Tout en continuant de braquer la vieille médusée, je le traîne sous l’escalier pour qu’il y fasse son gros dodo.
— Et, maintenant, dis-je à sa compagne, à nous deux.
Elle a un mouvement de parade, pensant que je vais l’assaisonner à son tour. Mais je fais un signe négatif.
— Conduisez-moi vers les autres, sinon je vous remplis de plomb !
Mon faciès doit être expressif car elle n’insiste pas. Nous gravissons les marches. Parvenus au first floor, je lui chuchote :
— Désignez-moi la bonne porte et pas de blague, sans quoi vos héritiers feront la nouba demain soir !
Elle a un geste peureux vers la lourde du fond.
— Il y a une autre issue à cette pièce ?
— Oui.
— Qui donne où ?
— Dans un escalier menant au garage…
— Et du garage, on peut sortir sans passer par-devant ?
Elle ne répond pas. Pour la décider, je lui enfonce le canon de mon lance-pierre dans les côtelettes.
— Oui. Une porte donne sur la propriété voisine…
Je renaude intérieurement. Mes hommes vont cerner l’hôtel-pension des Fleurs, mais pas le quartier.
— Combien sont-ils là-dedans ?
— Deux ?
— Seulement ?
— Oui…
À cet instant y a branle-bas de combat dehors. Sifflets ! Cavalcade. Des portes claquent ! Des cris retentissent !
Je file un coup de coude à Mme la taulière qui part à la renverse dans l’escalier en appelant sa nièce en moldo-valaque. Je fonce au fond du couloir sans m’arrêter à la porte, si bien que, sous ma charge, le panneau de bois fait camarade et part en brioche. Je pénètre dans une pièce vide. Ces vaches ont déjà entendu le ramdam et se sont tirés. La porte du fond est fermaga. N’ayant pas le temps de l’enfoncer, je tire une praline dans la serrure…
Un escalier roide se présente en effet.
J’entends un bruit de pas en bas. Jamais, depuis que l’escalier a été inventé, on n’en a descendu un plus rapidement que moi. En deux bonds, je suis dans le garage. Derrière une voiture de livraison, une silhouette se profile. Trois balles claquent. Ce tordu a défouraillé à moins de deux mètres et si je n’avais eu un fléchissement du buste, je bloquais la camelote en pleine poire. Nous nous trouvons chacun d’un côté de la bagnole. Le chat et la souris ! Je pige leur manœuvre : pendant qu’il m’amuse, son complice file. C’est leur méthode ; celle qu’ils ont employée déjà à Rambouillet. J’exerce une pesée sur l’auto. Le frein à main n’est pas mis et aucune vitesse n’est passée. Alors, m’arc-boutant, je fais rouler le véhicule. Mon antagoniste se trouve coincé contre le mur. Il pousse un ahanement lorsque le capot lui percute le baquet. Loin de relâcher ma pression, je l’accentue et ça provoque un craquement assez désagréable. Je retire alors mon bélier à quatre roues ; mon vis-à-vis glisse le long du mur, livide. C’est un grand maigre, probablement le type qui a tenté de récupérer la valoche de chauves-souris à la consigne.
Le thorax enfoncé, il suffoque. Afin de l’anesthésier, je lui file un coup de galoche dans la tempe. Bonne nuit, mon amour ! Maintenant, il s’agit de combler mon retard. J’ai perdu au moins deux minutes avec ce ouistiti et quand on a le feu au train, deux broquilles, c’est beaucoup…
Je passe la porte du fond… Je me trouve dans un grand jardin, en friche. Au fond, il y a un chantier : on construit un immeuble neuf à l’emplacement d’un vieux pavillon. Je m’y précipite en courant et j’interpelle un maçon juché sur un échafaudage.
— Vous n’avez pas vu quelqu’un traverser le jardin, à l’instant ?
— Si, fait-il… C’est une dame ! À courait…
— Où est-elle allée ?
— Par ici !
Il me désigne la rue voisine.
— Vous la voyez encore ?
— Oui, elle monte dans une auto… Ça y est, a démarre !
