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Mathias va butiner quelques fiches et me les produit.

— C’est Fulbert-le-Niçois ?

Je mate la photo.

— Non.

— Max-le-Jeune ?

— Non plus…

— Alors, je ne vois plus que Jean Passe et Démayeur…

Je ne reconnais pas davantage mon tireur de manette sur les deux dernières images anthropométriques.

— Je vois pas de qui vous voulez causer, m’sieur le commissaire.

— Tant pis…, fais-je. Je m’arrangerai autrement. En attendant, annonce la bonne nouvelle aux Ricains : Gretta de Hambourg a becqueté son extrait de naissance, elle ne leur foutra plus le feu nulle part !

CHAPITRE IV

Ce qui s’appelle prendre le vent

Je m’apprête à quitter la cabane Viens-Poupoule lorsqu’il m’arrive une idée sous emballage perdu. Je demande au factionnaire, l’agent Savasse, un bon gros pas bileux au regard de rosière :

— T’as pas aperçu l’ignoble Bérurier ?

— Il fait son plein ! me répond ce volumineux représentant de l’ordre, en désignant la brasserie d’en face.

J’y fonce, la boule rentrée dans les ailes because la pluie fine qui s’est mise à vaser. Le Mahousse est bien là, effectivement. Pas seul : une choucroute monumentale, à deux étages, lui tient compagnie. Il la charge à la baïonnette et pour le bout de moment, il s’est cloqué dans le groin une saucisse chaude qui facilite grandement son élocution.

Le Gros se livre à une triple opération simultanément. Primo, il tente de mastiquer la pièce de charcuterie brûlante ; deuxio, il souffle dessus tout en la consommant pour tenter d’en abaisser la température ; troisio, enfin, il émet la prétention de converser avec moi.

— À è u ain e ou ! dit-il.

Ce que je traduis par : « J’avais une faim de loup ».

Je dois convenir que je suis partant pour une portion.

Je passe ma commande à la serveuse, une ravissante moustachue poilue des jambes et des sourcils qui serait sacrée reine des Six Jours si elle ne louchait considérablement et n’avait une bosse dans le dos.

Tandis qu’on prépare mon plat garni, je fais au Gros un bref résumé de la situation en évitant soigneusement de le regarder pour ne pas me couper l’appétit.

— Cette affaire, Béru, m’est avis qu’elle est mollasse. C’est le genre de fait divers invertébré. Faisons le point, veux-tu ?

— I u eu ! consent le Tube digestif.

— Bon, ça démarre par du flou. On nous signale la présence à Paris d’un espion recherché par les Services ricains. On l’arrête, il se bute. C’est le truc sans grand intérêt. Nous ne savions pas pourquoi il était en France, nous n’avions personnellement rien à lui reprocher… Tu me suis ?

Le Gros est aux prises avec un morceau de lard fumé. Il cherche à plier la tranche en quatre pour tenter de se l’enfourner en bloc dans son clapoir. La tranche de lard n’est pas d’accord. Mais le Gros a fait du judo dans sa jeunesse. Après une lutte de quelques instants, il parvient à placer une clé imparable au lard et à l’engloutir. Mais le lard est rancuneux, le Gros n’a pas songé que le gras conserve la chaleur mieux que le maigre. Il pousse une beuglante affreuse et recrache sa bidoche plus son râtelier resté planté dedans.

— Je m’ai brûlé, dit-il en empoignant son verre de riesling.

Ayant noyé le sinistre, il récupère ses canines en porcelaine et les ajuste dans son tiroir.

— Tu disais, Tonio ?

Allez donc reprendre le fil d’un raisonnement après pareil intermède.

Je me mets à gamberger pour mon compte personnel exclusivement, laissant mon vaillant équipier guerroyer contre sa choucroute.

« Bon, Crakzic se suicide. Par acquit de conscience, le Vieux organise une planque à son hôtel. Effectivement, quelqu’un s’y annonce, Gretta. Elle attend vingt-quatre heures et part en voyage. Des gens la surveillaient, qui — ils l’ont bien prouvé — en voulaient à sa peau. Ceux-ci sont au moins au nombre de trois : le vieux de la sonnette, le jeune qui a poussé Gretta sur la voie, l’homme à la Mercedes.

