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— Pardon, hoqueta-t-il après un moment.

— Chut…

Je le forçai gentiment à se mettre debout. Je le lavai, le rinçai, il se laissa faire. Puis, j’arrêtai l’eau. Je sortis de la douche, m’enroulai dans la première serviette de toilette sur laquelle je mis la main, en attrapai une seconde et revins vers lui pour l’essuyer. Il grelottait.

— Va t’habiller, lui dis-je doucement.

Ses yeux retrouvèrent une lueur de vie, il me regarda enfin. Je posai un doigt sur sa bouche.

— Vas-y.

Il se rendit dans sa chambre, je le suivis et l’observai. Il se planta devant son dressing. Son tatouage trouvait enfin sa signification. Gabriel avait toujours été écartelé entre son amour filial et incestueux pour Marthe et son désir de liberté. Il venait de se libérer de son emprise, mais il avait aussi perdu sa mère. Une mère castratrice. Il commença par détendre ses muscles en faisant craquer son cou et en étirant ses bras. Puis, il enfila ses vêtements calmement, toujours sans un mot. Lorsqu’il eut fini de boutonner sa chemise, il se tourna vers moi.

— Je passe quelques coups de téléphone pour le boulot, et on va manger un morceau, ça te dit ?

Je lui souris.

— J’ai faim, oui, je veux bien.

Il attrapa son téléphone sur le lit et s’approcha de moi. Il me prit contre lui, embrassa mes cheveux.

— Merci, souffla-t-il.

Il s’éloigna, je le retins par la main.

— Je peux te piquer une chemise ?

Son sourire me soulagea. Il passa dans le séjour. Je l’entendais toujours parler. Je partis à la recherche de mes vêtements et choisis une de ses chemises. Une fois habillée, je retournai dans la salle de bains dans l’idée de dompter mes cheveux. Je pris appui sur le lavabo. Malgré la douleur, les épreuves qui ne manqueraient pas de se présenter, j’étais vivante, j’étais avec l’homme que j’aimais. En l’espace de quelques heures, nous étions passés du stade de jeunes amants à un degré d’intimité que je n’avais jamais connu avec Pierre.

Je trouvai Gabriel assis dans le canapé, le téléphone sur l’oreille, son ordinateur portable ouvert sur la table basse. Je caressai son dos en passant derrière lui, il rattrapa ma main au moment où je m’éloignai, l’embrassa et poursuivit sa conversation.

— Prépare les dossiers et les contrats, je passerai après-demain les signer… Ne me pose aucune question.

Il mit fin à la communication.

Nous entrâmes dans la première pizzeria qui se trouvait sur notre chemin. La commande fut vite passée, et vite servie. Gabriel récupérait petit à petit une certaine joie de vivre ; tout du moins, il donnait le change. J’allais devoir veiller au grain. Nous étions aussi affamés l’un que l’autre. Nous rîmes de notre appétit d’ogre, sans songer une minute à prendre une pause.

— Je ne pensais pas qu’un jour j’aurais à préparer mon départ, finit-il par me dire lorsque son assiette fut vide.

— Tu ne peux pas tout lâcher, c’est ta vie, ce job. Tu es certain que cela va se terminer ainsi ?

— Elle nous veut tous les deux, mais pas ensemble. Je ne vois donc pas comment elle pourrait supporter de me voir quotidiennement et de savoir que je te retrouve le soir, sans plus profiter de toi. Parce que tu as bien conscience que les portes de l’atelier viennent de se fermer définitivement pour toi ? Je refuse que tu la revoies, c’est trop dangereux. Où vas-tu coudre ?

— Je ne sais pas. Je vais récupérer un peu d’argent avec le divorce, je pourrai louer quelque chose, mais ce n’est pas pour tout de suite… Merde !

— Quoi ?

— C’est l’avocat de Marthe qui a tout pris en charge.

— Ne t’inquiète pas, je le connais, je l’appelle demain et je lui dis de gérer ça en direct avec toi. Elle avait aussi réussi à mettre son nez là-dedans ? Je n’y crois pas !

