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Cependant, si tu lis cette lettre, c’est que tu me désobéis, je ne le tolère pas. Ne me tue pas une seconde fois, ne me brise pas dans la mort. Prends ce qui te reviens, poursuis mon rêve, relève le défi, assume l’empire que Jules a créé et qu’il t’a légué depuis le jour où il t’a vu pour la première fois. Endosse tes responsabilités. Ne fuis pas. Je ne pouvais rêver plus belle mort. Ne gâche pas tout, tu le regretterais amèrement, tu perdrais Iris, tu la détruirais, et tu te détruirais par la même occasion. Vous êtes et resterez mes œuvres. J’ai fait de vous ce que je voulais. Vous êtes prêts. Écrase quiconque se mettra en travers de votre chemin. Mets notre Iris à la tête de l’atelier, offre-le-lui comme Jules me l’a offert.

Soyez fiers à mon enterrement. À l’image de notre amour, de notre histoire. Défiez-les tous du regard. Montrez-leur que vous êtes puissants, que rien ne change.

Tu m’obéiras mon chéri, comme tu l’as toujours fait. Tu m’aimes comme je t’aime.

Marthe

Tout Marthe était dans cette lettre d’adieu brouillée par mes larmes et criante de vérité. Elle gardait le contrôle, savait ou pensait savoir ce qui était bon pour nous. Mais Marthe n’avait-elle pas toujours eu raison ? Je n’avais pas besoin de regarder Gabriel pour palper sa fébrilité, son inquiétude face à ma réaction, face à notre projet de tout recommencer ailleurs. Il me laissait prendre la décision. Je fermai les yeux de longues secondes. Un flot de souvenirs passa ; nous resterions toujours sous son influence. Il ne servait à rien de lutter contre. Un sentiment de paix m’envahit. Je souris légèrement, et le regardai.

— Nous restons.

— Je ne veux pas te forcer.

— Rentrons nous coucher. Nous avons notre rôle à tenir demain.

Je me levai et lui tendis la main. Il la saisit et se mit debout à son tour. Il éteignit la lampe sur la table de Marthe, puis plongea l’appartement dans l’obscurité. C’est blottis l’un contre l’autre que nous sortîmes de l’immeuble.

Le lendemain matin, je pris dans le dressing la tenue avec laquelle tout avait commencé. J’enfilai le pantalon, il était toujours à ma taille. Cependant, je n’eus pas à me battre et me contorsionner pour fermer le gilet. Gabriel se matérialisa derrière moi, en pantalon et chemise encore ouverte.

— Souvenirs, souvenirs, me dit-il en plantant ses yeux dans les miens à travers le reflet du miroir.

— C’est adapté à la circonstance. Tu ne trouves pas ?

— C’est parfait.

Je le regardai fermer le crochet et boutonner l’empiècement du bas du dos. Il embrassa mon épaule et alla finir de s’habiller. Cinq minutes plus tard, quand je le rejoignis dans la chambre, il se battait avec sa cravate. Je supposai que c’était bien la première fois que cela lui arrivait.

— Laisse-moi t’aider.

Je fis son nœud de cravate, parfaitement sûre de moi. Puis je rabattis le col de sa chemise. Je lissai un pli imaginaire. L’émotion me gagnait. Mes sentiments pour lui. Ma réussite professionnelle. La perte de Marthe. L’officialisation de notre relation, à Gabriel et moi, à son enterrement, telles des noces funèbres.

— On va y arriver, me dit Gabriel à l’oreille.

— Je n’en doute pas.

Une heure plus tard, un taxi nous déposait devant le crématorium du Père-Lachaise. Nous ne nous étions pas lâchés la main durant tout le trajet. C’est en parfaite harmonie que nous poussâmes un profond soupir, avant d’étouffer un fou rire nerveux.

— Prête ?

— Oui.

Je sortis du véhicule, Gabriel me rejoignit, posa la main au creux de mes reins et me guida. Nous fûmes accueillis par le maître de cérémonie ; il n’attendait plus que nous. Gabriel eut un rictus aux lèvres. Il avait voulu arriver en dernier ; Marthe aurait apprécié notre coup d’éclat. Nous empruntâmes un long couloir et j’entendis la trompette de Miles Davis dans Ascenseur pour l’échafaud. Un nœud se forma dans ma gorge, mes mains devinrent moites. L’homme nous laissa sur le seuil de la salle où reposait Marthe. C’était bondé. Le cercueil en bois sombre était au bout de l’allée centrale, une rose rouge-sang posée dessus. À côté, un agrandissement de sa dernière photo en tant que mannequin. Elle nous écrasait tous avec son regard hautain et sa beauté sculpturale. J’interrompis mon observation en entendant le murmure qui s’élevait de l’assistance. Tous les regards étaient braqués sur nous. La respiration de Gabriel s’accéléra imperceptiblement. Je distinguai des visages familiers : les filles, Philippe. Et Jacques, qui nous fit un grand sourire. Il était tout au fond, alors qu’il méritait d’être au premier rang, lui qui avait veillé sur elle. Jacques : le discret majordome jusqu’au bout. L’espace de quelques instants, chaque personne de l’assemblée sembla oublier Marthe. Je reconnus ceux qui rampaient à ses pieds, leur expression était très claire ; ils se demandaient si nous étions en train de prendre la relève. Je me raidis et adoptai une attitude défensive en apercevant d’anciennes maîtresses de Gabriel. D’une façon ou d’une autre, j’allais devoir leur faire comprendre qu’il n’avait pas besoin d’elles. J’étais là. Gabriel me serra plus fort contre lui, embrassa mes cheveux. Je levai les yeux vers lui, il plongea les siens dans les miens ; je n’avais rien à craindre. Puis, il revêtit son masque de contrôle, j’inspirai profondément, et fis de même. Nous étions les héritiers de Marthe.

— Que le spectacle commence, chuchota-t-il.

REMERCIEMENTS

Aux Éditions Michel Lafon… votre confiance et votre respect me portent dans l’écriture. Quelle belle et extraordinaire aventure nous partageons ! La disponibilité et l’écoute des uns et des autres me sont plus que précieuses.

À tous les lecteurs des Gens…, votre soutien, vos encouragements, vos messages me bouleversent et me remplissent de joie.

À Anita Halary, notre échange autour de votre métier a enrichi la passion d’Iris.

À toutes les femmes de ma famille qui ont été derrière une machine à coudre… Le tac-tac d’une Singer est un bruit de mon enfance…