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— Vous réglez maintenant ? demande-t-elle.

— Mais comment donc.

Elle gagne la caisse située au fond du hall, discrète derrière des philodendrons géants.

— 100 F ! fait-elle.

Je me dis que la discrétion coûte chérot, de nos jours, et le champagne aussi. Je m’exécute et la soubrette nous grimpe.

Les chambres valent le voyage. Si Michelin répertoriait les endroits de ce genre, celui-ci aurait droit à quatre bidets. C’est tendu de cretonne à fleurs, meublé de façon très cossue. C’est riant, c’est ouaté, c’est sympa…

Patricia pose son sac à main sur une table basse. Elle est rose d’émotion.

— Que fait-on en pareil cas ? questionne-t-elle d’une voix aux inflexions gondolées.

Je souris.

— Eh bien ! je crois qu’on embrasse la dame. On la fait asseoir sur le canapé que voici. On lui dit qu’on a désiré cet instant avec tant de ferveur qu’on croit vivre un rêve. On lui fait remarquer qu’il fait chaud et on lui conseille de se mettre à son aise…

Elle rit.

— Vous semblez bien documenté !

— J’ai lu ça dans des romans !

— Vous avez de drôles de lectures !

Toc-toc à la porte. C’est la soubrette qui revient avec un seau d’argent d’où émerge le capuchon doré d’une rouille.

— Je vous sers ? demande-t-elle.

— Non, nous l’aimons bien frappé.

Je lui glisse un raide qu’elle fait disparaître instantanément.

— C’est charmant, ici, fais-je. Ça fait des années que je n’y suis pas venu…

Elle me sourit.

— Ah ! Oui…

— Le propriétaire a changé, non ?

— Oui, l’an dernier…

— Il s’appelle comment, le nouveau ?

— Pabst !

— Il n’est pas là en ce moment ?

— Si, mais il a du monde…

Tout en parlant, je distribue de petits baisers mutins dans le cou merveilleux de Patricia, histoire de donner le change à la servante.

Voyant que je ne pose plus de questions, elle se retire discrètement.

— Alors, qu’allez-vous faire, maintenant ? demande ma compagne.

— Attendre une demi-heure pour donner le temps à mes collègues de se mettre en place.

— Et puis ?

— Et puis l’inspiration dictera mes actes, ma chère amie…

Je m’approche de la croisée pour soulever le rideau. La fenêtre donne sur le devant de la propriété. J’ai une large perspective du jardin, du boulevard et des rues agaçantes.

Patricia s’est assise sur le divan.

— Vous faites un métier extraordinaire, dit-elle.

Je me retourne. Elle a croisé ses jambes tellement haut que je suis au bord de l’infarctus. Un voile curieux assombrit son regard clair. De toute évidence, elle est sensible à l’ambiance un peu capitonnée de la chambre.

Pour me donner une contenance, je vérifie celle de la bouteille.

— Un doigt de champagne, chère amie ?

— Vous prenez votre rôle au sérieux ! gazouille-t-elle.

Nous trinquons en évitant de nous regarder.

— Est-ce vrai que vous preniez toutes les petites amies de Ludo ? demande-t-elle, en s’efforçant d’émettre un rire convenable.

— C’est vrai, j’en ai honte, d’ailleurs !

— Pauvre Ludo ! Vous savez qu’il ne vous en veut pas du tout ? Il trouve ça farce, au contraire.

— Il a un très bon tempérament, dis-je…

Je pense que sa femme en a un du tonnerre ! Elle se renverse sur une pile de coussins.

— Vous êtes très séduisant, il est vrai, murmure-t-elle, même avec cette ridicule moustache.

Moi, que voulez-vous, quand on me fait des appels, que ça soit à la belote ou dans le privé, je réponds. Et la plus belle réponse que je puisse faire à cette blonde incendiaire, c’est de lui jouer la Valse des patineurs. Elle me repousse juste ce qu’il faut pour corser l’intensité de la scène.

