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— Y avait deux voyageurs qu’ils z’ont descendu de la voie, renchérit ce propagateur de la découverte de Parmentier, çui-là que vous causez, plus z’un jeune avec un impermiable et z’une casquette du dimanche !

Mille sur dix à Bérurier, les gars. Le Gros, avec son air comte et sa vue basse, a reconstitué le drame. Le jeune à casquette a balancé Claire. Le quinquagénaire m’a joué son numéro, et tandis que j’arpentais le ballast à la recherche de la môme, ces deux messieurs profitaient de l’effervescence générale pour s’évacuer discrètement. Une bagnole les attendait.

Et cette bagnole leur avait flanqué des signaux, depuis la route, pour indiquer aux agresseurs que l’endroit propice approchait. M’est avis que je vais avoir du bread sur la planche dans un avenir très immédiat.

— L’auto est partie dans quelle direction ?

Le traceur de sillons décrit avec son bras un geste qui n’est pas sans évoquer le malaxeur d’une machine à laver.

— À l’a fait demi-tour. Et puis à l’est repartie par là-bas.

Par là-bas, c’est-à-dire vers Paname.

— Merci.

Le front lourd de pensées, je vais rejoindre Bérurier et je consacre son triomphe en lui relatant le témoignage du plouk.

L’Obèse secoue sa hure apoplectique.

— Je reniflais ça, dit-il noblement.

Dans les cas graves, il joue sobre, Béru.

— C’est tout de même malheureux, non ? fait-il en désignant la bâche. Une jolie petite poupée commak ! Elle me rappelait une artisse que j’avais vue dans une pièce de théâtre. Le nom de l’artisse, je m’en souviens pas, mais la pièce, c’était « Un caprice d’Alfred », de Musset. Je m’étais figuré que c’était marrant ; le titre, pas ? Eh ben, y avait pas plus empoisonnant.

« Les gonzesses causaient comme les gens trop polis qui veulent t’en fout’ plein les carreaux. Moi, qu’est-ce que tu veux, je préfère le cinoche. Tiens, avant-hier, j’ai vu Brute Lancastré dans un film que tu peux pas savoir ce qu’il était intéressant…

L’instant n’étant point à des évocations artistiques, je stoppe ses considérations.

— Ce qui me turlupine, avoué-je, c’est ce gant sous le pont…

— Et à cause ?

— Il indiquerait que quelqu’un attendait, embusqué dans l’un des renfoncements.

— Mais non ! C’est le gant du mec qui a poussé la fille. Elle a voulu se retenir et le gant du gnare lui est resté dans la paluche.

— Tu as réponse à tout, Gros.

— T’as pas l’impression qu’on perd son temps auprès de mademoiselle ? s’inquiète Béru. Pendant qu’on fait les croque-morts, ces vaches vont regagner leurs planques.

— Bah ! dis-je, on est de revue. Le monde est petit.

Tout en proférant ces mots, j’explore la valise de la jeune défunte. J’y trouve de la lingerie qui, en d’autres circonstances, me porterait l’os à moelle à incandescence, des robes fraîches comme des bouquets de printemps et, enfin, un sac à main en box déprimé.

J’ouvre le réticule manière d’en faire l’inventaire. Il contient : 560 F et de la mornifle ; une carte d’identité au nom de Claire Pertuis et une autre au nom d’Emma Bow. Toutes les deux comportent la même photo : celle de la morte ; ce qui, vous l’avouerez, est assez fort de café.

Excepté ces documents, je déniche le petit matériel classique des bergères en virouze : rouge labial, brosse à z’yeux, brosse à ongles, lime, fond de teint, etc.

Je remets le sac dans la valoche, après avoir glissé dans ma poche les deux pièces d’identité annoncées à l’extérieur.

— L’était pas catholique, ta nana, remarque le Gros.

— Si elle l’avait été, je n’aurais pas joué les anges gardiens, réponds-je non sans anachronisme.

L’arrivée d’une calèche de la gendarmerie nationale met fin à cette controverse. Présentation à MM. les Pandores. On cause, on arrête un plan de campagne — en pleine brousse, on ne peut guère agir autrement — et les archers aux grosses lattes nous emmènent jusqu’au prochain patelin où nous frétons une tire de location pour Paris.

