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— Comment peux-tu croire que c’est réparable ?

Mes épaules s’affaissèrent. Une grande lassitude m’envahit.

— Je ne sais pas pourquoi tu m’as trompée… Pour le cul, par ennui ou parce que je ne te plaisais plus… Je m’en moque, en fait. Notre mariage est une imposture depuis bien longtemps.

Je jetai un coup d’œil à ma jolie table, je soufflai les bougies et pris la direction de l’escalier.

— Iris, qu’est-ce que tu fais ?

Il courut vers moi, m’attrapa par le bras et me fis pivoter vers lui. Je le fusillai du regard.

— Je vais dormir dans le grenier, je te laisse le lit, parce que j’imagine que tu l’as amenée ici.

Son silence valait toutes les réponses. Je me dégageai brutalement de son emprise.

— Je pars demain.

— Tu ne peux pas…

— Si, je peux. Maintenant, je peux. Tu m’as rendu ma liberté.

— Tu vas chez tes parents ?

J’éclatai de rire. Un rire nerveux, mauvais. Si je ne l’étais pas encore, je deviendrais une paria pour eux. Depuis quelques minutes, je n’avais plus de famille, définitivement.

— Mais tu es vraiment devenu con !

— Tu vas retrouver ce gigolo ? insista Pierre.

– Ça ne te regarde pas.

Je gagnai l’étage. Je ne savais plus qui j’étais. Je ne savais plus où j’habitais. Je n’avais jamais été aussi seule de toute ma vie. Un voyeurisme morbide me poussa malgré moi à pénétrer dans notre chambre. Je me figeai devant le lit. Un premier haut-le-cœur. Un second. J’eus tout juste le temps de me pencher au-dessus des toilettes. L’acidité de la bile ne faisait que rajouter à la sensation de douleur. Oui, j’avais mal au plus profond de moi. Une fois les vomissements passés, je m’examinai dans le miroir. Ce n’était pas très beau à voir. Je me démaquillai. Ensuite, je revins dans notre — leur — chambre, sortis mes valises du placard. Pierre était là, le visage défait, muet. J’empilai mes affaires n’importe comment, bouclai mes sacs et les mis sur le palier. Je retournai dans la salle de bains et m’y enfermai. Je pris une douche puis enfilai un jean et un pull. En sortant de la pièce, je vis que Pierre n’avait pas bougé, il était paralysé. Je passai devant lui sans un mot, montai au grenier et me mis en boule sur un vieux canapé. Je pleurai toute la nuit. Je me sentais humiliée, trahie et extrêmement bête. J’aurais dû sentir que le nouveau Pierre sonnait faux. J’avais fait l’autruche. Je n’avais pas voulu voir l’évidence. J’avais préféré me réfugier dans le cocon et la sécurité de mon mariage, qui n’en était plus un mais qui était la seule chose que je connaissais. Quelle meilleure excuse que le respect des convenances — convenances que j’exécrais — pour refuser de me mettre véritablement en danger ?

Le lendemain matin, j’étais tellement groggy que, pour descendre mes valises, je les fis dégringoler l’escalier à coups de pied jusqu’au rez-de-chaussée. Ensuite, je les traînai dans l’entrée. J’y découvris Pierre, assis par terre contre la porte, les yeux rougis par les larmes. Il avait pris dix ans dans la nuit. Je devais en être au même point. Je commandai un taxi pour la gare, et l’attendis, adossée au mur de l’entrée à côté de celui que je considérais déjà comme mon ex-mari.

— Ne pars pas… Je t’aime, Iris.

— Il fallait y penser avant.

— Tu ne m’aimes plus, c’est ça ?

— Non, et… ça ne date pas d’hier, je refusais simplement de me l’avouer.

— Et lui, tu l’aimes ?

Je levai les yeux au ciel pour dissimuler mes larmes.

— Réponds-moi.

Je le dévisageai. Des images de notre rencontre, de notre mariage, des derniers moments passés ensemble, se heurtaient à celles des instants volés avec Gabriel. Je savais avec qui j’avais été heureuse et véritablement moi-même ces derniers mois. Si je n’avais pas appris que Pierre me trompait, j’aurais pu me contenter de cette vie insipide, fausse, et renoncer à Gabriel. Je me serais reniée. Plus maintenant.

