Il planta ses yeux dans les miens. Je ne pouvais plus parler.
— Je suis le type qui a couché avec Marthe pendant près de quinze ans alors que je l’aime comme une mère. J’ai été son gigolo, avec l’approbation de Jules et mon consentement total. La fin va t’intéresser aussi ! Je ne suis rien sans elle, tout ce que tu as vu depuis le début, les sociétés, mon fric, mon appartement, tout, strictement tout ce que j’ai est à elle, et si elle le décide, demain je me retrouve à la rue, à poil.
Les larmes débordèrent de mes yeux. Gabriel avait la mâchoire serrée. Il était livide. Ce qui ne l’empêcha pas de poursuivre.
— Si j’avais levé le petit doigt le soir où elle t’a fait essayer une robe devant moi, ça se finissait en partie à trois, que tu le veuilles ou non. On t’aurait pervertie.
Je retins difficilement la nausée qui montait.
— C’est là que j’ai réalisé que je changeais, parce que j’ai voulu te protéger de son emprise. Je voulais tout faire pour éviter que Marthe ne te fasse ce qu’elle m’a fait. Mais c’était si dur de lutter contre ce que je ressentais. J’ai à peine essayé de mettre de la distance, et il n’y avait rien à faire. Je ne pensais qu’à toi, je ne voulais que toi. Et puis, ton mari est venu… J’ai compris que je ne t’apporterais rien de bon, qu’il fallait que j’arrête de rêver. Ton départ précipité m’a facilité la tâche, même si je vis l’enfer depuis que tu es partie. Quand je t’ai vue hier, quand j’ai appris que tu vivais chez elle… je… la manière dont elle te tenait… et toi… toi, tellement elle, et… tellement soumise, j’ai cru devenir fou.
Je tremblais des pieds à la tête. J’avais l’impression de découvrir une autre histoire que la mienne, que la nôtre, à tel point que je chancelai, prise d’un vertige. Gabriel s’approcha à grands pas de moi, il me guida vers le canapé et me fit asseoir. Il s’accroupit devant moi et prit mes mains dans les siennes.
— Il faut que tu t’en ailles. Tu as tes papiers ?
Je hochai la tête, sans trop saisir où il voulait en venir.
— Oublie tes affaires. Tu ne retourneras pas là-bas, sinon elle ne te laissera plus sortir. Quand je pense à ce qu’elle t’a fait…
Il s’arrêta, passa doucement son pouce sur ma lèvre blessée et posa délicatement sa main sur mon cou.
— Moi, elle ne pouvait pas me frapper, mais toi, tu es trop fragile. Elle te veut tellement qu’elle en devient violente. Elle est devenue folle et a déjà bien trop de pouvoir sur toi. Je refuse que tu sois sa chose, qu’elle t’enferme chez elle. Je trouverai un moyen de la calmer. Peu importent les conséquences… Tu vas me dire où tu veux aller, et je vais te prendre un billet de train, d’avion, de ce que tu veux…
Il soupira et amorça le geste de se relever. Je me cramponnai à ses mains.
— Je ne veux pas partir.
— Bordel, Iris ! Tu n’as rien compris…
Il essaya de se dégager, mais je maintins fermement ma prise.
– Écoute-moi, s’il te plaît.
Il soupira, baissa les yeux puis m’accorda son attention. Je devais lui poser une question avant toute chose. Les mots avaient cependant du mal à sortir.
— C’est difficile à dire, mais… couches-tu toujours avec elle ?
— Non, je te le jure ! Ça s’est arrêté progressivement il y a trois ans, après la mort de Jules. Elle prenait simplement son pied en me regardant appliquer ses méthodes. Et puis… tu es venue, tu as réveillé la bête. Et ce qui n’aurait jamais dû arriver s’est produit, on t’a aimée tous les deux.
Je le regardai droit dans les yeux. Je ne savais pas tout, c’était certain. Et je n’aurais jamais tous les éléments. Confusément, j’avais toujours senti un malaise entre eux, une tension indéfinissable. Sans pour autant imaginer que je puisse en être l’enjeu, ni que le sexe en fasse partie. Étais-je prête à accepter que cela soit allé si loin ? La réponse était simple. Ma vie était devenue un véritable chaos, mais tant que Gabriel serait là, j’affronterais n’importe quoi, et je l’aiderais à s’affranchir.