Je saute sur une motocyclette remisée près d’une grue.
— Eh ! Dites donc ! mugit le maçon. C’est ma moto ! Au voleur !
Il peut s’égosiller… Sa péteuse bondit dans la boue, avec moi dessus… Je débouche dehors au moment où un camion vire pour pénétrer sur le chantier, je l’évite d’extrême justesse et je continue de foncer… J’aperçois l’auto de la fugitive. Elle tourne à mort sur la Nationale. Je lui file le train. J’espère que mes archers auront entendu les fusillades du garage et qu’ils vont organiser le rodéo.
En attendant, je mets toute la sauce. L’auto bombe à travers la forêt en direction de Poissy. Elle a plusieurs centaines de mètres d’avance et il me semble que celle-ci augmente encore ! Est-ce que cette garce va m’échapper ? Mais Dieu est avec moi, décidément. À l’horizon débouche une voiture par un chemin de la forêt. Et à cette voiture est attelée une caravane de camping. La fugitive est obligée de freiner pour ne pas la percuter. Ça me permet d’arriver à quelques mètres d’elle. Je joue mon va-tout. J’arrête le bolide du maçon et je biche le Beretta du Méhariste. Ma main ne tremble pas. Quatre pruneaux ! Un boudin de la guinde éclate au moment où la voiture repart à toute pompe.
Elle décrit de dangereux zigzags sur la route, puis, brusquement, elle quitte celle-ci et va percuter un arbre. Ça fait un drôle de badaboum ! Je me précipite. Le gnace de la caravane, complètement zizi, met le nez à la portière. Il n’a jamais vu ça qu’au ciné, le frère, il savait pas que ça pouvait exister !
La voiture accidentée est en flammes.
J’essaie d’ouvrir une portière, mais celles-ci ont été bloquées par la violence du choc et, à l’intérieur du véhicule, la môme Gretta se tortille comme un ver en poussant d’affreuses clameurs.
— Venez donc m’aider ! crié-je au Dugland de la caravane.
Je trouve une grosse pierre et je m’en sers pour briser les vitres. Seulement, quand on essaie de cramponner la gosse, les flammes, attisées par le courant d’air, nous empêchent d’approcher… Impuissants, nous assistons à l’horrible fin de cette rude adversaire qu’a été Gretta de Hambourg.
Curieux, n’est-ce pas, qu’elle périsse par le feu, cette incendiaire ? Est-ce qu’il existerait vraiment une justice immanente ?
CONCLUSION
Le bureau du Vieux.
Plus le Vieux : radieux, brillant, fou de sympathie pour San-A., le superman. Béru assoupi sur un fauteuil (because le muscadet des émotions fortes).
Et votre San-Antonio bien-aimé, qui tient le crachoir.
— Vous comprenez, patron, Gretta en avait assez d’être recherchée par toutes les polices occidentales. Sa position devenait d’autant plus intenable qu’elle avait un programme chargé à remplir…
— Alors ?
— Alors, elle a décidé de disparaître…
— De disparaître ?
— De mourir, quoi ! Seulement, il fallait que nous soyons certains de sa mort pour qu’elle soit homologuée. Alors, elle a manigancé le coup du train. C’était risqué, mais elle a mis le paquet… Après l’arrestation de Crakzic, elle est allée sciemment à l’hôtel de celui-ci, sachant fort bien qu’on y installerait une souricière. Elle a volontairement servi d’appât pour nous amener à la suivre et, en somme, à assister à sa mort.
— Expliquez, mon bon ami !
(Je suis son bon ami, maintenant, mes actions vont être cotées en Bourse d’ici peu.)
— Tout avait été réglé à l’avance. Chaque membre de la bande avait son rôle à jouer et l’a joué merveilleusement. Iachev, grimé, se tenait dans le couloir. L’homme qui est à l’hôpital avec le thorax enfoncé pilotait la Mercedes. Le Méhariste attendait le passage du train, sous le pont routier, avec sa pétasse à laquelle on avait dû raconter une histoire quelconque. Gretta et elle portaient exactement la même toilette.