Une heure plus tard, nous aboulons notre viande chez le Vieux.

Plutôt furax, le boss.

— Je suis surpris, San-Antonio, me dit-il d’une voix pincée. J’avais placé cette fille sous votre surveillance à tous deux et vous trouvez le moyen de…

Dans un sens, il a raison. J’aurais dû la gaffer comme du lait sur le feu, Claire-Emma. Si je lui avais filé le train dans le train, les deux zouaves du couloir n’auraient pas osé agir. Seulement quoi ! lorsqu’on baratine une beauté de ce calibre, l’idée ne vous vient pas de l’escorter aux toilettes. Du moins, pas sans sa permission.

— Je sais, patron, admets-je, beau joueur ; vous avez raison de m’engueuler, je le mérite.

Avec le Vioque, il faut toujours lâcher du lest, ça lui rebecte le moral, au chevelu. Il retrouve sa sérénité intacte.

— Enfin, j’espère que vous allez prendre votre revanche, enchaîne-t-il aimablement. Vous n’êtes pas l’homme des échecs, San-Antonio.

Je m’abstiens de lui répondre que je suis principalement celui des dames ; car les calembours le défrisent et il ne possède déjà pas plus de tifs que la verrière du Grand Palais.

— En somme, poursuit-il, cette fille nous servait de fil conducteur. Elle allait de Crakzic à l’inconnu. Or cet inconnu commence à avoir des éclaircies : vous avez repéré déjà un homme à cheveux blancs et une Mercedes…

— Plus la seconde identité de la fille, souligné-je opportunément.

— Ce pourrait être sa première, et non sa deuxième, émet le grand patron.

— Exactement, fait Béru à tout hasard, car il s’endormait sur le bord du burlingue.

Pour se donner une contenance, le voilà qui se met à tripoter l’encrier massif du Vieux. Natürlich, il réussit à plonger deux doigts dans ce bénitier d’un nouveau genre. Le boss le foudroie à bout portant d’un regard comportant autant d’électrac que le barrage de Donzère permet d’en fabriquer en un an.

Béru lui oppose un sourire angélique et essuie ses boudins maculés après sa cravate.

— Je ne veux pas vous retenir davantage, affirme le Vieux en lissant de la main la peau de fesse qui lui tapisse le dôme. Il n’y a pas une minute à perdre ; prenez les dispositions qui s’imposent !

— Entendu, monsieur le directeur !

Nous sortons.

Sur le palier, le Gros me montre ses saucisses tachées d’encre.

— Un qui voudrait prendre mes empreintes de gitane, il serait à son affaire, rigole-t-il.

CHAPITRE III

Ce qui s’appelle prendre acte

Mathias est aux fichiers, en train de se cogner une belote avec l’ineffable Pinaud. L’honorable Débris annonce un cinquante dans le bois dur lorsque je m’annonce.

— Tu tombes à pic ! déclare Pinuche en arrachant une boulette de gruyère à sa moustache élimée. Tu vas assister à la plus grande déroute de l’histoire de la belote.

Mathias, imperturbable, déclare alors aux assurances sociales quatre valets joufflus. Écœuré, l’inspecteur principal abandonne ses brèmes sur le numéro de Paris-Match qui leur sert de tapis.

— Rien à faire, soupire-t-il, le jeu m’est néfaste. Du reste, ces temps, je traverse une période de pommade.

Et de nous expliquer qu’il fait de l’artériosclérose ; que sa femme s’est mise à l’arthrite ; que son voisin du dessus a acheté un piano et qu’il a perdu dix francs, le matin même, dans le métro.

L’énoncé de ces menues calamités nous laisse de marbre, comme l’écrivait si justement la Vénus de Milo lorsqu’elle avait encore ses bras. Non que nous soyons affligés, Mathias et moi, d’une déshydratation intégrale du cœur, seulement, Pinuche appartient à cette catégorie d’individus qui ne peuvent vivre qu’en ayant des maux. Ils jouent de malchance en virtuoses, comme Ingres jouait du violon. C’est quand tout va bien pour eux qu’on éprouve l’envie de leur présenter des condoléances. Lorsqu’ils se cassent une patte, on a tendance à leur en faire compliment, et quand ils perdent un proche parent, on se retient de pavoiser et de mettre des disques de rock’n à chauffer sur l’électrophone.