— Oui, je l’aime.

J’entendis un coup de Klaxon.

— Laisse-moi passer, mon taxi est là.

Il se leva et se décala ; il ne se battait pas. Je demandai de l’aide au chauffeur pour porter mes valises, puis je retournai auprès de Pierre. Je n’avais jamais accordé d’importance à mon alliance ni à ma bague de fiançailles, je n’en avais jamais eu grand-chose à faire en réalité, c’étaient les traditions de Pierre et de sa famille, et le rêve de mes parents. Sauf qu’aujourd’hui, elles pesaient le poids d’un âne mort sur mon doigt, elles me faisaient mal. Je les retirai, pris la main de Pierre et les déposai au creux de sa paume. Un dernier regard, et je montai en voiture.

Quelques heures plus tard, j’étais dissimulée au fond de la brasserie en face de l’immeuble de Marthe. Je n’étais pas prête à affronter Gabriel, et peut-être son rejet. Comment prendrait-il le fait que je revienne après avoir découvert l’adultère de Pierre ? L’instant de nos au revoir avait été intense, mais j’étais partie, je lui avais tourné le dos. Et une fois de plus, je me rappelai cette phrase qui me hantait : « Rentre auprès de ton mari ». Au bout du compte, lui non plus ne s’était pas battu pour moi. Bien que sa moto ne soit pas là, j’attendis que la nuit tombe. Je vis tous ses collaborateurs partir les uns après les autres. Lorsque plus aucune lumière n’éclaira le premier étage, je pris mon courage à deux mains. J’allais ramper aux pieds de Marthe s’il le fallait, pour qu’elle me reprenne.

Devant la porte cochère, je priai de toutes mes forces pour que le code n’ait pas changé. Le signal sonore m’arracha un rire nerveux. J’abandonnai mes valises dans l’entrée de l’immeuble, pris l’ascenseur et gagnai le cinquième étage. Je m’apprêtais à jouer ma vie dans les prochaines minutes. Arrivée à destination, j’hésitai plusieurs secondes avant de sonner ; je n’avais pas répété mon discours. Mon doigt donna juste un petit coup. La porte s’ouvrit sur Jacques.

— Que faites-vous ici, Iris ? me demanda-t-il en chuchotant.

— Euh…

Je commençai à pleurer.

— Répondez vite, je vous en prie !

Pourquoi semblait-il paniqué ?

— Marthe… je veux Marthe.

— C’est impossible.

Il avait l’air désolé.

— Dites-lui au moins que je suis là, s’il vous plaît.

— Que se passe-t-il enfin ?

Ce n’était pas le majordome qui avait posé cette dernière question, mais cette voix traînante qui m’envoûtait tant. Le son de ses talons aiguilles déclencha une nouvelle salve de larmes.

— Marthe… c’est…

— Iris, que fais-tu ici ?

Nous nous regardâmes. Elle était encore plus belle et sculpturale que dans mon souvenir.

— Je t’avais pourtant dit…

Elle s’interrompit brusquement, son regard perçant m’inspecta. Je devais tellement la décevoir : mal fagotée, pas coiffée, pas maquillée, en baskets.

— Marthe… s’il vous plaît… pardonnez-moi. Vous avez toujours eu raison, j’aurais dû vous écouter.

Elle me scruta de longues secondes. Je frissonnais de peur, de fatigue.

— Entre.

Elle tendit la main vers moi, je lui donnai la mienne sans la lâcher des yeux. Je m’écroulai dans ses bras, la tête sur sa poitrine. Me gardant contre elle, elle me guida dans le couloir. Soudain, elle s’arrêta. De sa main libre, elle leva mon menton.

— Ma chérie, je te garde avec moi cette nuit.

— Je n’ai nulle part ailleurs où aller.

— Tu t’installes ici. Mais… tu n’as pas de valises ?

— Je les ai laissées en bas, de peur que vous ne vouliez pas de moi.

— Allez chercher les affaires d’Iris, ordonna-t-elle à son majordome. Et installez la chambre d’amis.