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— Laquelle ?

— Voyons, Jacques, s’agaça-t-elle, l’ancienne chambre de Gabriel ! Dépêchez-vous, il faut préparer un repas pour Iris.

— Ne vous embêtez pas, les coupai-je, je mangerai plus tard ou demain.

— Ma chérie, tu vas m’obéir à partir de maintenant, c’est pour ton bien.

— Merci, murmurai-je en reniflant.

Elle me guida jusqu’à la table de la salle à manger. Je m’assis. Elle s’installa en face de moi. J’allais ouvrir la bouche pour lui expliquer ce revirement…

— Plus tard, m’ordonna-t-elle.

Jacques devait avoir le don d’ubiquité ; dix minutes plus tard, il déposa une salade composée devant moi. Il servit son gin à Marthe et lui tendit son porte-cigarette, qu’elle alluma. Je picorai sous sa surveillance. Lorsque j’eus fini, elle se leva.

— Je vais te montrer ta chambre.

— Très bien.

Je la suivis et, pour la première fois, je découvris l’étage de son duplex. Elle s’arrêta devant une porte close.

— Ma chambre est ici, m’apprit-elle.

Nous allâmes jusqu’à l’autre bout du couloir.

— Voici la tienne.

Je pénétrai dans ce qui allait devenir ma chambre. Une pièce aux murs clairs, un grand lit dont le linge était d’un blanc immaculé. Et toujours, comme dans chaque pièce, de lourds rideaux en velours noir. Mes valises avaient été défaites. Chacun de mes vêtements, chaque paire de chaussures avait trouvé sa place dans le grand dressing. Même mes sous-vêtements étaient rangés. J’en étais à un tel point de chaos dans ma tête qu’il ne m’effleurait pas l’esprit d’en être gênée. Ma dernière découverte : la salle de bains, d’une modernité et d’une sobriété remarquables. « Un cinq étoiles all inclusive  », m’avait-il dit. Ce détail, loin d’être insignifiant, me revint en mémoire.

— Vous disiez que c’était la chambre de Gabriel ?

— Il y a bien longtemps…

— Comment va-t-il ?

– Égal à lui-même, ma chérie. Gabriel est incorrigible. Il m’épuise.

— Qu’a-t-il fait ?

J’eus peur. Peur de découvrir une réalité dont je ne faisais plus partie.

— Il ne sait plus se tenir ces derniers temps, je ne supporte plus de devoir repasser après lui pour ménager des maîtresses bafouées. Je l’ai envoyé visiter nos clients étrangers avec l’espoir que ça le calmerait…

Je l’imaginai dans les bras d’autres femmes. Ça me faisait mal, parce que j’avais touché du bout des doigts, comme dans un rêve, la sensation de lui appartenir, d’être à lui ; parce que je comprenais qu’aucune femme n’avait le pouvoir de ravir son cœur.

— Ma chérie, que t’arrive-t-il ? Tu es toute pâle.

— Je suis épuisée.

— Couche-toi.

Elle s’approcha de moi, effleura délicatement ma joue de ses lèvres et me laissa seule. Je titubai jusqu’à la salle de bains. Je m’appuyai au lavabo, j’étais défigurée. Je me contentai de me brosser les dents. En guise de pyjama, je gardai ma culotte et enfilai un vieux débardeur.

Bizarrement, je tombai comme une masse. Mais ce sommeil refuge ne dura pas longtemps. Vers 2 heures du matin, je me réveillai en sursaut, saisie par le désespoir. Je sanglotai sous la couette un long moment. La lampe de chevet s’alluma. Je sortis le visage de l’oreiller et découvris Marthe, en pyjama de soie noire, debout à côté de moi. Du plat de la main, j’essuyai mes joues.

— Je ne voulais pas vous déranger, m’excusai-je en me redressant légèrement.

— Je ne dors que très peu.

Elle s’assit près de moi, s’adossa à la tête de lit et caressa mes cheveux d’un geste délicat.

— Il n’est pas difficile d’imaginer ce que t’a fait ton mari. Ne te fatigue pas à me raconter une chose aussi affligeante. Je t’autorise cette nuit de faiblesse. Ensuite, je ne veux plus en entendre parler.

