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Son destin de bipède périssable, il s’en fout. Surtout, ne croyez pas que ça soit une marque de philosophie. D’ailleurs, la philosophie c’est l’art de se compliquer la vie en cherchant à se convaincre de sa simplicité. En fait, la vraie philo, c’est la connerie. De ce côté-là, le Gros est paré ; il peut voir venir…

— Je sais ce que t’as en tronche, San-A., annonce-t-il, l’air aussi futé qu’une marmite pleine de pommes de terre cuites à l’eau.

— Vraiment ?

— Oui. Tu te dis que la souris, on l’a larguée du train, hein ? T’y crois pas, à son valdingue ?

— Y a de ça.

— Et t’as raison, admet l’Enflure ; parce que je vais te dire, en plein jour, même quand on est miraud au point de dire bonjour mademoiselle à un général, c’est rare qu’on prenne la porte du wagon pour celle des gogues. Ça se voit qu’elle est vitrée et pleine de soleil…

— Il y a un témoin, fais-je ; un petit bougre qui est venu faire des poids et haltères avec la sonnette d’alarme de mon compartiment.

— Pourquoi du tien ? insiste Bérurier qui, s’il possède un cerveau à basse fréquence, sait du moins s’en servir, le cas échéant.

Je fais la moue.

En effet, pourquoi du mien ?

— Le hasard, dis-je cependant, le bonhomme se trouvait dans le couloir, à la hauteur de ma porte. Il a foncé au plus près, logique, non ?

— D’ac ; mais t’es certain que, au moment où la souris est allée bouffer du caillou, le mec se tenait devant chez toi ?

Je siffle le rassemblement de mes souvenirs. Dociles, ils accourent et, comme dirait Charpini, se mettent en rang d’oignons.

Oui, le quinquagénaire était bien dans le couloir. Au moment où Claire est sortie, j’ai aperçu le mec, fumant une cigarette près de ma porte, et je vous parie ce que vous voudrez plus autre chose qu’il n’en a pas bougé, jusqu’à son irruption sur mes nougats.

— J’en suis certain.

— Une supposition, fait l’Engelure, que ça soye quelqu’un d’autre qu’ait envoyé la fille prendre l’air et que ton gnace, lui, ait fait le vingt-deux pendant ce temps ?

— Décidément, soupiré-je, tu lui en veux. Pourquoi serait-il venu tirer la sonnette d’alarme, en ce cas ? Il lui suffisait de ne rien dire…

Béru rajuste le dernier bouton valide de son futal que sa course éperdue a dégrafé.

— T’es branché sur l’alternatif, ce matin, mec ! Mords un peu : si la gosse avait disparu et qu’on retrouve sa carcasse seulement par la suite, l’enquête aurait admis l’hypothèse d’un meurtre. Tandis que là, un Jules que t’avais sous ton œil de larynx s’annonce en bramant qu’il vient d’assister à un accident, tu n’as pas de raison de douter de lui. Et on conclut à l’accident !

Je m’arrête. Nous sommes à la hauteur du fourgon postal où les deux pététistes cassent la graine en toute sérénité.

— Y a du grabuge ? demande l’un d’eux, la bouche pleine de sauciflard.

— T’as intérêt à finir de jaffer avant d’y aller voir, conseille Béru, autrement y te faudra une vache dose de Quintonine pour te rouvrir l’appétit.

— Dis voir, Gros, murmuré-je, tu m’as l’air d’être dans une forme éblouissante aujourd’hui. On t’a gavé de vitamines, ou quoi ? C’est pas glandulard ce que tu m’as déballé au sujet du quidam… Viens, on va interviewer le monsieur.

Ce qui me fait croire que le renifleur de Béru a bel et bien senti du louche, c’est le souvenir de la Mercedes qui, en plein jour, faisait des appels de phares. Ce détail, comme l’emprunt national, ne manque pas d’intérêt.

Je grimpe dans mon wagon et l’arpente sur toute sa longueur sans dégauchir mon quinquagénaire. Je parcours alors tout le convoi, plus le remblai où des groupes discutent : balpeau.

