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Il alla s’asseoir dans un fauteuil et appuya la tête sur une de ses mains tout en nous regardant. Marthe s’avança lentement vers lui et se pencha pour lui murmurer quelque chose à l’oreille. À aucun moment Gabriel ne cessa de sourire ni de me fixer. Marthe quitta la pièce.

— Alors, dis-moi tout. Qu’attend-elle de toi ?

— Elle veut que je me mette à mon compte, lui répondis-je de but en blanc.

Je soupirai et m’écroulai dans le canapé. En entendant Gabriel rire, je me redressai et fronçai les sourcils.

— Qu’est-ce qu’il y a de drôle ?

— Tu es jolie quand tu boudes.

La pivoine était de retour.

— Sérieusement, Iris, qu’est-ce qui te gêne dans le fait que Marthe veuille t’aider ? Tu es douée à ce qu’il paraît. Tu n’as pas d’ambition ?

Je pris ma tête entre mes mains. Incapable de rester en place, je me levai et allai regarder par la fenêtre. Gabriel vint se poster derrière moi. Ce n’était plus la proposition de Marthe qui me faisait trembler. Deux fois de suite qu’en présence de cet homme je n’étais plus maîtresse de mes émotions.

— Qu’est-ce qui te retient ? me demanda-t-il.

– À ton avis ? lui répondis-je en me tournant vers lui.

— Je suis un peu con sur les bords, il faut m’expliquer.

Je ris et préférai m’éloigner.

— Je ne veux pas décevoir Marthe.

— Crois-moi, je la connais, c’est en refusant que tu la décevras. Profites-en, lance-toi. Si tu échoues, ce n’est pas grave.

— Ce que tout le monde oublie, c’est que je ne suis là que pour six mois. Ensuite je rentre chez moi.

— C’est où chez toi ?

— Chez mon mari.

— J’ai toujours tendance à oublier ce genre de détail…

J’eus envie de rire et levai les yeux au ciel.

— Il peut se passer beaucoup de choses en six mois, reprit Gabriel en s’approchant de moi. Dîne avec moi, Iris.

— Non, je ne peux pas.

Nous nous regardâmes. Il souriait, et moi, je respirais plus vite.

— Je te fais peur ?

— Pourquoi lui ferais-tu peur ? intervint Marthe.

— Tu ne me diras pas non éternellement, chuchota-t-il.

Puis il se dirigea vers Marthe et embrassa sa joue.

— Magnifique, comme toujours, lui dit-il. Ne t’inquiète pas, j’ai œuvré en ta faveur. J’essayais de convaincre Iris d’accepter ton offre. Elle me disait qu’elle allait en parler à son mari avant de te donner une réponse.

Il me sembla qu’ils s’affrontaient du regard. Puis je vis l’esquisse d’un sourire sur le visage de Marthe.

— Toutes tes maîtresses pourraient étoffer la clientèle d’Iris.

Gabriel éclata de rire. Marthe se dirigea vers moi, la mine sérieuse.

— Tu as une semaine pour prendre ta décision, ma chérie.

— Marthe… je…

Un simple haussement de sourcils me fit taire. J’attrapai mon sac, mon manteau.

— Au revoir, murmurai-je.

Avant de quitter la pièce, je ne pus m’empêcher de me retourner. Ils m’observaient. Marthe, le regard mystérieux, Gabriel, le regard prédateur. Chacun son style. J’accélérai le mouvement pour sortir au plus vite de cet appartement.

Il ne me restait plus que deux jours pour donner ma réponse à Marthe. Je n’avais toujours pas parlé à Pierre. Évidemment.

En ce samedi soir, nous recevions. Après avoir joué à bobonne derrière les fourneaux toute la journée, je me plongeai dans un bon bain. Je marinai dans l’eau plus d’une demi-heure, en cogitant sur ma tactique d’approche. Quels arguments présenter à Pierre pour qu’il puisse considérer la proposition de Marthe ? C’était le moment d’essayer : il était détendu, ravi d’avoir du monde à la maison. Tout était prêt. Sauf moi, qui ne savais toujours pas ce que j’allais mettre, c’était le comble. Je sortis de la baignoire, me séchai et enfilai ma lingerie en dentelle noire avant de me poster devant mon dressing. Je me décidai pour la robe qui avait déclenché l’éclatement familial. Je lorgnais aussi sur mon tailleur, que j’avais ramené sans trop savoir pourquoi. Impossible de le porter ici. Cependant, profiter de la bonne humeur de Pierre était l’occasion de lui montrer mon travail.

