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— C’est fini, murmura Gabriel.

Il lâcha ma main et avança dans la pièce jusqu’à faire face à Marthe. Il s’accroupit et l’observa de longues minutes. Puis il caressa ses cheveux et enfouit son visage au creux de ses genoux. Il étouffa un sanglot. Mon corps se disloquait, je n’avais pas le pouvoir de guérir cette blessure. Je contractai chacun de mes muscles. Je mis mon poing devant ma bouche. Je ravalai mes larmes. Tout faire pour ne pas laisser éclater mon propre chagrin.

Le silence fut brisé par le hurlement des sirènes qui se rapprochaient. Je m’arrachai à ma contemplation morbide et allai chercher Jacques. Il me confirma qu’il avait téléphoné aux autorités compétentes. Quelques minutes plus tard, la sonnette retentit. Gabriel conserva la même position. Je fis barrage de mon corps au pompier qui arrivait.

— Je dois passer, madame.

— Laissez-moi avec lui quelques instants, s’il vous plaît. Ne le brusquez pas.

— C’est son fils ?

— C’est tout comme.

Je pénétrai dans le grand salon et m’avançai vers eux. Je m’accroupis derrière Gabriel, le pris par les épaules. Marthe était somptueuse, parfaitement maquillée et coiffée. Elle avait l’air paisible. Sous mes mains, je sentais les soubresauts du corps en larmes de l’homme que j’aimais. Ma voix ne fut que chuchotements.

— Il faut laisser les pompiers s’approcher. Viens avec moi.

Il se releva, embrassa les cheveux de Marthe et se mit à l’écart.

— Je vais rester encore avec elle, m’annonça-t-il sans la quitter des yeux. Dis-leur de venir.

J’indiquai que la voie était libre et m’éloignai. La police était présente aussi et interrogeait Jacques. Puis ce fut mon tour. Je répondis mécaniquement aux questions que l’on me posait. J’eus l’impression que cela durait des heures. Quand ils en eurent fini avec moi, ils se dirigèrent vers la pièce principale. Je les suivis, inquiète pour Gabriel. J’eus un choc en arrivant : Marthe était déjà sur une civière, et les ambulanciers refermaient un sac noir sur elle. Les policiers se dirigèrent directement vers Gabriel. Je ne distinguai pas ce qu’ils lui disaient. Ils le laissèrent s’approcher de moi. Il me prit par la main et m’entraîna dans le couloir en direction de l’entrée.

— Jacques, appela-t-il.

Celui-ci apparut instantanément.

— Faites venir un taxi pour Iris, s’il vous plaît.

— Quoi ? Non, je veux rester avec toi.

Il fronça les sourcils.

— Je préfère que tu t’en ailles, rentre chez moi, repose-toi. J’en ai pour des heures…

— Monsieur, l’interpella un policier.

— J’arrive, lui répondit-il avant de s’adresser à nouveau à Jacques. Je peux compter sur vous ?

— Bien sûr.

Gabriel me regarda intensément, dégagea une mèche de cheveux de mon visage, m’embrassa et tourna les talons. Dix minutes plus tard, Jacques m’annonça qu’une voiture m’attendait en bas. Pour réussir à me faire quitter les lieux, il m’assura qu’il me tiendrait au courant. Dans la rue, je marquai un temps d’arrêt en découvrant l’ambulance et les voitures de police, gyrophares en action. Quelques badauds rôdaient comme des vautours. Il n’était que 8 heures du matin et j’avais l’impression d’avoir déjà vécu plusieurs journées.

Les heures qui suivirent, je les passai tantôt assise au fond du canapé, tantôt à faire les cent pas, tantôt à regarder désespérément par la fenêtre. Je n’osai pas téléphoner à Gabriel de peur de le déranger. Et l’étourdie que j’étais n’avait pas eu l’idée de noter le numéro de Jacques.