— Vous êtes un démon ! râle-t-elle en nouant ses bras à mon cou.

Je me dis que si Ludo n’a jamais gagné à la Loterie, le moment est venu pour lui d’aller acheter un billet.

CHAPITRE XVIII

Ce qui s’appelle prendre sa revanche (suite et fin)

— Nous ne sommes pas raisonnables !

Étant parfaitement d’accord avec Patricia sur ce point, je la quitte pour retourner à la croisée. Cette fois, les camionnettes sont en place. Il faut agir. L’intermède m’a mis dans un état propitiatoire à l’action. Je suis dans une forme éblouissante !

— Écoutez, mon ange, dis-je à ma partenaire.

Mais elle a du mal à se concentrer. En vingt minutes, je lui ai présenté un digest de mes spécialités qui l’a passablement étourdie. Elle a eu droit à « la fusée sur son orbite », au « solo de guitare », aux « mamelons de Cavaillon » au « nouveau petit de la Rousse illustré ».

— Patricia !

— Oui ?

Elle me tend ses lèvres. Je les accepte.

— Ouvrez toutes grandes vos délicates oreilles.

— C’est fait.

— Bon. Je vais sortir. Quand je serai parti, vous tirerez le verrou. Vous attendrez cinq minutes, puis vous nouerez ce mouchoir à l’appui de la croisée, compris ?

— Compris ! Faites attention à vous, mon chéri, me susurre-t-elle.

— Comme à la prunelle de vos yeux, je lui balance, galant comme le Vert.

La dame de la réception est plongée dans un livre austère lorsque je déboule de l’escalier.

Elle lève sur moi un visage surpris.

— C’est inimaginable ! fulminé-je.

— Que se passe-t-il, monsieur ?

— Je veux voir le directeur séance tenante ! Des punaises dans un établissement comme celui-ci, c’est inadmissible !

— Que dites-vous là ?

— Trois punaises, madame ! La personne qui m’accompagne a failli se trouver mal ! J’ai bonne mine, moi ! Je vous jure que ça ne se passera pas comme ça !

Elle est affolée et me fait des « Chut ! chut ! » suppliants dont je n’ai cure.

— Il y a quelques années, je venais ici. C’était une maison sérieuse. Je suis parti à l’étranger et, à mon retour, je trouve un bouiboui infect !

— Mais, monsieur ! s’indigne la dabuche. Mais, monsieur !

— Il n’y a pas de monsieur ! Je veux parler au directeur ! Allez lui dire qu’il aura de mes nouvelles ! Le plus grand affront de ma vie ! J’amène une dame de la haute société après avoir eu un mal fou pour la décider ! Et que voyons-nous, organisant un meeting dans les draps ?

— Chut ! chut ! refait la vioque.

— Des punaises ! je hurle. Des punaises, comme dans le dernier claque de port ! Pourquoi pas des morpions, madame ? Hein ?

— Attendez ! rengracie la préposée. Je préviens M. Pabst !

Elle sort côté jardin. Je la laisse disparaître et je prends son sillage. Me voici dans une salle à manger privée. Au fond, une autre porte… J’y cours… Un escalier de bois, plus modeste que l’autre, gémit sous le pas de la dame… Je me glisse derrière un bahut qui se trouve au bas des marches et j’attends. Un court instant s’écoule. Puis, deux personnes surgissent du premier : la dame en violet et un autre mec, grand, chauve et pâle ; tous deux causent dans une langue qui m’est inconnue.

Je mate ma tocante. Patricia est en train d’attacher le tire-gomme à la fenêtre. Dans quelques secondes, la fiesta va commencer.

Les deux tauliers sont maintenant à la dernière marche. Je me dresse devant eux, mon pétard en pogne. Gueule du couple ! Ils ont un mouvement de recul que j’interromps. De ma main libre, je biche le monsieur par sa cravate et je le tire en avant, de l’autre, je lui mets sur le cassis un coup de crosse qui va lui filer la migraine pour trois semaines. ïl s’abat en avant.