— Pierre, tu peux monter s’il te plaît ? criai-je.

— Que se passe-t-il ? me demanda-t-il en pénétrant dans notre chambre. Qu’est-ce que tu fabriques ? Tu n’es pas encore prête ?

— C’est bon, ne t’inquiète pas, il faut juste que je m’habille. J’ai besoin de te montrer quelque chose.

– Écoute, on n’a pas le temps, là. Ils vont bientôt arriver.

— Accorde-moi deux minutes.

Je m’approchai de lui et me glissai dans ses bras. Il posa ses mains sur moi, il n’avait pas le choix. Et ça me rappelait la sensation de sa peau contre la mienne.

— S’il te plaît…

Il soupira.

— O.K., qu’est-ce que tu veux que je voie ?

— Mon tailleur, tu sais, celui que j’ai créé et qui a plu à Marthe.

Il fronça les sourcils, me regarda et me lâcha.

— Tu as une idée derrière la tête, Iris ?

Je devais bien choisir mes mots pour ne pas lui faire peur.

— Marthe souhaiterait que le temps de ma formation je confectionne mes propres modèles.

– À quoi ça te servirait ? Aux dernières nouvelles, nous n’avons pas l’intention de déménager pour Paris.

— Ce n’est pas ce que je te demande, ne t’inquiète pas. C’est juste une opportunité en or.

— Je ne savais pas que tu voulais être styliste.

— Elle me dit que j’ai du talent. C’est pour ça que je voulais te montrer mon tailleur. Je ne m’attendais pas à ça, je te promets. Mais Marthe croit en moi, certaines de ses amies veulent déjà passer commande. Et Gabriel me dit que j’aurais tort de rater une occasion pareille.

Il soupira.

— Vas-y.

— Merci.

Mon temps était compté. Je me précipitai dans la salle de bains.

— C’est qui Gabriel ?

J’eus chaud tout d’un coup. Une idée germa dans ma petite tête.

— Je ne t’ai pas parlé de Gabriel ? C’est lui qui dirige les fonds d’investissement du premier. Un séducteur dans l’âme.

— Un vieux beau ?

— Non, tu te trompes, il a juste quelques années de plus que nous. Il est très sympa (charmant), il a l’air d’avoir beaucoup d’humour (surtout quand il est question de toi)…

— Tu as bientôt fini ?

— Oui, presque. Ça te dérangerait si je dînais avec lui ? Il m’a invitée…

— Pourquoi voudrais-tu que ça me dérange ? Tu viens oui ou non ?

Quand je sortis de la salle de bains, Pierre pâlit et me regarda des pieds à la tête. Je tournai sur moi-même.

— Alors ?

— Tu sais, moi et la mode…

— Bah… je suis jolie au moins ?

— Pas plus que d’habitude, et ça ne te ressemble pas trop en fait… je ne vois pas quand tu aurais l’occasion de porter un truc pareil, surtout quand tu travailleras à la maison. Personne ne voudra acheter ça, c’est importable.

— Mais…

La sonnette retentit.

— Les voilà, me dit Pierre. Change-toi vite.

— Attends !

— Quoi ?

— Je dois répondre à Marthe lundi…

Il haussa les épaules.

— Je ne sais pas, je ne vois pas trop l’intérêt… Réfléchis bien à quoi ça va te servir… pas à grand-chose à mon sens.

Il quitta la pièce. Je l’entendis dévaler les marches puis accueillir nos invités. Des larmes me montèrent aux yeux, je regardai en l’air pour tenter de les chasser et soupirai. Ça avait le mérite d’être clair : Pierre ne voyait absolument pas l’opportunité que représentait la proposition de Marthe. Quant au soupçon de jalousie que je croyais éveiller en évoquant Gabriel… Ça ne lui venait même pas à l’esprit que je puisse plaire à un homme — à se demander si je lui plaisais encore —, ni même que je puisse être attirée par un autre que lui.