Выбрать главу

— L’Hôtel des Fleurs, Ludovic, (c’est son pré-blaze) tu connais ?

Voilà mon mec qui rougit comme un valeureux homard qui plongerait dans une marmite d’eau bouillante pour sauver une langouste en train de se noyer.

— Tu parles !

— Qu’est-ce que c’est, comme taule ?

— Le genre nid d’amour, quoi ! Ça fonctionne surtout l’après-midi, si tu vois ce que je veux dire !

— Ah ! bien. Sélect ?

— Très. La gentry parisienne s’y cocufie à tour de bras !

— L’image est plaisante !

À cet instant, la porte du salon s’ouvre sur une merveilleuse créature blonde. Elle n’a pas plus de vingt-cinq ans. Une carrosserie positivement futuriste. Un visage hâlé, illuminé littéralement par des yeux de chat siamois.

— Mais c’est vrai ! lance Ludovic, tu ne connais pas ma femme !

— Je n’ai pas cet honneur.

L’arrivante me sourit gentiment. Elle a des dents qui assombriraient la vitrine de chez Cartier.

— Le commissaire San-Antonio, dont je t’ai si souvent parlé ! dit Pranmoitoux.

— Oh ! oui, fait-elle. Il paraît que vous lui souleviez ses petites amies ?

— Je ne pouvais pas m’en garder une seule avec ce Casanova ! rigole mon aminche…

L’atmosphère est au beau fixe.

On prend un drink. J’ai du mal à détacher mes yeux de Mme Pranmoitoux. Quelle déesse ! Elle porte une robe beige signée Dior en lettres majuscules ! Comment s’est-il débrouillé pour tomber une femme aussi sensas, Ludo !

— Au fait, tu voulais me demander quelque chose ? fait-il.

— Oui, dis-je…

— Vas-y, tout ce qui est à moi est à toi, grand lâcheur !

Je vide mon verre et je dis innocemment en le déposant sur la table anglaise du salon :

— Je voulais te demander de me prêter madame !

Le silence qui suit pourrait être catastrophique si je ne me lançais dans des explications détaillées.

— Des gens que je recherche sont planqués à l’Hôtel des Fleurs. Ils se tiennent sur le qui-vive et, à la moindre alerte, s’envoleront. Je dois donc ruser et me présenter à cet hôtel en client. Or, c’est le genre de boîte où l’on va à deux, et, de préférence, avec une jolie femme…

— Non, mais tu es dingue ! proteste Ludovic… Ma femme !

— Oh ! Si ! Si ! trépigne la beauté blonde. C’est follement excitant.

Je rassure mon ami.

— C’est absolument sans danger pour madame. L’essentiel est que je pénètre dans la place sans attirer l’attention. Une fois dedans, elle restera enfermée dans une chambre pendant que l’opération aura lieu…

Il n’est pas chaud, chaud, Ludovic. Mais sa femme l’est pour deux. Vous pensez qu’elle ne va pas rater cette occase de couper la monotonie bourgeoise de son existence.

— Enfin, tu te rends compte, gémit Pranmoitoux, comprenant qu’il n’aura pas raison, si quelqu’un la reconnaît au moment où elle entrera aux Fleurs, je vais avoir une réputation de cocu, moi !

— Personne ne la reconnaîtra, promets-je.

Il lève les bras.

— Tu ne changeras jamais, San-Antonio. Tu restes dix ans sans me voir et tu déboules chez moi pour me demander ma femme, c’est tout toi !

Ayant enregistré cet accord tacite, je fais entrer Bérurier.

— Tu vas prendre le commandement des opérations extérieures, lui dis-je. Il faut faire venir deux camionnettes-bidon de Paris, avec deux douzaines de cracks. Vous vous rangerez à proximité de l’hôtel. Au fait, il est comment, cet établissement ? demandé-je à mon pote.

Boudeur, il explique :

— C’est dans un jardin, un pavillon drapé de lierre.

— Bien. Lorsque j’estimerai que le moment de l’action est arrivé, dis-je au Gros, j’attacherai mon mouchoir à l’appui de ma fenêtre, tu saisis ?

