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— Bien sûr que tu me manques… C’est ma faute… J’aurais dû tout arrêter dès le début, il y a un an… ne pas te faire attendre… Je n’ai pas pu…

J’avais mal compris. C’était forcément ça. À qui et de quoi parlait-il ?

— Je sais qu’on était bien…. Non… je ne t’ai jamais dit que je quitterais Iris…

Je plaquai ma main sur ma bouche. Le sang reflua de mon visage. Je chancelai.

— Jette les affaires que j’ai oubliées chez toi… Je ne vois pas comment je pourrais venir les récupérer… Non, il vaut mieux qu’on ne se voie plus… Ce serait trop dur… Je dois raccrocher maintenant… Je t’aime aussi… ça ne change rien…

Pourquoi ne m’étais-je pas bouché les oreilles ? Je ne voulais pas avoir entendu cette horreur ; ces mots qu’il ne me disait plus, et que je m’étais interdit même de penser pour Gabriel. Je marchai à reculons vers la maison. Je dus reprendre mon souffle en m’appuyant au chambranle de la porte. Puis je longeai le mur, sans le lâcher, pour retourner dans la cuisine. Mon chemin de croix se termina près du plan de travail. Une migraine épouvantable se déclencha ; j’avais l’impression qu’on me donnait des coups de marteau sur le crâne. Mes yeux fixaient le vide, je cherchais l’air, la rage me coupait la respiration.

— Mon amour, excuse-moi, j’étais au téléphone avec l’hôpital.

Il se cala derrière moi et posa ses mains sur mon ventre. Je les scrutai avec défiance. Combien de fois ces mains avaient-elles touché le corps d’une autre ? Et là, il voulait me faire un enfant, à moi ? Tous ces derniers mois, cette dernière année, j’avais cru que l’hôpital était mon ennemi, était sa maîtresse. Non, celle-ci était de chair et d’os. Toutes les fois où j’avais quémandé son attention, il m’avait humiliée, me faisant passer pour une idiote qui cherchait des histoires où il n’y en avait pas. Il s’envoyait en l’air alors que moi, j’avais lutté de toutes mes forces contre mes sentiments pour Gabriel, pour rester dans le droit chemin, pour lui rester fidèle. Il m’embrassa dans le cou. J’eus envie de vomir.

– Ça va ? me demanda-t-il.

Je hochai la tête, j’avais peur de parler, peur de ne pouvoir m’arrêter.

— Tu es belle ce soir. Une occasion particulière ?

— Oui, réussis-je à articuler.

Je me dis qu’il fallait que je tienne le choc, que j’assure le spectacle encore quelques minutes. Pour voir jusqu’où il était capable d’aller. Je me détachai de lui et évitai son regard.

— On passe à table ?

— Avec plaisir, me répondit-il, tout sourire, avant d’embrasser mon front.

Je ne mangeais pas. Je ne buvais pas. Je le fixais. Combien de temps allait-il mettre à se rendre compte que quelque chose clochait ? Vu son coup de fourchette, il semblait apprécier mon carpaccio. Il avait raison d’en profiter, parce que c’était la dernière fois. Il finit par lever le nez de son assiette.

— Tu ne manges pas ? Tu ne te sens pas bien ?

— Non, il y a un truc qui me reste en travers de la gorge.

Il fronça les sourcils.

— Tu as un problème ?

— Oui.

— Je peux t’aider ?

J’éclatai de rire, j’étais pliée en deux. Et puis, d’un coup, les larmes jaillirent. Je frôlais l’hystérie.

— Iris, mais qu’est-ce qui t’arrive ?

Il prit le temps de s’essuyer la bouche avant de venir à côté de moi. Il voulut poser sa main sur mon épaule.

— Ne me touche pas avec tes sales pattes !

Je me levai d’un bond et plantai mes yeux dans les siens. Il se recula, devint plus pâle que la mort, serra les poings et émit un long soupir.

— Merde, dit-il.

— C’est tout ce que tu trouves à dire ?

— Non… euh… C’est fini, je te promets… Je sais que j’ai fait une connerie.

