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— Tu travailles aujourd’hui ?

— Je pensais te l’avoir dit pour l’astreinte. J’essaierai de ne pas rentrer tard ce soir.

Je me murai dans le silence pour ne pas lui balancer ma déception à la figure. En moins de dix minutes, nous fûmes devant la maison. Je décidai de ne pas mettre d’huile sur le feu.

— Je nous prépare un petit dîner sympa pour ce soir, lui proposai-je le sourire aux lèvres.

— Ne te casse pas la tête, je prendrai à emporter. De toute façon, je suis crevé, je ne ferai pas long feu.

Je détachai ma ceinture, m’approchai de lui, lui caressai la joue et l’embrassai.

— Je voudrais me faire pardonner de ne pas avoir été là hier soir.

— Y a rien à pardonner, ne t’en fais pas. Regarde, je bosse aujourd’hui. Je dois y aller.

À regret, je me détachai de lui et sortis de la voiture. Je lui jetai un dernier coup d’œil, attrapai mon sac à l’arrière et entrai dans la maison.

Vingt heures. Coiffée, maquillée, habillée avec l’envie de plaire à mon mari. J’allumai quelques bougies et lançai la musique. J’entendis la voiture de Pierre arriver. Je m’assis dans le canapé et pris un magazine. Il entra et se rendit directement dans la cuisine.

— Je suis passé chez le chinois, ça te va ?

— Bien sûr, lui répondis-je. Ç’a été ta journée ?

— Je vais me doucher.

Il ne passa pas me voir et monta l’escalier quatre à quatre. Ça commençait bien…

Un quart d’heure plus tard, j’étais dans la cuisine, préparant nos assiettes. Je tendis l’oreille ; la musique était coupée, la télé allumée.

— Tu as besoin d’aide ? me demanda Pierre du salon.

— Non, c’est bon, je crois que je vais m’en sortir !

Je le rejoignis, et ma soirée romantique se transforma en plateau télé. Pierre joua de la zapette et se décida pour un programme débile de télé-réalité. Il ne lui manquait plus que les grosses charentaises écossaises pour compléter le tableau. J’aurais pu être en jogging et tee-shirt informes, ça aurait eu le même effet : il finit par piquer du nez. Sa tête tomba sur mon épaule. J’étais partagée. Comment lui en vouloir d’être épuisé après sa semaine de boulot à l’hôpital ? Et pourtant, j’attendais qu’il s’occupe un peu de moi, qu’il me pose des questions. Qu’il me remarque ? Ce ne serait pas pour ce week-end. Mes pensées dévièrent vers Gabriel, je secouai la tête pour les chasser et réveillai Pierre pour aller nous coucher.

— 5 —

Le lundi soir, comme Marthe me l’avait demandé, je montai chez elle après mes cours. C’était plus impressionnant, finalement, de m’y rendre pour un tête-à-tête que pour une grande soirée. Je sonnai, le majordome m’ouvrit. Et, alors que j’étais déjà venue, j’eus le sentiment de découvrir un nouvel appartement. Le silence régnait en maître. La salle de réception s’était transformée en un séjour qui me parut démesuré, les meubles avaient retrouvé leur place. La pièce nue de ses invités, la sobriété et l’ordre qui y régnaient n’en étaient que plus frappants. Trois couleurs dominaient la décoration, le noir, le rouge et le blanc. Les œuvres d’art apparaissaient dans toute leur splendeur, les concepts de bien et de mal semblaient se disputer la place sur les toiles et dans les formes des sculptures. Marthe m’accueillit un grand sourire aux lèvres et m’invita à m’asseoir. Jacques lui servit un verre de gin avec une goutte de Schweppes, sa boisson fétiche semblait-il. Il me proposa un verre de vin. Je déclinai son offre. Il nous laissa seules. Sur la table basse, je crus reconnaître l’enveloppe que j’avais refusée le jour du cocktail.

— Iris, prends cette enveloppe. Et que je ne te voie plus refuser un salaire, c’est compris ?

— Merci, lui répondis-je simplement en m’en emparant.

