Выбрать главу

Sitôt à l’intérieur, le silence de notre maison me sauta à la figure, et m’angoissa. Je balançai mes ballerines et allai me pelotonner dans le canapé du séjour. Pierre prit le temps de ranger méticuleusement sa veste, son portefeuille et ses clés de voiture. Puis il me rejoignit. Il posa son portable sur la table basse, s’assit à mes côtés et passa la main dans mes cheveux.

— Ma chérie, je sais que c’est dur ce qui vient de se passer…

— C’est un euphémisme.

Il soupira.

— Il faut admettre que ta mère a raison sur un point : c’est du passé. Tu ne peux pas refaire l’histoire, tu ne peux pas changer le cours des choses.

— C’est censé me remonter le moral ?

— Je ne te dis pas de leur pardonner tout de suite, laisse le temps faire son œuvre. Mais au moins, maintenant tu as la preuve que tu étais douée, cette école voulait de toi… Tu n’as plus à avoir de doutes, tu sais coudre.

Il me sourit et me prit dans ses bras. Il ne pouvait pas comprendre ce que je ressentais. Rien ni personne ne l’avait empêché de se plonger à corps perdu dans la médecine. La vibration de son téléphone interrompit mes réflexions. Il se redressa, prêt à le saisir.

— Ne me fais pas ça cet après-midi, Pierre, s’il te plaît.

— Mais…

— Non, pas d’hôpital aujourd’hui. C’est dimanche, tu n’étais pas de garde ni d’astreinte ce week-end. Ils n’ont pas à te demander de venir. J’en ai marre que tu sois au garde-à-vous chaque fois qu’ils t’appellent. Je suis ta femme, et là, c’est moi qui ai besoin de toi.

— Ne t’inquiète pas, je reste là. Laisse-moi juste répondre.

Je hochai la tête. Il tapa un SMS à toute vitesse et reposa son portable sur la table en soupirant. Il me reprit contre lui.

J’aurais voulu ne pas pleurer, mais j’échouai. Hors de question de me retrouver une fois encore seule dans notre grande maison, sans lui, parce qu’il courait à l’hôpital. Pas aujourd’hui. Pas après ce que je venais d’apprendre. Pas quand je ne savais que faire de cette nouvelle qui avait bouleversé ma vision des choses.

— 2 —

Après une dizaine de jours à broyer du noir et à tourner autour du pot, je venais de retrouver le sourire. Je comptais faire la surprise à Pierre ce soir. Je nous concoctais un dîner en amoureux avec le grand jeu : bougies, bonne bouteille de vin, belles assiettes. Et une jolie robe légèrement sexy — surtout pas trop, Pierre donnait dans le traditionnel. En l’essayant une dernière fois, je m’étais dit qu’il était vraiment dommage de ne pas la porter avec des talons hauts. Tant pis. C’étaient les goûts de mon mari qui comptaient pour le moment. Je ne doutais pas du choc que j’allais lui causer, mais j’espérais que mon poulet à l’estragon l’aiderait à digérer mon annonce. Dernière chose, je devais m’assurer que tous mes plans ne tomberaient pas à l’eau. J’avais interdiction formelle de l’appeler à l’hôpital sauf en cas d’extrême urgence, mais un SMS ne devrait pas attirer ses foudres : « Tu seras là pour dîner ? » Je me mis à tourner en rond dans la cuisine. À ma plus grande surprise, je n’eus à attendre que cinq minutes avant qu’il me réponde : « Oui, tu veux te faire un resto ? » Je souris. Depuis le clash avec mes parents, il faisait quelques efforts. Cependant, je ne revins pas sur mes plans : « Non, on reste chez nous, j’ai une surprise… », lui répondis-je. « Moi aussi », m’annonça-t-il.

Deux heures plus tard, j’entendis la porte d’entrée claquer.

– Ça sent bon ! me dit Pierre en me rejoignant dans la cuisine.

— Merci.

