets de sa voix harmonieuse qui fait songer à la retraite d’une armée dans un marécage.

Votre San-Antonio, le feu aux joues (après l’avoir eu à maints endroits plus stratégiques de son individu) repart les coudes au corps. Cette affaire, c’est surtout des allées et venues. Je trotte comme un écureuil dans sa cage et, tout comme la cage de ce charmant rongeur, l’affaire tourne à vide.

Je suis reçu par un gros blond d’interne au visage lombaire dont la calotte accentue encore le côté convexe. Je lui dis qui je suis et qui je viens voir. Il fait une moue peu engageante.

— C’est votre subordonné, l’inspecteur Pinaud ?

— Il a cet honneur.

— Vous pourriez dire à vos hommes de se laver les pieds ; quand on l’a déshabillé, on a eu une de ces surprises !

— Passons ! Comment est-il ?

— Trois côtes enfoncées, un traumatisme à la tête et le poignet gauche fracturé.

— Ses jours…

— … ne sont pas en danger, non ! Par contre, ceux de l’infirmière qui assume la charge de lui faire sa toilette le sont !

Il a trop d’esprit, ce carabin. Si l’instant était moins critique pour moi (et pour Pinuchet, disons-le) je lui ferais volontiers avaler quelques-unes de ses molaires saupoudrées d’incisives.