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— Je n’ai pas traîné après votre départ.

— Qu’ont donné les contacts de Gabriel ?

— Des commandes intéressantes, je pense que cela peut déboucher sur des clientes régulières. Je leur ai laissé ma carte, elles doivent prendre rendez-vous dans les jours prochains.

— Très bien. Et Gabriel ?

Elle vrilla son regard au mien.

— Il a amusé la galerie, et… il est parti en charmante compagnie pendant que j’attendais un taxi.

Elle releva mon menton avec un doigt.

— Tu ne me mens pas ?

— Non Marthe, bien sûr que non !

— Parce que je ne le tolérerais pas ! me dit-elle sèchement.

Je me sentis mal. Elle ferma les yeux, secoua la tête et finit par me regarder à nouveau.

— Je suis étonnée qu’il n’ait rien essayé. Je le connais, quand il désire une femme, rien ne l’arrête.

— Je lui ai fait comprendre qu’il perdait son temps avec moi.

Elle me sourit, visiblement satisfaite de ma réaction. Mon don pour le mensonge m’époustouflait ! Pour autant, il valait mieux que je ne m’attarde pas davantage.

— J’ai du travail qui m’attend.

Je pris la direction de la sortie.

— Iris…

— Oui ?

Je déglutis.

— Approche-toi.

Je lui obéis. Elle inspecta à nouveau ma silhouette. J’avais volontairement revêtu une tenue de working girl sérieuse. Marthe défit les premiers boutons de mon chemisier cintré. Je fixai ses doigts fins, délicats, leurs gestes fluides.

— C’est très bien de jouer à la femme sage, mais n’exagère pas. Et pense à des talons beaucoup plus hauts la prochaine fois.

— Très bien. Bonne journée.

Je sentis ses yeux sur moi jusqu’à ce que je referme la porte de son bureau.

Les jours suivants, Gabriel se livra à un véritable harcèlement téléphonique. À mon grand soulagement, Marthe était toujours en ma compagnie, elle était mon garde-fou. Je ne céderais pas à la tentation, je n’étais pas là pour ça. Systématiquement, j’effaçais ses messages sans les écouter, je refusais d’entendre sa voix me susurrer je ne sais quelle ânerie.

Le vendredi midi, je bouclai ma semaine en compagnie de Marthe dans son bureau, comme d’habitude.

— Profite bien de ton mari, parce que je te garde avec moi le week-end prochain, me dit-elle pour conclure.

— Pourquoi ?

— Nous irons t’acheter tout ce que tu ne couds pas pour parfaire ton image, et ta garde-robe.

— Marthe, vous êtes… Je n’ai besoin de rien.

Elle me gratifia à la fois de son air mystérieux et de son regard qui ne tolérait aucun refus, puis elle se leva. Je la raccompagnai à la porte.

— Continue ainsi, Iris, tu iras loin. Écoute-moi, toujours.

Je baissai les yeux tandis qu’elle pénétrait dans l’ascenseur. Ce fut plus fort que moi, je me postai à la fenêtre pour observer son départ. Quelques minutes passèrent avant qu’elle sorte de l’immeuble. Elle marcha lentement jusqu’à un taxi, le chauffeur lui ouvrit la porte, elle disparut.

— Iris ! Téléphone ! me cria une des filles.

Je courus.

— Allô ! dis-je sans vérifier le nom de mon interlocuteur.

— Bonjour, toi, ronronna Gabriel. Tu sais te faire désirer.

— Marthe…

— Vient de partir, elle a un rendez-vous avec son notaire, c’est moi qui l’ai programmé.

— Pourquoi…

— Je t’attends dans mon bureau.

— Mais…

— Si tu n’es pas avec moi dans dix minutes, je viens te chercher à l’atelier.

