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Je n’avais pas osé demander à Pierre de prendre une semaine de vacances, je le regrettais. Un soir, je fis ce que je ne faisais jamais, je me rendis à l’hôpital pour le récupérer à la sortie de ses consultations. La secrétaire m’accueillit avec tout le respect dû à l’épouse du médecin et m’informa qu’il était en plein rendez-vous. Je patientai dans la salle d’attente.

— Qu’est-ce que tu fais là ? me demanda-t-il en m’apercevant, quelques minutes plus tard.

Je me levai en entendant sa voix.

— Je voulais te voir.

— Suis-moi.

Comme à chaque fois que nous étions sur son lieu de travail, il conservait une distance entre nous.

— J’aurais préféré que tu me préviennes, me dit-il une fois la porte du bureau fermée. Mais bon… tu as de la chance, j’ai fini.

— Tant mieux, on va profiter de notre soirée.

Je baissai les yeux.

– Ça ne va pas ?

— Non ! Je réalise ce que je m’apprête à faire.

Il retira sa blouse et rangea ses dossiers qui traînaient. Je soupirai un grand coup.

— J’ai peur de ne pas être à la hauteur. Après tout, c’est peut-être mes parents qui ont raison, la couture, c’est un hobby, et je n’ai pas les capacités pour devenir professionnelle.

– Écoute, tu vas là-bas pour le savoir, c’est un test, si ça ne fonctionne pas, tu passeras à autre chose, au moins tu n’auras plus de regrets. Personne ne t’en voudra si tu échoues, pas moi en tout cas.

Il me prit dans ses bras.

— Il y a autre chose, Iris ?

— Je suis terrifiée à l’idée de ne pas te voir tous les jours. On n’a jamais été séparés. Comment va-t-on faire ?

Il soupira et frotta mon dos.

— Tu l’as dit toi-même, ça ne dure pas longtemps, ce n’est rien, six mois. Les semaines passeront vite, j’en suis sûr. On y va ?

Il enfila son manteau, m’ouvrit la porte et m’entraîna dans le dédale de couloirs. Je sentais son regard sur moi. J’aurais voulu sourire, être enthousiaste, mais je ne pensais qu’à notre séparation. Une fois sur le parking, Pierre me retint par le bras.

— Attends, j’ai oublié un truc, ne bouge pas, j’arrive.

Il repartit en courant vers l’hôpital.

Dix minutes plus tard, il revint le sourire aux lèvres.

— C’est bon, c’est réglé ?

— J’ai bataillé, mais j’ai obtenu ce que je voulais.

Je fronçai les sourcils.

— J’ai annulé tous mes rendez-vous après dix-huit heures pour la fin de la semaine.

— Tu ne vas pas avoir de problèmes ?

— Ne t’inquiète pas.

Je me jetai dans ses bras, il me serra étroitement contre lui.

L’entrée sur le périphérique mit une chape de plomb dans la voiture. Jusque-là, l’ambiance était bonne. Pierre cessa totalement de parler lorsqu’il se mit en quête d’une place dans la rue de l’immeuble où j’allais habiter. Et je n’essayais plus d’entretenir un semblant de conversation lorsqu’on pénétra dans mon nouveau chez-moi. Il déposa mes valises sur le lit et fit rapidement le tour du studio. Il regarda par la fenêtre, vérifia la serrure de la porte d’entrée, passa la tête dans la salle de bains, alluma les plaques électriques de la kitchenette, renifla le frigo…

— Pierre, c’est bon !

— Je vois ça. Tu ne défais pas tes valises ?

— Je le ferai après ton départ, ça m’occupera, je crois que je vais avoir du mal à trouver le sommeil.

Je m’approchai de lui et me glissai dans ses bras.

— On va se dénicher un endroit pour dîner avant que tu ne reprennes la route.

Après trois bouchées, je repoussai mon assiette, rien ne passait. Pierre fit de même. Il commanda un café, demanda l’addition, et se perdit dans la contemplation de la rue. Je ne parlais pas, je savais qu’à l’instant où j’ouvrirais la bouche, je craquerais.