— Marthe a dirigé ta vie depuis que tu la connais, ne la laisse plus décider pour toi, ne la laisse pas nous séparer.
— Comment peux-tu vouloir de moi ?
— Je t’aime, ça ne s’explique pas.
— Je ne suis qu’une merde.
— Je ne veux plus jamais entendre ça ! Quand je te regarde, je vois un homme qui m’a séduite et que j’ai laissé faire, qui m’a respectée, et surtout qui m’a protégée au point de se sacrifier lui-même.
Une petite lueur d’espoir apparut sur son visage.
— Et si être avec moi implique de tout recommencer de zéro ailleurs ?
— J’y suis prête. Je refuse de te perdre.
Ses mains se crispèrent autour des miennes, ses yeux se remplirent de larmes. Nous nous rapprochâmes l’un de l’autre. Je ne voulais plus voir ce masque de tristesse, de crainte sur son visage. Je posai mes lèvres sur les siennes. Il accepta mon baiser et me le rendit avec urgence. Puis il se redressa, me fit basculer sur le canapé. Les affres du désir nous assaillirent immédiatement ; mes mains repartirent à l’assaut de son dos, il m’écrasa de son poids, j’aimais le sentir lourd sur moi. Il détacha sa bouche de la mienne.
— Pas comme ça, me dit-il.
Il se leva, m’entraîna avec lui et me guida vers sa chambre. Au pied du lit, il me déshabilla avec une infinie lenteur. D’un simple mouvement, il m’interdit de l’aider. Lorsque je fus complètement nue devant lui, la peur de le décevoir, de ne pas être à la hauteur me tétanisa. J’étais dans la lumière alors que mon corps n’avait été exposé qu’à un regard blasé, trompeur depuis des mois, des années. Mes épaules se voûtèrent, je baissai la tête et mes bras cherchèrent à camoufler mes seins. Gabriel me ceintura contre lui.
— Je t’aime, Iris, me dit-il à l’oreille. Je veux te voir. Regarde-moi.
Je lui obéis. Et je ne vis que de l’amour et du désir dans ses yeux. Ma gêne et ma pudeur s’envolèrent. Nous nous embrassâmes à en perdre haleine. Nous ne fûmes plus que baisers, caresses, soupirs. C’était si simple de m’abandonner à lui, nos gestes, nos peaux s’accordaient en parfaite harmonie. Lorsqu’il fut en moi, il me tint les mains de part et d’autre de mon visage. Ses coups de reins étaient lents, profonds. Nos yeux se soudèrent jusqu’à ce que l’orgasme nous emporte. Gabriel nicha sa tête dans mon cou. Nous restâmes de longs instants sans bouger. Notre respiration finit par s’apaiser. Il m’embrassa l’épaule, se détacha de moi et roula sur le côté. Je le regardai, il dégagea des mèches de cheveux collés sur mon front. Je ne supportai pas de le sentir loin de moi, même de si peu ; je me blottis contre lui et il me serra fort.
— Merci de ne pas avoir cédé à mes avances ces derniers mois, chuchota-t-il.
Je me redressai et posai mon menton sur son torse.
— Moi, je regrette, lui rétorquai-je. Ça nous aurait évité bien des souffrances et une séparation inutile.
— Tu te trompes, parce que je ne t’aurais pas aimée comme il faut.
— Je suis sûre du contraire, tu aurais été parfait, et tu aurais tout compris.
Il leva les yeux au ciel.
— Tu sais quoi ? lui dis-je.
Il me regarda et sourit.
— Non, mais tu vas me le dire.
— On s’en fout, ce qui compte c’est maintenant.
Son visage s’illumina, la canaille était de retour. Il me retourna et me bloqua sous lui. J’éclatai de rire. Il me chatouilla à coups de baisers dans le cou, sur les seins, sur le ventre… qui se mit à gronder. Gabriel rit et lui parla :
— T’es pas content, toi ? Je vais t’arranger le coup.