— Une connerie ! hurlai-je. Une connerie qui a duré plus d’un an !

— C’est pas vrai… tu as tout entendu…

— Tu es incroyable… Tu n’essayes même pas de nier… Tu n’es qu’un salaud ! Comment ai-je pu être aussi stupide ? Je gobais tous tes bobards, l’hôpital par-ci, les malades par-là, alors que tu allais voir ta pétasse.

Je le bousculai. Il se laissa faire.

— Excuse-moi.

— Tu te fous de moi ? (Je le tapai encore une fois.) Il n’y a aucune excuse à ça. Tu me dégoûtes, toi et ton éducation à la con. Ah, ils sont beaux les cathos pratiquants ! J’avais déjà des cornes quand je suis partie pour Paris, ça a dû t’arranger que je m’en aille. Tu pouvais t’envoyer en l’air quand tu le voulais sans avoir à trouver des excuses. Merde ! Pourquoi tu ne m’as pas quittée à l’époque ?

Son silence me donna des envies de meurtre.

— Ah, tu ne sais pas quoi répondre ! Je vais le faire à ta place. Tu ne m’as pas quittée parce que tu n’es qu’un trouillard, tu n’as pas de cran. Tu as eu peur pour ta réputation. Le beau médecin à la carrière ascendante qui trompe sa femme, ce n’est pas joli dans le tableau. Et puis, tu as dû penser à tes parents, si fiers de leur fils. Que penseraient-ils de toi s’ils savaient ? Alors le salopard que tu es a préféré me mettre ça sur le dos, se foutre de ma gueule auprès de tout le monde avec la couture, me faire passer pour la godiche de service. Tu as continué à me trahir pour ton plaisir et ton confort. Parce que tu n’es qu’un lâche !

Les mots sortaient de ma bouche, tels des crachats. J’arpentais la pièce de long en large, à droite, à gauche, de façon totalement décousue ; un lion en cage. Jamais je n’avais ressenti autant de violence en moi. Il se prit la tête entre les mains, prêt à s’arracher les cheveux.

— Pardonne-moi, s’il te plaît.

— Tout est terminé ! criai-je.

Je levai les poings, les serrai. Je voulais le frapper encore, lui faire mal.

— Laisse-moi me racheter.

— Tu viens de foutre ma vie en l’air !

J’étais essoufflée à force de hurler. Je devais évacuer ma haine, mes regrets.

— Pour toi, j’ai renoncé à ma carrière avec Marthe, j’ai renoncé à cette vie que j’adorais à Paris. J’ai tout perdu par ta faute.

— J’en étais sûr…

Il reprit de sa superbe, se permit même un ricanement.

— Tu as couché avec Gabriel, ce baiseur de première.

Je le giflai de toutes mes forces.

— Je t’interdis de parler de lui comme ça, crachai-je. Il m’a plus respectée que toi, tous ces derniers mois. Oui, j’aurais pu coucher avec Gabriel. Mais je ne l’ai pas fait, parce que je t’aimais encore, que je voulais encore croire en nous, et lui… lui, il a respecté ça.

Pierre sembla sonné.

– Ça t’étonne ?

— Quand je suis venu à Paris, j’ai vu comment il te regardait, et toi, je ne te reconnaissais pas. C’est devenu limpide pour moi, ce type était ton amant.

Il me donnait la nausée.

— Tu es pitoyable. Tu as cru que je couchais avec un autre, et tu m’as demandé de rentrer à la maison ! Tu n’as aucune fierté. À moins que tu ne te sois fait larguer ?

Je vis des larmes rouler sur ses joues. Je n’avais aucune pitié pour lui.

— Au mariage, j’ai compris que j’étais en train de te perdre, et que c’était toi la femme de ma vie… renifla-t-il. Quand je t’ai laissée le lendemain matin, je suis allé rompre avec elle.

— Tu veux peut-être que je te remercie ?

— Et après, quand je t’ai vue avec lui, je me suis dit qu’on était sur un pied d’égalité, qu’on était sortis de la route, mais qu’on pourrait réparer les choses ensemble.