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— Comment pouvez-vous avoir une pareille réaction, mon pauvre ami ?

Ça y est. Voilà que je redeviens son « pauvre ami ».

— Vous n’avez donc pas lu les journaux ?

— Non, pourquoi ?

Il émet un ululement de chouette.

— Ah ! bon, ajoute-t-il, méphistophélique en diable ! Alors, je conçois votre calme.

Et de lâcher mon revers pour empoigner une pile de baveux sur sa table.

— Lisez !

— À quelle page, chef ?

— Oh ! en première. Nous nous offrons la « une » sans hésiter, au diable l’avarice !

Je mate le premier canard. Un titre sur trois colonnes me neutralise les méninges. Je sens mes cellules grises qui font la colle comme des grains de caviar.

Nuit de cauchemar dans la région parisienne
ATTENTAT À LA BOMBE
CONTRE LA VILLA DE L’AMBASSADEUR
DES ETATS-UNIS, AU PECQ

Le vieux dabe jubile vachement, je vous en réponds. Mon air siphonné le ravit.

— Mon cher, lance cette peau de ruminant, vous devriez lire les journaux avant de prendre votre service, un policier de votre mérite a besoin d’être au courant de l’actualité.

Si j’étais moins époustouflé, je vous parierais n’importe quoi contre autre chose que je lui ferais boire le contenu de son encrier, histoire de lui donner des couleurs.

— Lisez, lisez ! invite le cher homme.

J’obéis, non pour obéir, mais parce que la curiosité me démange tellement que je vais devoir me passer de l’onguent gris si je ne l’assouvis pas immédiatement.

« Un attentat de grande envergure a mis en émoi…, etc. »

En bref, des bombes à retardement ont été disséminées par ce que les tartineurs à gages appellent « des mains criminelles » au sommet du pavillon de l’ambassadeur. Les dégâts matériels sont très importants. On ne déplore heureusement aucune victime… Mais l’effet psychologique, tant dans la nation qu’à l’étranger… Vous mordez le laïus ?

Les premières constatations plongent mes collègues de la D.S.T. dans l’affliction la plus totale car ils n’ont pu dégauchir aucun indice. Tout ce qu’on sait, c’est que les engins explosifs furent déposés sous les toits. Des mesures de sécurité vont être prises par le ministre de l’intérieur et son tailleur pour garantir dorénavant le machin-chose du truc… Bla-bla approprié, quoi ! Le type qui a pondu ce papelard a réussi à n’employer que des adjectifs et à les écrire en majuscules.

Je plie soigneusement le journal en quatre.

— Alors ? fait sardoniquement le Vieux.

— Qu’est-ce qui vous fait croire que cet attentat a un rapport avec mon enquête ? je demande froidement, en m’abstenant de lui cracher à la figure.

— Il ressemble comme un frère aux exploits figurant sur le curriculum de Gretta Konrad.

— Gretta a été assassinée, monsieur le directeur, vraisemblablement par des gens qui n’étaient pas d’accord avec ses… heu !… travaux ! Pourquoi déduire, en ce cas, que ses meurtriers poursuivent sa sale besogne ?

Il a l’argument le plus inattendu qu’on puisse attendre de ce monsieur distingué, manucuré, éduqué, posé et déterminé.

— Je le sens ! fait-il.

En toute simplicité. Il le sent, ce forcené du Purodor. Vous entendez ! Il le sent.

Moi, je pense que, en fait, il ne se sent pas bien lui-même.

— Et vous voulez que je m’occupe de cette affaire ?

— Oui, mais officieusement. Le F.B.I. tient à enquêter et nous aurions mauvaise grâce à refuser. Je dois vous dire, pourtant, mon bon ami…

Tiens ! je reprends du galon, les mecs. Cette fois, je suis le bon ami. Faut que je les mette, sans quoi, dans une heure on s’appellera chéris tous les deux.

— Je dois vous dire qu’il ne me déplairait pas de vous voir arriver premier au poteau.

Le prestige ! Toujours la gloriole, la dorure, l’auréole ! Pour un bout de ruban, une photo dans France-Soir ou pour lire leur blaze sur une coupe simili-argentée, les hommes sont capables de tout et, qui pis est, de n’importe quoi !