Il raccrocha. Pas de doute, il avait pris des cours d’autorité avec Marthe. Sous le regard curieux des filles, je quittai l’atelier le plus naturellement possible et descendis au premier. Je sonnai, la porte s’ouvrit et je me figeai dans l’entrée. Les bureaux étaient tous occupés par les collaborateurs de Gabriel, golden boys en puissance. Ils échangèrent des regards de connivence en me voyant. L’un d’eux s’avança vers moi, un mini-Gabriel en formation. Je pris les devants en me dirigeant le plus dignement possible vers le bureau de son patron.

— Je viens voir Gabriel, je connais le chemin.

Je passai devant lui et ceux qui l’avaient rejoint. Je crus entendre un sifflement et me raidis. Résultat des courses, je me jetai dans la gueule du loup sans préparer ma défense.

Mon démon personnel était au téléphone, braillant à pleins poumons ; je n’aurais pas aimé être à la place de son interlocuteur. Pour la première fois, je voyais Gabriel dans son monde professionnel : puissant, sérieux, hargneux. Il me sourit tout en crachant des ordres. Puis il s’approcha et ferma la porte que j’avais laissée ouverte, sans oublier de lancer un coup d’œil peu amène en direction du couloir. Sa proximité fit battre mon cœur plus vite. De son bras libre, il tenta de me bloquer contre le mur, je lui échappai en passant par-dessous. C’est là qu’il abrégea sa conversation en prétextant un rendez-vous de la plus haute importance.

— Aurais-tu des problèmes de téléphone ? me demanda-t-il en arquant un sourcil.

— Non.

Il s’avança vers moi. Je reculai.

— Me fuis-tu ?

J’étais coincée contre son bureau.

— Euh… non.

— Dans ce cas, je t’invite demain soir. Un vrai dîner digne de ce nom, et en tête à tête.

Il avait prononcé sa dernière phrase en mettant son visage à ma hauteur, pour bien capter mon regard. Il me sourit, je fis de même. C’était plus fort que moi, je jouais la carte de la provocation, et j’y prenais un malin plaisir.

— Une fois de plus, je vais refuser.

— Et en quel honneur ?

— Je passe le week-end avec mon mari.

— Merde, je n’arrive pas à imprimer ton seul défaut.

Je réussis à longer le bureau et à mettre de la distance entre nous. Il fallait que je sorte d’ici.

— Tu es pressée ?

— Il me reste un peu de travail avant de partir. Passe un bon week-end.

Je tournai les talons et commençais à ouvrir la porte lorsque Gabriel la referma en passant un bras par-dessus mon épaule. Il se tint là, presque collé à mon dos. Il ne me touchait pas, pourtant je sentais son souffle sur ma peau. Je fermai les yeux.

— Où est passée ton assurance de l’autre soir ? me murmura-t-il à l’oreille.

Je devais calmer le jeu. Je ne connaissais pas ces codes.

— Je suis désolée, si je… mais j’avais trop bu… Ce n’était pas moi.

— Oh si ! Moi je crois bien que tu n’as jamais été plus toi qu’à ce moment.

— Tu te trompes, je suis une fille banale, sage et…

— Fidèle, je sais. Et c’est toi qui te trompes lourdement.

Il m’énervait, j’aimais ça. N’y avait-il pas une part de vérité dans ce qu’il affirmait ? Je lui fis face et plantai mes yeux dans les siens.

— J’ai plus d’ambition que de gonfler le rang de tes maîtresses. Voilà tout.

— Souhaiterais-tu m’enchaîner ?

— J’ai déjà un défaut, je ne compte pas m’encombrer d’un second.

— Tu deviens mordante… J’adore ! Tu me plais de plus en plus.

— J’aurai beau te supplier, invoquer mon mariage, Marthe, tu ne me laisseras pas tranquille ?

— On va vraiment bien s’amuser, fais-moi confiance…

Gabriel me raccompagna jusqu’à la porte de ses locaux, une main dans mon dos, un sourire satisfait aux lèvres. Il ne s’était rien passé, pourtant, j’étais rongée par la honte et la gêne. Facile d’imaginer ce que les employés devaient penser. Qui étais-je en train de devenir ? Gabriel me fit une bise et me souhaita un bon week-end avec mon mari.