Lorsque vers 17 heures la sonnette retentit, je me jetai sur la porte pour ouvrir. C’était Jacques, chargé comme un mulet. Je le laissai passer et lui donnai un coup de main pour porter son fardeau.

— Désolé de ne pas vous avoir donné signe de vie plus rapidement.

— Comment va-t-il ?

— Je ne sais pas, il est au commissariat.

— Pourquoi ?

— Ne paniquez pas, c’est la procédure habituelle.

Je poussai un soupir de soulagement. Et reportai mon attention sur tout ce qu’il avait apporté. Je l’interrogeai du regard. Il me sourit tristement.

— Gabriel m’a demandé de faire vos valises et des courses, il a peur que vous ne vous nourrissiez pas. Je vais commencer par vous faire un café.

— Une tisane plutôt, vu mon état de nerfs.

Nous nous regardâmes. La nervosité prenait le dessus. On éclata de rire tous les deux.

— Sérieusement, Jacques, ne vous embêtez pas pour moi, vous devez avoir beaucoup de choses à faire.

— Pas du tout, Gabriel m’a ordonné de rentrer chez moi après m’être occupé de vous.

— C’est impossible. Il ne doit pas rester…

J’avais déjà la main sur la poignée de la porte d’entrée. Jacques me retint par l’épaule.

— C’est son choix, il veut gérer tout seul la situation. C’est important pour lui.

Je me voûtai et m’éloignai du palier.

Quelques minutes plus tard, nous étions attablés à l’îlot central de la cuisine. Moi avec une verveine, et Jacques avec un verre de gin, en l’honneur de Marthe.

— Comment allez-vous ? lui demandai-je.

— Je savais qu’un jour ou l’autre, ça se finirait ainsi. Et Jules le savait aussi. Marthe était une femme éblouissante, fascinante, mais malade. Gabriel ne l’a jamais su, car Jules m’avait interdit de le lui dire, mais elle était suivie chaque semaine par un psychiatre et un psychanalyste. Elle prenait un lourd traitement médicamenteux pour ses troubles. C’était la reine de la dissimulation.

Les révélations s’arrêteraient-elles un jour ?

— Mon Dieu…

— Le réel avait de moins en moins de prise sur elle. Elle avalait un anxiolytique ou un neuroleptique pour un oui ou pour un non… Elle divaguait de plus en plus, ressassait son passé, le modifiait. Elle avait même des hallucinations dernièrement : je l’ai surprise en train de parler à Jules de vous, de Gabriel. Ces crises de démence étaient de plus en plus fréquentes, et surtout incontrôlables, il fallait laisser passer l’orage…

Je repensai à ses sautes d’humeur, son contrôle maniaque, qui pouvaient passer pour des caprices de diva, ses migraines qui n’en étaient pas en réalité, sa réaction démesurée lorsque j’étais rentrée avec Pierre, et sa violence de l’autre soir…

— Je n’aurais pas dû vous laisser seule avec elle cette nuit-là, je suis désolé, Iris, pour ce qu’elle vous a fait.

Il jetait des coups d’œil à la marque sur mon cou qui virait au violacé.

— Ce n’est pas votre faute, Jacques. Pour moi, ce n’était pas elle. En tout cas, ce n’est pas le souvenir que je veux en garder. Avez-vous parlé de ça à Gabriel ? Ça le soulagera.

— C’est fait. Ce n’est plus l’heure des secrets… et ni l’un ni l’autre vous ne devez culpabiliser de ce qui vient de se passer.

— Plus facile à dire qu’à faire.

— J’étais là hier. J’ai tout entendu du coup de téléphone.

— Ah…

— Je pensais devoir lui donner une dose supplémentaire, mais après avoir longuement pleuré, elle s’est calmée d’elle-même. Lorsqu’elle m’a renvoyé chez moi, elle m’a dit que Jules lui manquait. En toute sincérité, je crois qu’elle a pris sa décision en pleine possession de ses moyens, et aussi parce qu’elle vous aimait tous les deux.