Comment lui dire que je ne pleurais pas à cause de Pierre, mais bien parce que je réalisais que je m’étais bercée d’illusions au sujet des sentiments de Gabriel ? Je levai les yeux, elle me sourit. J’osai m’approcher, je passai mon bras autour de sa taille et me blottis contre elle. Elle sentait bon ; un parfum lourd, capiteux, sensuel. Sa main descendit le long de mon cou, puis se posa dans mon dos. À travers le coton, je sentais sa caresse.

— Que vais-je devenir ?

— Une femme indépendante et puissante.

— J’en suis incapable.

— Tu ne me remettras jamais plus en cause. Je sais ce qui est bon pour toi. Détache-toi des hommes, ils se jouent des femmes, ils profitent de nous, de notre corps.

— Pourtant vous avez dit que Jules…

— Les hommes comme Jules n’existent plus, il faut t’y faire. Tu n’auras pas cette chance-là. Mais je vais t’apprendre à te servir d’eux, à les utiliser pour ton plaisir et à contrôler tes sentiments.

Mon corps se contracta. C’était au-dessus de mes forces, surtout avec Gabriel. Je me serrai plus étroitement contre Marthe. La soie était douce. Mon visage se levait au rythme de sa respiration.

— Dors ma chérie. Dors, je m’occupe de toi.

Je me réveillai seule. Combien de temps Marthe était-elle restée à me bercer contre son sein ? Impossible de m’en souvenir. Le chagrin avait fini par m’emporter dans les limbes du sommeil. Des coups furent frappés à ma porte.

— Entrez, dis-je en me redressant.

Jacques pénétra dans la chambre un plateau dans les mains.

— Bonjour, Iris, petit déjeuner !

— Merci, mais il ne fallait pas.

— Demande de la patronne, me répondit-il avec un grand sourire.

Il déposa son chargement sur le bureau. Au moment de quitter la pièce, il se tourna vers moi.

— Elle m’a chargé de vous dire qu’elle viendrait vous rejoindre dans vingt minutes, elle attend que vous soyez douchée et en peignoir.

— Très bien.

Je venais d’enfiler mon peignoir lorsque Marthe arriva. Elle portait un des premiers tailleurs que je lui avais confectionnés : un tailleur à basques bleu marine. Finalement, elle n’avait pas tout jeté.

— Ma chérie, tu as meilleure mine.

— Merci pour cette nuit.

Elle leva la main.

— Je te l’ai dit, considère que c’est de l’histoire ancienne.

Elle se dirigea vers le dressing et en examina le contenu de longues secondes. Elle en sortit une jupe noire entravée, un pull à col en V et un manteau léger de la même couleur.

— Mets ça. Nous avons rendez-vous dans une heure avec mon avocat pour régler ton divorce. Ensuite, nous passerons la journée ensemble. J’ai chargé Jacques d’installer ton nécessaire de travail dans une chambre disponible ici même.

— Je peux retourner à l’atelier, vous savez.

— Non, tu n’es pas prête. Ces petites bécasses t’ennuieraient continuellement avec leurs questions.

Quarante-cinq minutes plus tard, nous sortions de l’immeuble pour nous engouffrer dans un taxi, Marthe me tenait par le coude. Je n’avais pas la prétention de penser que je lui arrivais à la cheville. Cependant, la ressemblance devenait frappante. J’étais aussi brune qu’elle, nous avions à peu de chose près des tenues similaires, les mêmes chaussures, toutes deux dissimulées derrière nos lunettes de soleil de grande marque. Et nous avions la même démarche, elle, naturellement, moi grâce à ses leçons. À défaut de clones, nous aurions pu être prises pour une mère et sa fille. La mienne m’avait déjà reniée à l’heure qu’il était, j’allais profiter de la bienveillance de Marthe.

Son avocat m’annonça qu’il prendrait toutes les dispositions nécessaires pour régler le divorce rapidement, à l’amiable — puisque tel était mon désir, malgré l’esprit de vengeance que Marthe tenta de m’insuffler — et sans que j’aie besoin de rien faire d’autre que de signer des papiers et me présenter le jour de l’audience.