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— Tu ne sais toujours rien ?

— Mais non, ma parole ! D’abord, ce gant n’est pas à moi !

— O.K. ! Tu peux y aller, Béru !

Le Gros n’attendait que ça ! Heureusement, la radio joue en ce moment du Wagner. C’est de la belle musique, moi, je vous le dis. Et on ne peut pas rêver mieux en fait d’accompagnement.

Remarquez : c’est pas du Wagner qu’il chante, le Méhariste, pour être juste. C’est du Brame ! Il a une voix de basse qui foutrait le cafard à Armand Mestral. Quand il a bien chanté, je fais signe à mon évêque Cauchon d’interrompre sa partie de grill-room. Je n’aime pas l’odeur du porc brûlé ; ça soulève le gentil petit cœur de votre San-Antonio, mes chéries !

— Écoute, Méhariste, je susurre, je veux pas t’ennuyer avec trop de questions ; la réponse à une seule me suffira : où sont planqués les autres membres de la bande des chauves-souris ?

Mais il répond pas. Il est vert billard, le souteneur de miss Lavertu. Et il sue comme le calandos de Bérurier.

— J’ai mal, halète-t-il… Oh ! J’ai mal… Je souffre !

Il se tord.

— Fais pas ta femmelette, une petite brûlure, c’est pas la mort d’un homme !

En tout cas, cela semble bien être celle d’un foie-blanc de son gabarit. Il suffoque. Je remarque que son visage est comme vernissé.

Bonté divine ! Ce ne sont tout de même pas les gâteries de Béru qui l’ont mis dans cet état, ou alors il est cardiaque, le big !

— Ben quoi, t’as fini ton circus ? protesté-je.

Mais il fait pitié. Je lui soulève une paupière et j’examine sa cornée.

— Bon Dieu ! glapis-je, ils t’ont empoisonné, tes camarades ! Quand tu as eu liquidé mon inspecteur, ils ont pensé que ça pouvait tourner au vinaigre pour toi et ils ont pris leurs précautions…

— Dans le ventre ! Ça me griffe… Des griffes !

Le Gros en est tout indécis.

— Il joue la Dame aux bégonias ou quoi ? me fait-il.

Je lui désigne le masque ravagé du Méhariste, la sueur qui emperle sa peau plombée.

— En tout cas, c’est bien imité !

L’autre agonise bel et bien.

— À boire ! À boire ! gémit-il.

— Passe-lui un verre de flotte ! enjoins-je à Béru.

Compatissant malgré tout, il obéit et pousse la sollicitude jusqu’à faire boire le mourant. Une grande détresse m’envahit.

— Écoute-moi, Méhariste, ces salauds sont plus dangereux que tous les meurtriers de ton espèce. Il nous faut leur peau. C’est capital. Dis-nous où ils sont et on te vengera !

Sa bouche est toute rentrée. Il ferme les yeux.

— Hôtel des…

— Hôtel des quoi ? Dis vite, mec, vite !

— … Des Fleurs…, à Saint…

Il se tait. Je lui bassine les tempes avec un linge mouillé.

Il rouvre alors les yeux et son regard, je vous prie de le croire (d’ailleurs, si vous ne le croyez pas, que voulez-vous que ça me fiche ?) est pathétique.

— Saint-Germain…

— Des-Prés ?

— Non ! En…, en…

— En-Laye ?

Un battement de paupières me répond.

Il articule encore :

— Gaffe… Le patron… est leur copain…

Cette fois, il perd connaissance.

— Va prévenir un toubib ! dis-je à Béru, on ne peut pas laisser canner un homme de cette façon !

— T’es pas louf ? rétorque irrévérencieusement le Gros. Je serais pas au coin de la strass qu’il aura viré sa cuti. Il est déjà dans le coma, le frère !

Il a raison, on ne peut plus grand-chose pour le Méhariste. Décidément, la bande des chauves-souris a une prédilection pour le poison.

— Allez, on file ! dit Béru en récupérant les deux paires de menottes.

— Ça me chiffonne de le laisser tout seul !

L’Enflure s’en mouche dans ses doigts.