— Je lui ai laissé le champ libre. J’étais incapable de penser par moi-même quand j’ai débarqué chez elle.

— C’est toute sa force, elle tisse une toile autour de toi, et impossible de t’en défaire. C’est pour ça qu’on va partir, on va construire notre vie sans elle.

Il soupira. Je bâillai.

— Je suis rincé aussi, me dit-il.

En arrivant chez lui, nous fonçâmes directement dans la chambre. Sans perdre une minute, nous nous déshabillâmes, et la couette nous accueillit. Nus l’un contre l’autre, nous savourions d’être enfin réunis. Je luttai contre le sommeil, forçant mes yeux à ne pas se fermer.

— Dors, Iris.

— Je ne veux pas.

— Pourquoi ?

— Parce que je suis bien là, avec toi. C’est mieux que tout ce que j’avais pu imaginer.

— Dis-toi que notre réveil sera encore meilleur.

Il me força à caler ma tête contre son épaule. Je lui cédai avec le plus grand des plaisirs. J’étais comme dans de la ouate, bien au chaud au creux de ses bras.

— 11 —

Quelque chose vibra, perturbant notre sommeil. Gabriel et moi dormions en cuillère. Il grogna dans mon cou, j’entrouvris un œil, le jour était à peine levé. Nouvelles vibrations.

— Putain ! râla Gabriel. Ça doit être un client à l’autre bout du monde qui se contrefout du décalage horaire.

Je resserrai son bras autour de mon ventre. Il embrassa mon épaule.

— On reste au lit toute la journée, ronronna-t-il.

Je gloussai. Nous fûmes tranquilles quelques instants. Mais le téléphone de Gabriel se remit à vibrer. Il soupira et se détacha de moi. Je me tournai. Il attrapa son portable, le fixa durant ce qui me sembla une éternité et se redressa pour répondre.

— Oui…

Il devint blême, sa main libre s’agrippa au drap.

— J’arrive tout de suite, Jacques.

Il sortit du lit pour sauter dans son jean. Brusquement, il se souvint de ma présence.

— Viens avec moi, s’il te plaît. C’est Marthe, elle…

Sa voix se brisa. Je ne cherchai pas à obtenir plus d’explications, je n’en avais pas besoin. Je ne réfléchis pas davantage et me levai. En moins de cinq minutes, nous étions habillés. Gabriel prit deux casques. Il claqua la porte de son appartement et appuya sans interruption sur le bouton d’appel de l’ascenseur jusqu’au moment où il atteignit notre étage. Dans la cabine, il me prit contre lui sans un mot, l’air hagard. Il courut vers sa moto, je le suivis. Il l’enfourcha, je m’installai derrière lui, serrai sa taille. Il démarra en trombe. Il roulait excessivement vite, je fermai les yeux de toutes mes forces. La moto slalomait, le moteur rugissait. Il freina brutalement, je regardai à nouveau la route, nous venions d’arriver dans la rue de l’immeuble, elle était déserte. Gabriel gara la moto à sa place habituelle. Dans l’ascenseur, il m’enferma dans ses bras jusqu’au cinquième étage. Son corps n’était qu’une boule de nerfs. Ensuite, il entrelaça nos doigts. La porte de l’appartement de Marthe s’ouvrit sur Jacques, blanc comme un linge.

— Elle est dans le séjour…

Gabriel m’entraîna dans le couloir. Jacques l’interpella. Nous nous retournâmes en même temps.

— Je suis désolé.

Gabriel vacilla. Malgré tout, nous reprîmes notre progression dans ce couloir au silence de mort. Sur le seuil du grand salon, j’embrassai la scène des yeux. Les rideaux, légèrement tirés, laissaient passer les rayons de soleil matinaux, la poussière volait dans la lumière. Marthe était assise dans le canapé, à sa place habituelle. Elle portait la première robe que je lui avais confectionnée, je la reconnus d’un regard. Sur sa petite table d’appoint, son porte-cigarette reposait sur le cendrier, son verre de gin n’attendait que d’être rempli, et une boîte de médicaments trônait fièrement. Vide.