Bon Dieu ! Il faudra bien, pourtant, qu’un jour quelqu’un leur dise que ça n’est pas ça un idéal, que ça n’est pas ça un but !

Il faudra bien qu’on finisse par le leur donner, le mode d’emploi de ce jouet qu’est la vie, puisque depuis des siècles qu’ils le tripatouillent, ils ne sont pas encore parvenus à s’en servir convenablement !

Tout le long de notre sacrée route, on rencontre des mecs qui nous disent « Lève-toi et marche ! » Et éternels Lazare nous obéissons. Pauvre Lazare ; il a dû en avoir sec lorsqu’on l’a tiré du grand repos pour le restituer à la bande de gougnafiers. Il était peinard dans son linceul ; tranquille comme Baptiste, si je puis dire. Et voilà qu’on le sort des toiles ! Lève-toi et marche ! Il n’est question que de ça en ce triste monde : marcher ! Vive les cordonniers ! Marchons ! Marchons !

On nous joue des marches ! Et en avant marche ! Ils n’ont pas encore pigé que la terre est ronde et que, à force de marcher, on revient fatalement à son point de départ. Quand on y revient ! Et ça devient tellement duraille d’y revenir, que quand on y revient, ben on n’en revient pas d’y être revenu ! Marchons ! Marchons ! Et ça se chante ! Pourtant, en définitive, qu’est-ce qui a eu le dernier mot, hein ? Lazare ! Textuel ! On parle de sa résurrection, mais jamais de sa mort, de la deuxième, de la vraie, royale et triomphante, bien azotée, définitive. Après, il a cloqué son nom à une gare, seulement, c’est les autres qu’ont été cocus, les autres mais pas M. Saint-Lazare, qui a rattrapé la correspondance pour l’infini.

— Vous comprenez ce que je veux dire ? appuie le Vieux.

Je sors de mon rêve. Mande pardon, m’sieurs-dames, je faisais ma grande lessive annuelle. Avec utopie, le monde bout plus blanc !

— Je comprends parfaitement, chef.

— Alors, carte blanche, San-Antonio.

Blanche ! Qu’est-ce que je vous disais !

— Parfaitement.

— Notez que je peux me tromper.

— Oh ! fais-je, incrédule.

Il sourcille, se renfrogne et caresse son suppositoire.

— Ce que je veux, San-Antonio, c’est du résultat !

— Vous en aurez ! promets-je.

Et je me demande in petto si le fait de lui casser son presse-papier de bronze sur la coquille en constituerait un assez frappant.

CHAPITRE VI

Ce qui s’appelle prendre le taureau par les cornes

En quittant le P.C. du Vioque, je n’ai qu’une idée : convoquer d’urgence Pinaud et Bérurier pour une conférence tripartite au sommet. Voyez-vous, je malmène souvent mes deux compères[1] et je les traite de beaucoup de noms omis dans le Littré, mais ceci n’est qu’une attitude de ma part. Avec mézigue, faut être comme les pêcheurs : savoir lire entre les lignes. En réalité, je leur porte une grande tendresse et je me dis souvent que, sans eux, la fliquerie ne serait que ce qu’elle est. Dans les cas épineux, je les consulte toujours. Ils ont deux noisettes véreuses sous la calotte glaciaire en guise de cerveau, mais bien qu’ils émettent sur ondes courtes, leurs avis ne sont point négligeables. Il est bon, parfois, d’abaisser un débat.

Je trouve mes lascars dans le bureau mis à leur disposition par une administration bienveillante. En général, un bureau est destiné à des travaux plus ou moins intellectuels. Celui des fameux duettistes abrite des occupations moins cérébrales. Ainsi, au moment où j’en franchis le seuil, le Gros est en train de reclouer la semelle d’un de ses souliers, et Pinaud de mettre des cornichons au sel pour leur faire « rendre leur eau » avant que de les confier à un bocal de vinaigre.

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D’ailleurs, certains lecteurs au cœur tendre m’écrivent pour m’en faire grief !