« En somme, le jeu consiste à les retrouver. De quels éléments disposé-je pour y parvenir ? De deux, a priori : j’ai vu l’un des trois hommes. Et je sais que le trio dispose d’une Mercedes 190. »

— À oi u ense ? interroge l’aimable pachyderme carnivore.

— Je pense, murmuré-je au travers de la fumée qui s’élève en volutes torturées de ma choucroute. Je pense qu’une Mercedes sport ne passe pas inaperçue. Tu vas déclencher une grande opération. Mon chéri, dès que tu seras sustenté, tu vas mobiliser tous les collègues disponibles et vous visiterez les hôtels de Paris, en commençant par les plus importants. Vous me relèverez l’identité de tous les clients possédant une 190 Mercedes. J’ai idée qu’ils ne doivent pas être tellement nombreux.

— Et si l’homme à la Mercedes n’habite pas à l’hôtel ?

— J’y songeais. En ce cas, après les hôtels, vous visiterez les garages…

— Et si le gars n’habite pas Paris ?

— Eh bien ! vous irez en province.

— Et si…

Là, je l’interromps. Quand on lui laisse le crachoir, à Béru, il faut amener un bulldozer pour balayer ses objections.

— Et si tu prenais ma choucroute garnie dans le museau pour te faire taire ! questionné-je.

En ronchonnant, il achève d’engloutir son assiettée.

C’est Montgamin qui est de permanence au labo lorsque je m’y pointe. Vous savez, le grand Montgamin, celui qui a une montre et des idées préconçues.

Ce mec-là, c’est pas un homme, c’est un lapin. Ses gosses, il ne peut plus les compter sans règle à calculer. Ça constitue comme une espèce de signe extérieur de richesse tant il pompe d’artiche aux allocs. Un vrai castor, quoi. Sa maison, c’est pas avec les mains qu’il l’a construite, je vous jure. Il est grand comme un peuplier, mais contrairement à cette noble plante d’appartement, il est duraille de la feuille. Ça lui est resté de la guerre. Un camion de munitions lui a explosé sous le postère. Il est revenu à lui au sommet du clocher voisin ; les gens croyaient qu’il avait remplacé le coq au pied levé. Il aurait pu prendre le bourdon, reconnaissez ; mais il ne l’a même pas entendu sonner vu qu’il avait les deux tympans comme du persil. Depuis, il porte un appareil très compliqué sur les éventails à crapaud avec embranchement sur une dynamo à pédale qu’on lui a scellée dans le nombril. Pour converser avec lui, faut s’y préparer sérieusement : huit jours d’inhalations intensives, massage des cordes vocales et porte-voix électronique. Moyennant ces précautions, il arrive à vous répondre qu’il a bouffé trois croissants à son petit déjeuner quand vous lui demandez son âge. Alors, vous pensez que ses éconocroques, il ne les gaspille pas à aller écouter Aznavour ! Pour lui, l’évasion, c’est un solo de batterie, alors là, il se délecte. Ça lui permet d’évoquer le doux clapotis de la pluie sur un toit de chaume. Sa pléthore de lardons, j’ai dans l’idée que ça vient de son infirmité, justement. Il doit pas entendre sa rombière quand elle lui crie d’aller dire bonjour à son grand-père.

— Salut, Maxime, glapis-je, car il s’appelle Maxime, comme La Rochefoucauld ; ça boume aujourd’hui ?

Montgamin règle le potentiomètre de sa Centrale, me fait répéter douze fois et, avec un grand sourire heureux, m’assure que la pluie ne durera pas car son cor au pied ne le fait pas souffrir, ce dont je remercie la Providence.

Je me place devant une feuille de papier vierge et je dessine tant bien que mal la silhouette de l’homme qui actionna la sonnette d’alarme. J’écris en marge les détails descriptifs. Faut vous dire que Montgamin, c’est pas seulement le roi des allocations familiales, mais aussi celui du portrait robot.