— Vu !

— Alors, vous arriverez à toute vibure et vous cernerez l’hôtel. Faites gaffe aux issues secondaires.

— T’en fais pas.

— Vous ne laissez sortir absolument personne.

— Tu penses !

— Très bien, maintenant, va me chercher ma boîte à maquillage dans l’auto.

— Pour quoi faire ?

— Je veux modifier un peu mon aspect.

Tandis qu’il s’évertue, je demande à Pranmoitoux :

— Qu’est-ce que tu as comme bagnole ?

— Une Studebaker, dit-il.

Je lui donne une tape affectueuse.

— Fais pas cette tronche, on te la rendra intacte, ta dame, Ludo. Est-ce que tu deviendrais jalmince en vieillissant ?

— Penses-tu…

Sur ce, la dame, qui s’était éclipsée pour se recoiffer, réapparaît.

— Je suis à vous ! dit-elle.

Cette déclaration n’est pas faite pour dissiper la maussaderie de mon condisciple.

Si vous me voyiez débarquer de la pimpante Stude crème, au bras de Mme Ludovic Pranmoitoux, vous ne me reconnaîtriez pas. Je me suis affublé de petites moustaches à la Clark ; de lunettes cerclées d’or et j’ai fourré dans mon renifleur deux petites boulettes de caoutchouc qui en élargissent les ailes. Ça me transforme radicalement.

— Je vous préfère au naturel ! me dit ma compagne en cours de route.

— Merci !

— Cette aventure est étonnante pour une pauvre petite bourgeoise comme moi… On s’ennuie tellement en banlieue… Le cheval, le tennis… C’est fatigant à la longue.

Ce qu’il lui faut, à la ravissante, c’est surtout un chouette gosse bien baraqué pour meubler ses après-midi creux.

Toutes les femmes aux as sont commak : ce qui leur est fatal, c’est le tantôt. Un après-midi, c’est immense, c’est déprimant lorsqu’on n’a pas de vaisselle à faire, de linge à laver ni de plancher à encaustiquer.

Je franchis un large portail grand ouvert, sommé d’un panonceau en arc de cercle annonçant : Hôtel-pension des Fleurs.

Des fleurs, y en a partout. De chouettes massifs bien entretenus. Au bout d’une allée cimentée, il y a le pavillon enlierré avec, devant, une esplanade de gravier rose poulies chignoles. Je laisse la mienne entre une Cadillac décapotable et une Bozon-Verduraz carrossée par Chapron et, tenant tendrement ma partenaire factice (qui m’a dit se prénommer Patricia) par la taille, je pénètre dans l’hôtel.

Un grand hall propre, avec des fenêtres à petits carreaux pourvues de rideaux également à petits carreaux… Des meubles anciens, de style normand… C’est extrêmement cossu.

— Je ne pensais vraiment pas venir ici un jour, chuchote Patricia.

Une dame bien vêtue, grisonnante, cordiale, lunettée, s’avance.

— Messieurs-dames !

Elle ne pose pas de questions. Simplement, elle presse un bouton et une servante radine. Bien roulée, appétissante.

— Conduisez ces messieurs-dames au 23 ! fait l’hôtesse.

— Vous désirez boire quelque chose ? me demande-t-elle.

— Champagne, réponds-je, jouant le jeu.

— Pommery ?

— Brut !

Tout en échangeant ces belles répliques, je me colle dans l’œil la topographie des lieux. Mieux encore : je m’imprègne de l’atmosphère. Très important, l’atmosphère !

Je constate que le pavillon est divisé en deux parties : il y a le côté exploitation, le plus grand. Et puis une aile réservée aux propriétaires et aux gens du service. Je vous parie la Tour de Londres contre la Tour-d’Argent que les petits camarades que je cherche logent dans la seconde partie. Il a été bien inspiré, le Méhariste, en me disant que ses complices étaient des amis du gargotier.

La dame de la réception a un petit accent d’Europe centrale qui me fait comprendre pas mal de choses.