— C’est bizarre d’être là, dit-il sans me regarder.

J’attrapai sa main, il se tourna vers moi.

— Il faut que j’y aille… Le temps que je rentre…

Nous étions au pied de l’immeuble, il m’attira dans ses bras.

— Tu fais attention sur la route ?

— Je n’aime pas te savoir là toute seule.

— Que veux-tu qu’il m’arrive ?

— Une mauvaise rencontre, un accident. Fais attention à toi, s’il te plaît.

— Promis. (Je levai la tête vers lui.) C’est valable pour toi aussi. Ne te tue pas au travail sous prétexte que je ne suis pas là pour te râler dessus.

Il prit mon visage en coupe, repoussa les cheveux de mon front.

— Tu sais, je n’ai pas été très impliqué dans ton projet, mais je veux que tu saches que je suis fier de toi, n’en doute jamais.

Enfin, il s’intéressait à moi, il était attentif.

— Serre-moi fort.

On resta de longues minutes collés l’un à l’autre. J’embrassai ses joues, ses lèvres, laissant enfin les larmes couler. Pierre m’essuya le visage et m’embrassa lentement. Il détacha légèrement ses lèvres des miennes.

— Je t’aime.

Des mois qu’il ne me l’avait pas dit.

— Je t’aime aussi.

Un dernier baiser, et il me lâcha.

— Rentre maintenant.

— Je te téléphone dès que je peux demain.

J’ouvris la porte de l’immeuble, et Pierre tourna les talons. Il me jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, me sourit et me fit signe de rentrer, je lui obéis. En traversant la cour pour rejoindre mon escalier, je me dis qu’il retournait à la maison sans moi pour la première fois. Mais peut-être que cette séparation allait nous réunir et raviver la flamme.

Barricadée à double tour dans mon studio, je m’assis sur le lit et regardai autour de moi. Je découvrais la vie dans une chambre d’étudiante à trente et un ans. J’espérais que le week-end je n’aurais pas trop l’impression de rentrer chez mes parents dans l’unique but de faire mes lessives. Mon environnement en semaine se cantonnerait à vingt mètres carrés. Je ne pouvais pas dire que c’était sale ou vétuste, c’était correct. De toute manière, je n’avais pas le droit de faire la fine bouche, vu que je ne payais pas de loyer. Pour une des premières fois de ma vie, je regrettais de ne pas avoir la télévision. Je ne la regardais jamais, mais quelque chose me disait que sa compagnie n’aurait pas été de trop durant mes futures soirées en solitaire. N’avais-je pas fondé trop d’espoir dans cette reconversion et péché par excès de confiance en moi ?

— 3 —

J’avais une boule dans le ventre qui frôlait la taille d’un obus, les mains moites et les jambes flageolantes. La découverte de mon nouvel environnement de travail n’arrangeait pas mon état. J’étais au pied d’un immeuble haussmannien dans le quartier de la Madeleine. Je faisais ma rentrée. Nous étions le 10 janvier, et j’étais attendue. Et si je n’avais pas le niveau ? Et si je ne trouvais pas ma place ? C’était ma seule chance de réaliser mon rêve, et elle paraissait soudain si fragile ! Je me donnai du courage en secouant la tête et m’avançai enfin jusqu’à l’imposante porte cochère. Je n’eus pas le temps de la pousser, elle s’ouvrit sur deux hommes qui sortaient de l’immeuble. La mine sérieuse, en costume-cravate, attaché-case à la main, ils ne me remarquèrent pas, poursuivirent leur conversation et s’engouffrèrent à l’arrière d’une grosse berline noire qui démarra aussitôt. Je pénétrai dans un hall luxueux, avec moquette rouge dans l’escalier, boiseries, dorures et plantes vertes, sans oublier la loge du concierge. Aucune boîte aux lettres. Seulement des plaques fixées au mur. Capital Risk Development, pas pour moi, J. Investissements, non plus, G&M Associés, toujours pas. L’Atelier, troisième étage. J’y étais.