— Maintenant, nous devons parler sérieusement de ton avenir.

— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Je croyais vous l’avoir dit : après la formation, je m’installe chez moi…

Elle balaya mes propos d’un geste de la main, croisa les jambes et me fixa.

– Écoute-moi sans m’interrompre.

Je hochai la tête.

— Cela fait plus d’un mois que tu es là. J’ai fait le bilan avec Philippe, il est d’accord pour dire qu’il n’a plus rien à t’apprendre ou si peu…

— C’est faux !

— Maintenant ça suffit, Iris ! Être autodidacte n’est pas une tare, au contraire ! Si tu savais d’où je viens…

— D’où venez-vous, Marthe ?

C’était sorti tout seul. Je regrettai immédiatement ma question.

— De la rue.

Elle me laissa le temps d’assimiler l’information avant de poursuivre.

— Mais nous ne sommes pas là pour parler de moi, un autre jour, peut-être… Je ne veux plus une seule fois t’entendre dire que tu n’as pas de talent. C’est ridicule, et tu le sais.

— Vous êtes la première à me dire que je vaux quelque chose, je ne suis pas sûre de…

— Tu vas te mettre à ton compte comme créatrice, ici même. Tu créeras tes propres collections. Je te guiderai, j’ai largement les moyens de te soutenir. Je mets à ta disposition une des pièces à l’étage de l’atelier. Philippe sera toujours là pour t’épauler en cas de besoin. J’ai un réseau. Toutes les femmes, sans oublier les hommes, vous ont remarqués, toi et ton travail, l’autre soir.

— Je suis extrêmement flattée de l’intérêt que vous me portez. C’est un rêve que vous m’offrez, mais je ne peux pas accepter.

Elle se leva et se mit à déambuler gracieusement dans la pièce. Sa main caressa le dossier du canapé d’un bout à l’autre. Hypnotisée par son aura, je la suivais du regard.

— Penses-tu sincèrement t’épanouir en faisant des ourlets et des jupes droites pour le troisième âge toute ta vie ?

Je venais de perdre ma langue.

— Si tu refuses, ne reste pas à l’atelier, tu perdrais ton temps, et moi le mien.

— Vous me renvoyez ?

— Tu n’as qu’un mot à dire, ma chérie.

— Où est votre intérêt dans cette affaire ?

Elle s’approcha de moi. Je fus incapable de soutenir son regard.

— Tu me plais, Iris. Fais-moi plaisir, réfléchis-y.

Que répondre ? Je devais déjà énormément à cette femme. La moindre des choses était de peser le pour et le contre, et ça ne me coûtait pas grand-chose d’en parler à Pierre, au pire une simple dispute, une de plus. Au moins, j’aurais essayé. Au moins, j’aurais touché du bout des doigts mon rêve inaccessible. Flirter avec l’excellence n’était pas donné à tout le monde, je pouvais en profiter quelques semaines, me prendre pour une autre. Je levai la tête vers elle, lorsque la porte d’entrée claqua.

— Marthe ? Tu es prête ? s’exclama une voix masculine.

C’était Gabriel. Je les avais oubliés, lui et son charme. Le visage de Marthe se crispa imperceptiblement. Puis elle afficha un magnifique sourire et se tourna vers l’entrée du séjour.

— Gabriel, mon chéri, toujours à l’heure.

— Tu m’as bien… éduqué, lui répondit-il tout en me remarquant. Iris, quelle surprise !

— Bonsoir, Gabriel, lui dis-je en me levant.

Le regard que Marthe me lança m’encouragea à tendre la main, et pas la joue. Il dégaina un petit sourire en coin. Puis il nous observa toutes les deux.

— Que complotiez-vous ?

— J’ai fait une proposition à Iris, lui répondit Marthe. Je veux l’aider pour qu’elle puisse créer.

— La générosité de Marthe n’a pas de limites en ce qui concerne l’art, me dit-il avant de se tourner vers elle. Nous allons être en retard, va te préparer. Laisse donc Iris m’expliquer en quoi consiste votre partenariat.