Il essuie ceux-ci au couvre-lit et explose :

— Tu vas pas le chialer, non ? T’oublies qu’il a voulu buter le Pinaud et que not’ pauv’ cloche est à l’hosto à cause de lui. Est-ce qu’on lui tient la main, à Pinuche, hein ? Alors, suffit !

Bien qu’étant le chef de Béru, je me rends à sa démonstration.

Bibendum a raison : on a mieux à faire qu’à réciter la prière des agonisants au chevet d’une pareille ordure.

C’est dur d’être impitoyable, pourtant, il faut savoir se dominer. Vivre, c’est passer outre !

Le sort nous prend en pitié, le Méhariste et moi, car mon malfrat rend à Dieu son âme aussi blanche que l’anthracite de la Ruhr.

Je lui clos les châsses avant de filer parce que, voyez-vous, j’ai toujours eu de bonnes manières. Question d’éducation, Félicie vous le dira !

CHAPITRE XVII

Ce qui s’appelle prendre sa revanche

Béru, qui méditait profondément à mes côtés, parvient à ciseler une phrase fort jolie :

— Chez qui qu’on va ? demande-t-il.

J’ai stoppé mon char devant une coquette propriété jouxtant la forêt de Saint-Germain où, d’après la chanson, se pendit un jeune homme au cœur tendre.

— Chez une relation à moi, le renseigné-je.

— Et qu’est-ce qu’on y fout au lieu d’aller cueillir ces enfoirés à l’Hôtel des Fleurs que le Méhariste nous a causé ?

Je fais la moue.

— Ces mecs, vois-tu, Gros lard, sont plus méfiants que des tigres. À preuve, lors de notre descente chez Iachev à Rambouillet, ils sont parvenus à se tirer. Or, tu as entendu ce qu’a dit le Méhariste : le taulier de l’Hôtel des Fleurs est leur aminche. Je t’annonce que, au moindre signe suspect, ça sera encore le sauve-qui-peut dans la volière.

— Ce qui revient z’à dire que tu mijotes quoi ? demande le Gros, qui semble enfin se passionner pour l’affaire.

— Qu’il faut prendre des chemins détournés, ce sont souvent ceux qui raccourcissent !

Satisfait de cette citation, je descends de ma troïka et vais carillonner à la porte du pavillon.

Une gentille petite soubrette moustachue et aux jambes torses vient délourder. Je lui demande si M. ou Mme Pranmoitoux sont icigo et elle me demande de la part de qui, ce qui, implicitement, veut dire que les patrons sont là. Pranmoitoux est un ancien condisciple à moi. Nous avons fait nos humanités ensemble, ramassé notre première cuite de conserve, de même que notre première rougeole à changement de vitesse. C’est un bon gros dont le père gagnait du fric et qui en gagne par habitude, presque sans y prendre garde. À l’époque de nos frasques, j’avais la spécialité de lui lever ses mômes à son nez et à sa barbe, ce qui le plongeait dans un océan d’amertume. Mais comme c’est la crème des hommes, il ne m’en tenait pas rigueur plus de vingt-quatre heures, c’est-à-dire le temps de se trouver un produit de remplacement. Chose étrange — et qui jette un jour cru sur les méandres de l’âme — dès qu’il avait fait une conquête, il se débrouillait pour me la présenter. C’était une espèce de test auquel il se livrait. Un petit risque-tout, ce Pranmoitoux !

Il est avachi dans un fauteuil, fumant un machin gros commak fabriqué à La Havane lorsque je fais une entrée insolite dans son grand salon.

— Sans blague ! s’exclame-t-il en moulant le journal financier qui constitue ses « Aventures de Tintin » à lui. Je n’en crois pas mes yeux !

Il a encore grossi. Faut dire que ça fait dix berges que je ne l’ai pas vu. Maintenant, il a du burlingue, des bagages sérieux sous les châsses, quelques poils gris, bien qu’il ne soit mon aîné que d’une paire d’années, et un air de prélat gourmand qui inspire confiance.

On échange les bourrades et exclamations d’usage. On se résume les dix dernières années. On se dit qu’on n’a pas changé. Et je déballe enfin mon historiette.