Il m’embrassa différemment. D’habitude, j’avais l’impression d’être transparente, j’avais à peine le temps de sentir ses lèvres sur les miennes, c’était le baiser de la routine, en pire. Là, c’était plus profond, plus aimant. Aurait-il en tête de passer une très bonne soirée jusqu’au bout ? Je l’espérais et, de mon côté, j’aurais bien commencé par le dessert. Je m’agrippai à lui et me mis sur la pointe des pieds.

— On peut passer à table plus tard, tu sais, lui dis-je.

Il rit légèrement contre ma bouche.

— Je veux connaître ta surprise d’abord.

Je servis nos assiettes, et nous passâmes à table. Je ménageai le suspense et l’invitai à entamer son repas. Lorsqu’il fut rassasié, il s’installa plus confortablement dans le fond de sa chaise. Je posai mes couverts.

— Qui commence ? lui demandai-je.

– À toi l’honneur.

Je me trémoussai sur ma chaise, je ne savais pas où poser le regard, je lui souris timidement.

— En fait… aujourd’hui, j’ai fait quelque chose… un truc que j’aurais dû faire il y a bien longtemps…

J’avalai une gorgée de vin.

— Et ? m’incita-t-il à poursuivre.

— J’ai démissionné.

Il se redressa, comme au ralenti. Une armée d’anges passa.

— Dis quelque chose.

Ses traits se durcirent. Il balança sa serviette, se leva brusquement et me dévisagea sévèrement.

— Tu aurais pu m’en parler, quand même ! Merde ! Je suis ton mari, et c’est à deux qu’on prend ce genre de décision. J’ai mon mot à dire !

Je vis rouge à mon tour. Ces derniers temps, chaque discussion dégénérait en quelques secondes. Nous étions de plus en plus sur des charbons ardents. La moindre broutille pouvait déclencher une dispute… quand il était là, évidemment.

— Pierre, je ne demande que ça, moi, de te parler ! Mais franchement, tu n’es jamais à la maison. Ta vie se résume à l’hôpital.

– Ça va être ma faute maintenant ? Ne pars pas sur le terrain des reproches et de l’hôpital. Je ne vais pas m’excuser de vouloir réussir.

— Tu ne m’écoutes pas, tu ne me regardes pas. Par moments, c’est comme si je n’existais pas. Ne crois pas que les deux dernières semaines vont rattraper ton retard.

– Ça suffit !

Il ferma les yeux, soupira profondément et se pinça l’arête du nez.

— Je ne veux pas qu’on se dispute, ni que la soirée soit gâchée. S’il te plaît.

Il se rassit, but un verre d’eau et s’accouda à la table en se frottant le visage. Il secoua la tête.

— Toi et tes surprises, marmonna-t-il.

C’est vrai que sur ce coup-là, j’avais mal joué.

— Pardon… je vais t’…

— Je n’aurais pas dû m’énerver comme ça, me coupa-t-il.

Il me regarda et prit ma main dans la sienne par-dessus la table. Je lui souris. La pression était retombée, enfin je l’espérais.

— Et puis, finalement, ça va parfaitement avec ma surprise à moi… Tu ne pouvais pas prendre de meilleure décision, en réalité.

J’écarquillai les yeux comme des billes. J’étais sidérée.

— On part vivre en Papouasie ?

Il rit, moi aussi. Il serra plus fort ma main.

— Non, je veux un bébé. Il est temps, non ?

Il me regardait intensément, visiblement ému par son annonce et sûr que j’allais sauter au plafond. Mon sourire me quitta petit à petit. Nos plannings n’étaient plus du tout synchrones.

— Tu vas pouvoir te consacrer pleinement à notre famille, comme ça a toujours été prévu.

Il fallait qu’il arrête très vite.

— Pierre, stop !

Je retirai ma main de la sienne.

— Je n’ai pas démissionné de la banque pour avoir des enfants.

Lui aussi redevint sérieux.

— Pourquoi, alors ? me demanda-t-il, les mâchoires serrées.