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Ce grand sourdingue a un sens particulier qui a remplacé chez lui celui de l’ouïe (la phrase est chantante, non ?). Il sait fabriquer le portrait d’un homme qu’il n’a jamais vu sur simple signalement. Ce turbin est longuet lorsqu’il a affaire à des témoins aux versions parfois contradictoires ; mais quand c’est un as de la poule (je me suis déjà fracturé trois fois le péroné en m’envoyant des coups de latte dans les chevilles) qui dirige ses travaux, alors on est sûr d’obtenir du gâteau.

Faut le voir œuvrer, Maxime ! Il est fait pour procréer, décidément. Il examine mon petit croqueton, puis il choisit dans une boîte de bois blanc une lamelle de verre et la glisse dans une lanterne de projection. Sur un petit écran paraît le contour d’un visage.

— D’accord ? interroge-t-il de sa voix de sourd.

Je fais un signe d’acquiescement.

Montgamin sélectionne une seconde plaque qu’il glisse devant la première. Le tracé de la tête s’agrémente alors d’un nez. Ça n’est pas tout à fait celui de mon gars. Il l’avait plus renflé des ailes ; j’explique cela par gestes à Maxime qui rectifie magnifiquement le tir. Viennent ensuite les châsses, les étagères à mégots, les baffies, les mollusques et les crins.

De temps à autre, je dirige les opérations, mais ce bougre de Montgamin « sent » mon bonhomme. Quand le portrait est reconstitué, je le considère comme étant d’une vérité criante. Mon pote, le constipé des feuilles, prend une photo de ce grand visage mort étalé sur l’écran.

— Cinq minutes ! fait-il en disparaissant dans le cabinet noir où il développe les clichés.

Je grille deux cousues en l’attendant. Son cor au pied ne l’a pas trahi : le soleil est revenu. On entend bramer les petits zoziaux sur les toits. Je pense à la môme Gretta. J’aurais bien aimé la connaître du temps où elle passait son numéro de strip. Au décarpillage, elle devait en foutre un jus, cette chérie. Ça devait faire du dégât dans l’assistance. Les vieux messieurs flanqués de leurs bonnes femmes couvertes de diams et de verrues se farcissaient double dose de digitaline en sortant du cabaret. Quant aux collégiens, après une telle vision, le théorème de Pythagore, vous pensez s’ils s’asseyaient dessus !

— Voilà ! déclare Montgamin en radinant avec deux clichés tout frais.

Il en fixe un au moyen de punaises sur une planche à dessin puis, armé d’un crayon spécial, se met à le travailler artistiquement. J’assiste alors à un phénomène surprenant. Le cliché cesse d’être inerte. Il prend vie, il s’anime. Il devient une véritable photographie et non un portrait fabriqué.

— Arrête, c’est à gueuler ! dis-je au Léonard de Vinci de l’anthropométrie.

— Je ne bois jamais entre les repas, me répond-il.

Il est impossible de se brouiller avec Montgamin. Tout au plus peut-on ne pas s’entendre avec lui ! Je stoppe son crayon magique.

— Parfait ! Parfait ! mugis-je.

J’ai hurlé si fort qu’un gars de l’étage au-dessous radine, croyant qu’on appelle au secours. Je prends le parti le plus sage : celui d’écrire mes instructions à Montgamin. Elles sont brèves :

« Tirer un paquet de photos retouchées et les distribuer dans les différents services, après m’avoir solennellement remis la première. »

Montgamin acquiesce. Il est fier de lui. De contentement, il va sûrement traduire son euphorie à sa bergère, dans ce style concis qui lui vaudra le prix Cognacq un de ces quatre matins !

— Je vous fais porter le premier cliché dans un quart d’heure, promet-il.

— Merci, dis-je, et bravo. Mes amitiés à tes enfants, une caresse à ta femme et bien des choses chez Prénatal.

Là-dessus, je vais écluser un demi en face, parce que la choucroute, c’est comme la graine de radis, il faut l’arroser beaucoup.