— Tu vois, exulte le Gros. Il s’est emmené promener, ton zig. Il était comment, à propos ?

Je le lui décris. À peine ai-je commencé que Béru m’arrête.

— Il avait un pantalon de gabardine un peu éliminé du bas, et une veste grise en velours potelé, non ?

— Oui.

— Eh ben, mon vieux, je vais te dire, à Paname, je l’avais remarqué, ce tordu. Il se tenait debout devant la salle d’attente où que t’étais et il paraissait surveiller l’intérieur.

— O.K. ! Prends la valoche de la môme et la mienne, dis-je. On ne repart pas.

— Mais qu’est-ce qu’on va branler sur cette voie ferrée, en rase campagne ?

— Exécution ! coupé-je.

— Y en a déjà z’eu une, rigole le Gros.

CHAPITRE II

Ce qui s’appelle prendre un bol d’air

— Hep ! Là-bas ! Où ce qu’v’z’allez ? mugit le chef de train.

Il est prêt à nous jouer le concerto pour grosse moto de Haendel, l’essènecéffiste. Il se prend pour quelqu’un depuis qu’il a paumé une de ses clientes.

Manière de le calmer, je lui dévoile pudiquement mon identité.

— Fallait le dire tout de suite, bougonne-t-il.

— Continuez votre route, lui enjoins-je. À la prochaine gare, vous alerterez les autorités, pendant ce temps je me livrerai aux premières constatations.

La loco motive le rassemblement général par un long coup de sifflet de trident et quand tout le monde sont là le train s’ébranle.

Nous demeurons seulâbres sur le ballast.

Béru, moi et les deux valises, l’air pas très futés.

— Qu’est-ce qu’on va maquiller dans cette cambrousse ? questionne mon coéquipier qui est aussi peu bucolique que possible.

— Toi, dis-je, tu vas aller bivouaquer près du cadavre de la demoiselle.

— Pour quoi faire ?

— Tu chasseras les mouches en attendant celles de la maison Poultok.

— Et toi ?

— Ne t’occupe !

Je grimpe le remblai et rejoins la route nationale qui passe à promiscuité. J’aperçois alors un brave pégreleux juché sur un tracteur qui se radine du fond d’une terre labourée.

Il a vu stopper le train et, se doutant qu’il se passait de l’insolite, a largué la terre nourricière pour venir se mettre au parfum.

C’est un honnête nabus de trente ans, qui paraît le double because les cinquante centilitres de calva qu’il écluse chaque jour. Il n’a plus de tifs, plus de chailles, plus rien d’humain. Les gobilles lui sortent de la vitrine et son naze est tellement rouge qu’il est obligé de se le passer au Lion Noir lorsqu’il assiste à un enterrement.

— Quoi que c’est-y qu’arrive ? s’informa-t-il avec un accent monté sur roulement à billes.

— Le train, renseigné-je pertinemment.

— Mais il est reparti, objecte ce semeur de céréales.

— Après avoir écrasé quelqu’un sous ses roues homicides, oui !

— Bougu ! lamente le cultivateur tracté.

— Je ne vous le fais pas dire. Voyons, mon brave monsieur, vous n’auriez pas remarqué si une voiture s’est arrêtée par ici en même temps que le train ?

— Que si.

— Comment était-elle ?

— Grise, avec une toile dessus !

« La Mercedes », me traduis-je, car je parle couramment le bouseux ayant été coq sur un tas de fumier dans une vie antérieure.

— C’est ça, renchérit le défricheur, c’est une Mercedes, une 190 !

La surprise me cisaille l’entendement. Marrant, cet éventreur de plaine qui s’y connaît en tutures étrangères.

— Vous n’auriez-t’y pas vu z’un voyageur qu’il z’aurait dévalé le talus et serait monté dans la Mercedes ? questionné-je. Un monsieur à cheveux gris, avec une veste en velours et une cravate ?