CHAPITRE V

Ce qui s’appelle prendre à partie

Deux jours passent sans apporter quoi que ce soit de nouveau. Franchement, je suis déçu. Il est rare qu’une enquête piétine quand c’est le fameux San-Antonio (laissez-moi me dorer la pilule, je paie les frais) qui la dirige. Le Vieux fait une gueule qui flanquerait des cauchemars à une couvée de crocodiles.

Le matin du troisième jour, comme on dit dans l’Évangile, au moment où je radine at the poultock house, Bombard, le plancton, me dit, l’air gêné : « Le patron vous attend ».

Si le Vieux m’attend, c’est qu’il est en plein suif. Et quand il est mal luné, il vaut mieux ne pas le laisser mijoter dans sa bile.

Je saute dans l’ascenseur hydraulique. J’aurais meilleur compte de grimper à pince, because l’appareil n’est pas très nerveux, mais quand on prend l’ascenseur pour l’échafaud, on a plutôt envie de se faire la malle (Louis pour les dames).

— Ah ! vous voilà, commissaire !

Bigre ! C’est plus grave encore que je ne l’imaginais. Lorsque le Vieux me donne mon titre, c’est qu’il est prêt à me le reprendre.

Il se tient debout contre le radiateur — sa position favorite — dans un strict garde-à-vous. On dirait un mec s’apprêtant à morfler une douzaine de pralines dans le baquet. Style droit au cœur mais épargnez la frite !

— Oui, chef, m’enhardis-je ; me voici.

Vous savez que j’ai toutes les qualités, plus un nombre intéressant de défauts plus agréables les uns que les autres. Seulement, je ne suis pas particulièrement patient et quand un gnace veut me chambrer avec des airs d’avoir l’air de quelqu’un d’important, même s’il s’agit de mon supérieur rachitique, comme dit Béru, je suis prêt à l’envoyer se faire considérer chez les Grecs.

— Vous m’aviez promis un dénouement rapide, bave le Vieux…

J’attends la suite, la narine plus pincée qu’une cuisse de serveuse, le regard fixe.

— Et je ne vois rien venir, conclut amèrement le roi du bigoudi adhésif.

Il se prend pour sœur Anne, le cher homme.

— Patron, je…

Du moment que je proteste, il est partant pour la controverse.

— Vous quoi ? tonne-t-il. Vous laissez bousiller à votre nez et à votre barbe une fille que je vous ai chargé de filer… Et vous êtes incapable de retrouver ses agresseurs ! Tous les matins, un délégué de l’ambassade américaine me téléphone pour me demander où en est l’enquête, car ces messieurs ont une sacrée dent contre feue fräulein Gretta et sa bande, je vous en réponds.

— Je regrette, patron, mais j’ai pris toutes les dispositions pour aboutir à un résultat. Nos hommes ont visité les hôtels et les garages de Paris afin de dresser la liste des gens possédant une Mercedes 190. L’emploi du temps des personnes en question a été soigneusement épluché. Pas une n’a pu tremper dans l’attentat du train. D’autre part, le portrait robot de l’individu qui actionna le signal d’alarme a été diffusé dans toute la France et à l’étranger : rien ! On dirait que ce type s’est évaporé ! L’auto aussi… Tout ce que je peux faire, c’est vous donner ma démission.

— Ah ! oui.

Entre nous et la ligne bleue des Vosges, le coup de la démission, c’est du bidon. Lorsque le boss rouscaille trop, je lui lance ça au portrait et il se radoucit illico. Eh bien ! cette fois, je suis marron. Loin de se déculotter, il fait sceller son bourrin de bigorne à la cire à cacheter et l’enfourche.

— Vous trouvez que c’est le moment de tenir ce langage, San-Antonio ? La démission ! Belle mentalité, bravo, c’est facile !

Il me fond dessus comme une vieille fille incasable sur une annonce matrimoniale, me prend par le revers, passe son médius dans le trou de mes futures décorations et me dit :